TROISIÈME DIMANCHE APRES PAQUES

Il y a déjà trois semaines d’écoulées depuis le saint Jour de Pâques. La Résurrection du Seigneur occupait toutes les pensées de notre Mère l’Église. Dans la première semaine de Pâques, elle nous mettait chaque jour sous les yeux une des apparitions du Christ ressuscité. Le dimanche blanc, nous avons vu le Seigneur avec Thomas et il nous a été permis de mettre nos doigts dans ses plaies glorifiées. Le deuxième dimanche, nous nous sommes réunis comme des brebis fidèles autour du Bon Pasteur qui, à Pâques, nous avait rassemblés alors que nous étions errants, et qui, maintenant, nous conduit dans les riches pâturages de ses saints mystères. Jusqu’ici, l’Église était tout oreilles, tout yeux et tout cœur pour le Ressuscité. A partir d’aujourd’hui, elle regarde vers l’avenir, vers un double avenir, l’avenir du Christ et notre propre avenir : Aujourd’hui, pour la première fois, l’Église nous prépare à l’Ascension du Seigneur. Le Christ dit expressément dans l’Évangile d’aujourd’hui : “ Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, car je vais vers mon Père ”. Mais nous ne devons pas croire que l’Église, à la pensée du départ du Christ, va devenir mélancolique et triste. Non ; la jubilation pascale ne diminue pas, elle augmente plutôt. Voyons l’antienne de l’Introït : “ Tressaillez de joie en Dieu, nations de partout, Alleluia, Alleluia ; célébrez son nom, Alleluia ; chantez la magnificence de sa gloire, Alleluia, Alleluia ”. L’Église n’est donc pas triste à la pensée du départ du Seigneur, comme l’étaient les Apôtres dans l’Évangile d’aujourd’hui. Elle me voir le Seigneur monter au ciel, car elle-même ne se sent pas chez elle sur la terre. Le ciel est sa patrie et elle soupire après le jour où elle suivra son Époux dans le ciel. Ceci nous amène à parler du second avenir auquel nous prépare l’Église, notre propre avenir. Jusqu’ici, nous fêtions Pâques. Nous nous sentions pour ainsi dire au ciel. Volontiers nous aurions dit comme saint Pierre : “ Il fait bon ici, dressons-y nos tentes ! ” Nous allions oublier que nous sommes encore sur la terre. L’Église nous ramène aux âpres réalités de la vie quotidienne. Elle ne nous les peint pas en rose ; elle ne nous présente pas un Eden où ne fleurissent que des roses sans épines. Elle le dit clairement aux nouveaux chrétiens comme à nous : la vie chrétienne est une vie dure, difficile, une vie remplie de souffrances, de combats, d’épreuves ; la vie chrétienne est un pèlerinage vers la patrie céleste.
            
1. La messe (Jubilate). - Nous pourrions donner à cette messe le titre suivant : Le chrétien est un étranger sur la terre. Commençons par l’explication de l’Épître de saint Pierre : “ Mes très chers, je vous en avertis, abstenez-vous, comme des étrangers et des pèlerins, des désirs charnels qui luttent contre l’âme ”. Nous devons donc être des étrangers et des pèlerins sur la terre. Pour mieux nous faire comprendre ;"‘recourons à une parabole : Un père avait deux fils.. Quand ils furent grands, il les envoya voyager à l’étranger. Ils devaient s’y instruire et revenir ensuite à la maison. L’un des deux fils s’en va, se plaît à l’étranger, oublie la patrie et s’adonne au jeu et à la boisson. L’étranger devient sa patrie. Le second s’en va, lui aussi. L’amour de la patrie l’accompagne ; il travaille avec ardeur pour s’instruire comme il faut. Les jeunes filles de l’étranger essaient de l’attirer, mais il ne fait pas attention à elles, car il a sa fiancée au pays. Il ne charge pas son sac de voyage et, dès qu’il le peut, il s’en retourne, léger, vers sa patrie. Il souffre souvent de la nostalgie. Quand il reçoit une lettre de son père, sa nostalgie augmente encore. Il écrit souvent lui-même à la maison. De temps en temps, son père lui envoie un pain de la maison, qu’il mange de grand appétit et qui le soutient dans son voyage. Il revient enfin heureusement dans sa patrie. Voilà la parabole. Donnons-en maintenant l’explication. Dieu envoie les hommes sur la terre, qui est pour nous l’exil. Notre patrie, c’est le ciel ; notre Père, c’est Dieu. Une partie des hommes se trouvent si bien sur la terre qu’ils oublient le ciel. Leur cœur est attaché aux biens et aux occupations de la terre ; ils n’ont pas le moindre désir de la patrie céleste. Quand leur Père leur envoie une lettre (c’est-à-dire la prédication, la Sainte Écriture, l’Évangile, qui est la parole de Dieu, une lettre de Dieu), ils se bouchent les oreilles et ne veulent ; pas entendre. Ce sont les enfants du monde. Une autre partie des hommes marche avec amour et espérance vers Dieu et vers le ciel, à travers l’exil de la vie terrestre. Ils se sentent pèlerins et étrangers. Ils vivent sans doute parmi les hommes, remplissent leurs devoirs et leurs tâches, mais leur cœur est dans la patrie. Ils se soumettent aux lois et aux coutumes du pays, s’efforcent de vivre en bons termes avec tous, mais ils se sentent étrangers sur la terre. C’est pourquoi les gens avec qui ils vivent ne les voient pas d’un bon œil ; on les traite de rêveurs chimériques. Ils ne s’alourdissent pas de biens terrestres ; ils passent avec un léger bagage à travers le monde (c’est la pauvreté spirituelle). Ils se réjouissent quand ils reçoivent une lettre de leur Père céleste (c’est-à-dire : ils lisent et entendent volontiers la parole de Dieu). Ils écrivent volontiers au paradis (par la prière). Le Père céleste leur a donné un pain du ciel (la sainte Eucharistie) ; ils sont heureux d’en manger quand le chemin est rude et pénible. Ce pain leur donne de nouvelles forces et les garde des séductions de l’étranger. — Nous comprenons maintenant l’Épître ; elle nous donne les règles de voyage pour notre pèlerinage terrestre. Pour conclure, saint Pierre résume l’attitude que nous devons avoir en quatre phrases courtes : “ Honorez tout le monde, aimez vos frères, ayez du respect pour Dieu, honorez le roi ”.
             
A cette Épître du voyage convient très bien l’Évangile du petit délai. Cette péricope est tirée du discours d’adieu du Seigneur après la Cène. De ce discours, l’Église aime faire les adieux du Seigneur avant l’Ascension. Quand nous entendons cet Évangile, nous devons dire : voici les adieux du Seigneur au moment où il nous quitte. Mais que veut nous dire l’Église, à nous ? Dans notre vie, il y a aussi deux délais, et les choses se passent pour nous exactement comme pour les disciples.“ Un peu de temps et vous ne me verrez pas Il. C’est la vie terrestre, pendant laquelle nous ne voyons pas le Seigneur. C’est le temps de l’exil terrestre, et il en va pour nous comme pour les Apôtres : “ Vous gémirez et vous pleurerez ; quant au monde, il se réjouira ”. La vie terrestre ne présente guère aux enfants de Dieu que des larmes et du chagrin ; ils rencontrent bien des peines sur la terre. Pour les mauvais, ils vivent dans la joie et la, volupté ; ils se rient de nous. Mais cela même est pour nous une consolation. La vie terrestre ne dure qu’“ un peu de temps ”. Bientôt viendra le second délai : “ vous me verrez de nouveau ” ; “ quand je vous reverrai, votre cœur se réjouira, et votre joie, personne ne pourra vous l’enlever. ” Quand nous serons morts, le Sauveur glorifié paraîtra devant nous. Alors toute souffrance sera oubliée, alors ce sera la joie éternelle. — Cette idée du petit délai est chère à la chrétienté ; elle s’applique tour à tour au Seigneur et aux disciples ; elle exerce sur tous les cœurs un véritable charme. L’oraison, elle aussi, est une prière de voyage : “ Ô Dieu, tu montres à ceux qui errent la lumière de ta vérité, afin qu’ils puissent revenir sur la voie de la vérité ”. L’oraison suppose que nous errons sur la terre, que nous avons besoin d’un guide et, pour ainsi dire, d’une étoile, comme les Mages, de la lumière de la vérité (et non de la lumière trompeuse des joies mondaines).
2. La prière des heures. – Aux matines, Saint Augustin parle aujourd’hui de la “ résurrection de la chair ”. Ce passage est très important pour le temps pascal : “ dans ces saint jours consacrés à la Résurrection du Seigneur, nous voulons autant que sa grâce nous le permettra, parler de la résurrection de la chair. C’est en effet notre foi ; ce don nous a été promis dans la chair de Notre Seigneur Jésus-Christ et a été réalisé en lui, par avance, d’une manière exemplaire. Il voulait, en effet, non seulement annoncer ce qu’il nous a promis pour la fin du monde, mais encore le montrer par avance. Car ceux qui vivaient alors et qui s’effrayèrent quand ils le virent, croyant avoir devant les yeux un esprit, constatèrent la réalité de son corps. Il ne parla pas seulement par des paroles à leurs oreilles, mais encore en se montrant à leurs yeux. C’eût été trop peu de se montrer à leurs regards s’il n’avait pas encore offert son corps au toucher. Il dit, en effet : Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi les pensées montent-elles dans votre cœur ? Car ils croyaient voir un esprit. Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi les pensées montent-elles dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds ; touchez, voyez ; car un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai. C’est contre cette évidence que les hommes disputaient. Que peuvent faire les hommes qui ne conçoivent que ce qui est humain sinon disputer contre Dieu sur ce qui est divin ? Car il est Dieu et ils sont hommes. Mais Dieu sait que les pensées des hommes sont vaines. Dans l’homme charnel, toute la connaissance se règle d’après ce qu’il a l’habitude de voir. Ce qu’ils voient d’ordinaire, ils le croient ; ce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, ils ne le croient pas. Dieu fait des miracles qui dépassent ce qui est habituel, parce qu’il est Dieu. Assurément, c’est un plus grand miracle de voir naître tant d’hommes qui n’étaient pas, que d’en voir ressusciter quelques-uns qui étaient déjà ; cependant, on ne remarque pas ces miracles, parce que l’accoutumance les a rendus banals. Le Christ est ressuscité ; c’est un fait certain. Il était corps, il était chair ; il a été suspendu à la Croix, il a rendu son esprit ; sa chair a été mise au tombeau. Celui-là l’a rendue vivante qui vivait en elle. Pourquoi sommes-nous étonnés ? pourquoi ne croyons-nous pas ? C’est Dieu qui a opéré cela. Songez à l’auteur de ce miracle et supprimez le doute”.
            
Au troisième nocturne, le même saint docteur explique le “ petit délai ” : “ Le petit délai est tout l’espace de la vie terrestre ”. Ces paroles : “ Encore un peu de temps et vous me reverrez ” s’appliquent à toute l’Église. Maintenant, sans doute, le petit délai nous paraît bien long. Mais quand il sera passé, on se rendra compte combien il était petit.
             
3. Lecture d’Ecriture. — (Apocalypse, chap. I). On trouve un beau complément des pensées du dimanche sur notre condition d’“ étrangers sur la terre” dans la lecture d’Écriture de cette semaine. L’Apocalypse nous conduit dans la patrie céleste (c’est ce que nous montrent les répons de la semaine). Ce livre est le seul livre prophétique du Nouveau Testament. Les événements de la fin du monde et le retour du Christ pour le jugement dernier en constituent l’objet principal. L’Apôtre saint Jean l’a écrit à Patmos. L’Apocalypse est, pour l’Église universelle de tous les temps, pour tous les fidèles, un livre de consolation et d’encouragement. C’est la confirmation de la promesse du Christ : “ Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ”. Voici le début : “ Révélation de Jésus. Christ, que Dieu lui a confiée pour découvrir à ses serviteurs les événements qui doivent arriver bientôt. Il l’a fait connaître en envoyant un ange à son serviteur Jean, qui atteste la parole de Dieu et le témoignage de Jésus-Christ en tout ce qu’il a vu... Voici qu’il vient leur les nuées. Tout œil le verra, même ceux qui l’ont percé, et toutes les tribus de la, terre se frapperont la poitrine en le voyant. Oui, Amen. “ Je suis l’alpha et l’omega, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant... Moi, Jean, votre frère, qui participe avec vous à l’affliction... je fus ravi en esprit, le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix forte comme une trompette qui disait : “ Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises d’Asie... Alors, je me retournai pour voir quelle était la voix qui me parlait et je vis sept chandeliers d’or et, au milieu des chandeliers, quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme. Il était vêtu d’une longue robe, portait à la hauteur des seins une ceinture d’or. Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine blanche, comme de la neige, et ses yeux étaient comme une flamme de feu. Ses pieds étaient semblables à du minerai d’or qu’on aurait embrasé dans une fournaise et sa voix était comme la voix des grandes eaux... Il tenait dans sa main droite sept étoiles ; de sa bouche sortait un glaive aigu à deux tranchants et son visage était comme le soleil quand il brille dans sa force. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort et il posa sur moi sa main droite en disant : “ Ne crains point, je suis le Premier et le Dernier ; j’ai été mort, mais voici que je suis vivant pour les siècles des siècles ; je tiens les clefs de la mort et de l’enfer ”.
              
4. Chant de la patrie. — La messe nous montre notre condition d’exilés. La lecture d’Écriture nous fait entrevoir la patrie. Les beaux répons nous montrent notre Mère l’Église sous différents aspects : comme la vigne fertile, comme l’Épouse parée et comme Jérusalem.
“ Comme une vigne fertile, j’ai exhalé une suave odeur, Alleluia,
Venez vers moi, vous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits, Alleluia, Alleluia.
En moi est toute grâce de voie et de vérité,
En moi est tout espoir de vie et de vertu ”.
“ Tes places, Jérusalem, sont recouvertes d’or pur, Alleluia.
Et l’on chantera en toi le cantique de la joie : Alleluia.
Et, dans toutes les rues, tous chanteront : Alleluia, Alleluia.
Tu resplendiras de lumière et routes les extrémités de la terre t’honoreront ”.
“ L’un des sept anges me dit :
Viens, je veux te montrer la nouvelle épousée, l’Epouse de l’Agneau.
Et je vis Jérusalem descendre du ciel,
Ornée de tous ses joyaux, Alleluia, Alleluia, Alleluia ”.