MERCREDI DE LA SEMAINE SAINTE

Station à Sainte-Marie Majeure
         
Judas, le misérable.
          
L’Eglise nous fait lire aujourd’hui, comme déjà au temps du pape saint Léon 1er (+461), la Passion selon saint Luc. Les antiennes, au lever et au coucher du soleil, nous parlent de saint Pierre. L’Église rappelle, en ce jour, comme d’ailleurs chaque mercredi, la trahison de Judas.
          
Le matin, nous chantons :“ Simon, tu dors ? Ne peux-tu pas veiller une heure avec moi ? ” (Laudes — ces paroles conviennent bien à cette heure matinale). Le soir, nous chantons : “ La servante dit à Pierre : Assurément tu es l’un d’entre eux, car ton langage même te fait reconnaître ”.
          
1. La Messe (In nomine). — L’église de station est aujourd’hui Sainte-Marie Majeure, une des plus grandes églises de Rome. — Cette circonstance et le fait que la messe a trois leçons nous prouvent que c’est une messe très ancienne. L’église de station a-t-elle exercé une influence sur le choix des leçons ? Saint Luc, l’évangéliste de la Passion d’aujourd’hui, aurait été un peintre qui fit le portrait de la Mère de Dieu. Ce qui est certain, c’est qu’aucun évangéliste ne nous a laissé une aussi belle image de la Sainte Vierge. Rappelons-nous l’histoire de l’enfance du Seigneur. De même, le Prophète de la naissance virginale du Christ, Isaïe, prend deux fois la parole. Nous avons donc un triptyque : au milieu, la Mère de Dieu et, de chaque côté, Isaïe et saint Luc. Ce triptyque résume la messe.
          
Cette fois encore, la messe commence solennellement : le royaume de Dieu, dans ses trois états, est en adoration devant le Seigneur obéissant jusqu’à la mort de la Croix. Devant lui, se prosternent l’Église triomphante, l’Église militante et l’Église souffrante. Mais l’Église le voit déjà dans sa gloire à la droite de son Père. Aujourd’hui encore, un chant directeur se fait entendre à travers toute la messe. On retrouve, dans quatre chants, le psaume 101. C’est un nouveau signe de l’antiquité de cette messe. Nous connaissons déjà ce psaume, qui est un des psaumes de pénitence. Récitons-le en entier. Dans notre messe, le psaume est mis dans la bouche du Christ, auquel s’unit la communauté. Remarquons, dans l’Introït, le contraste entre l’antienne et le psaume. Dans l’antienne, nous voyons le Seigneur dans la gloire du Père ; le psaume nous montre le Christ obéissant jusqu’à la mort de la Croix, le Christ humilié. A la Communion, nous établissons une relation entre le psaume et le breuvage eucharistique : “ Je mêle les larmes à mon breuvage, parce que tu m’as soulevé et jeté au loin... ” Les deux leçons nous donnent les plus belles prophéties d’Isaïe sur la Passion. La première nous parle du divin vendangeur. “ Quel est celui-là qui vient d’Edom, de Bosra, en habits écarlates ? Il est magnifique dans son vêtement, brillant de force. C’est moi (Le Messie), qui promets la justice, qui ne punis que pour sauver. Mais pourquoi ton vêtement est-il rouge, et pourquoi tes habits sont-ils comme les vêtements de ceux qui pressent la vendange dans le pressoir ? Au pressoir, j’ai foulé seul et, parmi les peuples, personne n’a été avec moi. J’ai pressé les peuples dans ma colère et je les ai piétinés dans ma fureur. Mais leur sang a jailli sur mes habits et j’ai souillé tout mon vêtement ”.
             
Le Christ, dans sa Passion, a pressé pour nous le vin eucharistique. — La seconde leçon est particulièrement saisissante. Elle nous décrit l’“ homme des douleurs ” que Dieu a chargé de tous nos péchés. “ Il était méprisé, le dernier des hommes, un homme de douleurs et familier de la souffrance ; son visage était comme voilé et méprisé, aussi nous ne l’avons pas considéré. Il a véritablement porté nos maladies et il s’est chargé de nos douleurs. Nous le regardions comme un lépreux, comme un homme frappé par Dieu et humilié. Mais lui a été blessé à cause de nos iniquités, il a été broyé à cause de nos péchés. Le châtiment qui donne la paix a été sur lui et c’est par ses meurtrissures que nous avons été guéris. Nous étions tous errants comme des brebis ; chacun de nous suivait sa propre voie. Le Seigneur a fait retomber sur lui toutes nos iniquités. Il a été sacrifié parce qu’il l’a voulu ; il n’a pas ouvert la bouche : comme une brebis, il sera mené à la tuerie et, comme un agneau devant celui qui le tond, il restera silencieux et n’ouvrira pas la bouche ”. — La Passion est extraite de l’Évangile de l’amour miséricordieux. Nous y rencontrons des scènes particulièrement touchantes, par exemple : la promesse du Christ au bon larron. A la Postcommunion, nous entendons, pour la première fois, la vénérable oraison qui nous accompagnera pendant tout le saint triduum : “ Jette un regard, nous t’en prions, Seigneur, sur ta famille pour laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ n’a pas hésité à se livrer aux mains des pécheurs et à souffrir le tourment de la Croix ”.
          
2. L’Office des Heures est tout rempli, lui aussi, des plaintes du Christ. Remarquons que les psaumes du mercredi, surtout aux petites Heures, sont très tristes. Ils s’adaptent parfaitement aux sentiments du jour. Par exemple, le psaume 54 (à tierce) est une plainte du Christ sur la trahison de Judas.
Si c’était un ennemi qui m’eût outragé,
Je l’aurais supporté facilement,
Si c’était un adversaire qui se fût élevé contre moi,
Je me serais caché devant lui.
Mais toi, un autre moi-même,
Mon ami et mon confident,
Toi, qui t’asseyais à ma table
Et mangeais de doux aliments,
Nous allions d’un commun accord à la maison… ”
Dans les leçons, le Prophète Jérémie prend de nouveau la parole :
“ Tous ceux qui t’abandonnent périssent ; ceux qui se séparent de toi seront écrits sur le sable, car ils ont abandonné la source d’eau vive, le Seigneur. Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri... car tu es ma louange... Que mes persécuteurs soient confondus et que je ne le sois pas moi-même ! Qu’ils tremblent et que je ne tremble pas ! Amène sur eux le jour du malheur, et abats-les d’un double châtiment.
“ Prête-moi l’oreille, Seigneur, et entends ta voix de mes adversaires. Rend-on le mal pour le bien, puisqu’ils creusent une fosse pour mon âme ? Souviens-toi que je me suis tenu devant toi pour te parler en leur faveur et pour détourner d’eux ta colère ”.
L’Église aime placer ces paroles dans la bouche du Seigneur. Les Répons sont aussi des plaintes du Christ souffrant.
“ Les hommes trompeurs m’ont environné et ils me flagellent sans motif ;
Mais toi, Seigneur. tu es mon avocat, protège-moi.
Grande est ma détresse et il n’y a personne pour m’aider. ”
3. Les matines du Jeudi Saint. — Ce soir, nous célébrons le premier office de Ténèbres. Les matines du Jeudi Saint sont la première partie de la trilogie, le prologue du grand drame. La pensée dominante est : la Passion du Christ dans l’âme du Sauveur, dans ses causes et dans ses conséquences : a) Chez les Juifs, la mort de Jésus est désormais résolue ; b) Judas trahit son Maître ; on parle justement beaucoup de Judas, aujourd’hui ; c) L’agonie du jardin des Oliviers est la Passion complète de Jésus dans son âme et dans sa volonté ; d) L’institution de l’Eucharistie rend présente la Passion du Christ.
         
L’action se passe au soir du premier Jeudi-Saint. Cependant, il ne faut pas considérer cette action comme celle d’un drame ordinaire où l’on suit l’ordre du temps. Ici, les pensées jaillissent avec une liberté spontanée pour revenir toujours au même point. Les images de la Passion du Seigneur, même celles des jours suivants, apparaissent sans se préoccuper de l’ordre chronologique. C’est comme une mosaïque de prières dont l’unité est constituée par la Passion du Christ en général et les événements du soir du Jeudi Saint en particulier.
               
Les psaumes. — D’ordinaire, pour tes matines festivales, comme d’ailleurs pour les matines des deux jours suivants, on choisit les psaumes, c’est-à-dire que, dans le trésor des 150 psaumes, on prend ceux qui sont le plus adaptés aux pensées et aux sentiments de la fête. Ce n’est pas le cas dans les matines d’aujourd’hui ; mais on récite, à la suite, les psaumes 68 à 76 (les anciennes matines fériales allaient jusqu’au psaume 67 ; c’est pourquoi on commençait celles du jeudi par le psaume 68). Tous ces psaumes ne se rapportent pas aux pensées de la Passion. Cela donne à ces matines une faiblesse qui est peut-être voulue, car ces matines sont l’introduction de la trilogie. Mais cela fait qu’elles sont un peu moins intéressantes et, quand on n’est pas très habitué à la liturgie, on a de la peine à ramener les psaumes aux pensées du jour.
           
Les Lamentations ont déjà été examinées. Nous y entendons, sous la figure de Jérusalem, l’épouse infidèle, les plaintes de l’humanité coupable qui déplore la souillure du péché et le châtiment mérité. C’est ainsi que nous comprenons aujourd’hui le premier nocturne de ces trois jours. Dans l’office de prière, nous entendons les plaintes du Seigneur souffrant ; dans l’office de lecture, l’humanité se frappe la poitrine et dit : Voilà ce qu’il souffre pour moi !
            
Les Répons de l’Office de Ténèbres sont, dans leur simplicité, d’une beauté et d’une poésie incomparables. Ce sont eux qui donnent aux matines leur caractère dramatique et assurent l’unité de l’action. Aux matines du Jeudi Saint, ils présentent même un certain ordre et une certaine gradation. Au premier nocturne, il s’agit de l’agonie du Christ au jardin des Oliviers ; au second nocturne, il est question de Judas ; au troisième nocturne, on parle du sommeil des Apôtres et des plans meurtriers des Juifs. Le dernier répons, aux matines des trois jours, donne la situation au moment où l’action atteint son paroxysme.
          
Pendant les trois jours, Jérémie prend la parole au premier nocturne, saint Augustin au second, saint Paul au troisième. y a-t-il là une intention ? Jérémie est la figure du Messie souffrant et personne n’a éprouvé aussi fortement que saint Paul et saint Augustin l’effet de la Passion du Christ dans la grâce de la conversion.
            
Quand nous considérons tout l’ensemble des matines, nous découvrons une assez grande unité.
         
La veille du Jeudi Saint.
1. Le plus grand espace est occupé par l’agonie au jardin des Oliviers. La plupart des psaumes : 63, 69, 70, 76 peuvent s’y rapporter.
2. La dernière Cène est représentée dans la Neuvième leçon ; de même, dans le psaume 71.
3. Quelques scènes du soir :
a) Judas : les répons 4, 5, 6, 8.
b) Le sommeil des Apôtres : rép. 8. c) Les ennemis : rép. 9.4. Enfin, la Passion de Jésus en général : Psaumes 72,73, 74, 75. Sixième leçon.
Passages classiques : avant tout, les répons. Le psaume 68 et la huitième leçon sont d’une grande beauté. Les lamentations sont sublimes.