JEUDI SAINT (double de 1ère classe)

Station à Saint-Jean De Latran
             
La Passion de Jésus, le corps de Jésus, l’amour de Jésus.
                
Ce jour s’appelle dans la liturgie romaine : “ In caena Domini ”, la Cène du Seigneur.
            
Alors que les matines chantent surtout l’agonie de Jésus, qui est le commencement de la Passion, la Cène est le point central des cérémonies du jour. Aussi, rappelons brièvement les événements de la Cène : Dans la matinée, Jésus envoya ses Apôtres préférés, Pierre et Jean, de Béthanie à Jérusalem, pour se procurer l’agneau pascal et préparer la table pour le premier sacrifice de la messe. Voici quelle fut la suite des événements : 1. Repas pascal (l’agneau pascal) ; 2. Le lavement des pieds ; 3. Le traître démasqué ; 4. Institution de la sainte Eucharistie ; 5. Le discours d’adieu et la prière sacerdotale. Les cérémonies comprennent quatre parties : 1. La messe ; 2. La bénédiction des saintes huiles ; 3. Le dépouillement des autels ; 4. Le lavement des pieds.
             
1. Réconciliation des pénitents. — Aujourd’hui encore, cette cérémonie émouvante se trouve dans le pontifical romain. Sans doute, elle n’est plus en usage aujourd’hui ; elle peut, cependant, nous enseigner l’esprit de pénitence et la joie de la pénitence. La vénérable cérémonie le déroulait ainsi. L’évêque revêtu des ornements violets de la pénitence, s’agenouille, avec son clergé, devant l’autel majeur, et tous récitent ensemble les sept psaumes de la pénitence et les litanies des saints. Pendant ce temps, les pénitents sont devant la porte de l’église, pieds nus et prosternés à terre, tenant à la main un cierge non allumé. Après les premières invocations des litanies, l’évêque envoie vers les pénitents deux sous-diacres portant un cierge allumé. Ces deux sous-diacres entrent sous le porche, montrent aux pénitents, en levant les mains, leur cierge allumé, et chantent devant eux, comme premier message de paix, cette antienne : “ Aussi vrai que le Seigneur vit, je ne veux pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie ”. Immédiatement après, ils éteignent leur cierge et retournent auprès de l’évêque. L’évêque envoie une seconde fois deux sous-diacres. Ces sous-diacres apportent aux pénitents, sur le seuil de l’église, un second message de paix en chantant cette antienne : “ Le Seigneur dit : Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche ”. Eux aussi éteignent leur cierge et retournent auprès de l’évêque, à l’intérieur de l’église. Cette fois, l’attente des pénitents a assez duré. A l’Agnus Dei des litanies, l’évêque leur envoie un des diacres les plus anciens. Quand ce diacre, portant un grand cierge allumé, arrive sur le seuil de l’église, il chante l’antienne “ Relevez vos têtes, votre rédemption est proche ”, puis il allume à son cierge les cierges des pénitents. Il n’éteint pas le sien ; il va rejoindre le clergé avec son grand cierge allumé. Comme ces messages symbolisent bien l’effet des litanies des saints pour les pénitents ! Après les litanies, l’évêque procède lui-même à la réconciliation. Il quitte l’autel et se rend avec tout le clergé au milieu de la nef. Là, il s’assied sur son siège sans dossier, et le clergé se dispose sur deux rangs dans la direction de la porte de l’église. L’archidiacre, revêtu de ses ornements, s’avance vers la porte et crie aux : pénitents qui sont debout dehors : “ Gardez le silence et écoutez attentivement ”. Il se tourne ensuite vers l’évêque et lui adresse, sur le ton de la lecture, un discours assez long dans lequel il parle du jour de grâce qui se lève. “ Il est déjà venu, révérendissime Père, le temps de grâce, le jour de la faveur divine et du salut des hommes, le jour où la mort a été vaincue et où la vie a commencé. Dans la vigne du Seigneur des armées, la plantation des nouveaux ceps doit être taillée pour que la racine souillée soit purifiée ”. A ces mots, l’évêque se lève, s’avance entre la double haie du clergé et va se placer sous le portail de l’église. Il adresse à son tour une courte exhortation aux pénitents, leur rappelle la bonté de Dieu et la concession du pardon, leur annonce qu’ils vont bientôt être réintégrés dans l’Église et leur indique comment ils devront vivre désormais. Puis, il chante cette paternelle invitation : “ Venez, venez, venez, mes fils ; écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur ”. Le diacre qui est auprès des pénitents chante alors : “ Fléchissons les genoux ”, et tous les pénitents s’agenouillent. Le diacre qui est auprès de l’évêque chante à son tour : “ Levez-vous ”. Deux fois encore, l’évêque chante la paternelle invitation : “ Venez, venez, venez, mes fils ” et deux fois encore, à l’appel des diacres, les pénitents s’agenouillent et se lèvent. L’entrée commune dans l’église est imminente. Lentement, l’évêque franchit le porche et prend sa place dans l’intérieur, non loin de l’entrée. On entonne immédiatement une antienne : “Allez vers lui et vous serez illuminés et votre visage ne sera pas couvert de honte ”. Cette antienne est empruntée au psaume 33, qui décrit le bonheur de ceux qui craignent Dieu. Le psaume est chanté en entier. Pendant le psaume, les pénitents suivent l’évêque. Ils se jettent à terre en versant des larmes et restent prosternés jusqu’à la fin du psaume. Alors, l’archidiacre demande à l’évêque de les réconcilier. Il dit sur le ton de la lecture : “ Rétablissez, pasteur apostolique, ce qui a été perdu à l’instigation du diable. En vertu de vos prières et de vos mérites, conduisez, par la grâce du divin pardon, ces hommes à Dieu. Ils ont eu assez de déplaisir dans leurs péchés ; ils plaisent maintenant au Seigneur dans la terre des vivants ; puissent-ils aspirer au bonheur maintenant que l’auteur de leur mort est vaincu ”. L’évêque interroge encore l’archidiacre pour lui demander si les pénitents sont dignes. Celui-ci répond affirmativement. C’est alors que s’accomplit l’entrée solennelle dans l’église. Un diacre chante : “ Levez-vous ”. Les pénitents se lèvent, l’évêque prend l’un d’entre eux par la main, le suivant prend la main de son voisin et ainsi de suite jusqu’à la fin. Tous, chacun tenant ainsi la main de son voisin, pénètrent sur deux rangs à la suite de l’évêque à l’intérieur de l’église. Cette entrée singulière est. un spectacle liturgique impressionnant. De sa main libre, l’évêque tient la crosse, et les pénitents ont dans leur main libre un cierge allumé. En tête, l’évêque porte les ornements violets de pénitence ; les pénitents qui le suivent portent leurs longs vêtements de pénitence. C’est un passage impressionnant de la sévérité à la joie de la pénitence. Pendant ce temps, les chantres font entendre une joyeuse antienne : “ Je vous le dis : il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence ”. Après cette antienne, l’évêque se tourne vers les pénitents agenouillés autour de lui. Il est le père de famille qui se réjouit du retour de l’enfant prodigue. Il chante : “ Tu dois te réjouir, mon fils, car ton frère était mort et il est ressuscité ; il était perdu et il est retrouvé ”. Puis, se fait la réconciliation proprement dite. L’évêque chante une prière sur le ton de la préface. Il rappelle au Père céleste la mort rédemptrice du Christ pour la guérison de toutes les blessures “ afin que, par sa bonté, nous ressuscitions ”. Il supplie le Père céleste de pardonner les péchés des autres. Alors, l’action change ; nous passons à la grave sentence d’une réconciliation complète. L’évêque s’agenouille sur un coussin, le clergé et le peuple s’agenouillent par terre. On entonne l’antienne : Cor mundum : “ Crée en moi un cœur pur, Seigneur, et renouvelle en moi un esprit ferme ”, et l’on chante le psaume 50 (le grand miserere), le psaume 55 (confiance en Dieu dans la détresse) et le psaume 56 (victoire de la confiance). A la fin, l’évêque se lève et chante six longues oraisons pour demander la rémission des péchés et termine par l’absolution proprement dite : “ Que Notre-Seigneur Jésus-Christ vous absolve, par moi, son serviteur, de tous vos péchés, et qu’après vous avoir absous, il vous conduise par sa miséricorde au royaume céleste !” Après cette absolution, l’Evêque, en personne, rend pour la première fois aux pénitents les honneurs liturgiques perdus, de l’eau bénite et l’encens... Il dit pendant ce temps : “ Levez-vous, vous qui dormez, ressuscitez des morts et le Christ vous illuminera”. Il leur accorde enfin une indulgence à son gré et leur donne la bénédiction pontificale solennelle. Les pénitents sont entièrement réintégrés dans la communauté de grâce et de vie liturgique.
             
2. La messe de la Cène. — La messe du Jeudi Saint a une importance particulière, c’est la solennité commémorative de la dernière Cène. Cette messe est tout à fait saisissante et touchante. Dans l’esprit de la liturgie, nous ne devons pas nous contenter d’être des spectateurs, nous devons participer au drame. Nous devons nous sentir les disciples de Jésus. Nous sommes rassemblés au Cénacle, autour du Maître qui nous lave les pieds et nous donne, de sa propre main, son corps et son sang en nourriture. La messe présente une double impression, une impression de joie et une impression de tristesse. C’est d’abord une impression de joie. L’autel est orné ; la croix du maître-autel est voilée de blanc ; le prêtre monte à l’autel en ornements blancs ; on chante le joyeux Gloria qu’on n’a pas entendu depuis si longtemps ; pendant le Gloria, on sonne, pour la dernière fois, les cloches. Ensuite, les cloches se taisent. Il est peu de jours dans l’année qui touchent notre cœur autant que celui-là
               
Pourtant, sur cette fête joyeuse, qui est consacrée à l’institution du Sacrement de l’autel, s’étend un voile de profonde tristesse. Aujourd’hui, dans toutes les églises, une seule messe est permise. Le prêtre le plus digne remplace le Christ ; les autres sont, pour ainsi dire, les Apôtres et reçoivent de ses mains la sainte Communion ; la messe est, en effet, la célébration de la Cène. Mais la messe devrait être une véritable fête de famille et de communauté. Le curé, ses auxiliaires et toute la paroisse autour de la table du Seigneur ou, pour mieux dire, le Christ avec ses disciples ! L’église de station est Saint-Jean de Latran, l’église paroissiale du père de la chrétienté. Ainsi, dans l’esprit de la liturgie, toute la famille de l’Église romaine est rassemblée pour célébrer la Cène.
                  
A l’Introït, nous chantons la fière parole de saint Paul : “ Nous devons nous glorifier dans ]a Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ...” Nous voyons devant nous tout le bonheur de la Rédemption. Nous oublions presque l’amertume de la Passion pour voir déjà]a Résurrection. La pensée de la Résurrection, que nous entendons déjà dans l’Introït, se poursuit dans l’Oraison et le Graduel (“ c’est pourquoi Dieu l’a exalté ”). La messe appartient donc déjà à la solennité pascale. L’Oraison fait ressortir deux pensées nouvelles qui se rattachent à deux personnes, le bon larron et Judas. Le bon larron représente les pénitents qui sont réconciliés aujourd’hui. C’est pourquoi l’Offertoire chante en leur nom : “ Je ne mourrai point, mais je vivrai et raconterai les œuvres du Seigneur ”. La pensée de Judas et de sa réprobation occupe aujourd’hui la liturgie en quelques passages ; dans l’Épître (tout au moins, par allusion, quand elle parle de la communion indigne) ; dans l’Évangile (“ alors que le diable avait déjà inspiré à Judas Iscariote la pensée... ”) ; au Canon, remarquons le contraste : “ le jour où Notre-Seigneur Jésus-Christ fut livré pour nous (traditus) ” : — “à cause du jour où Notre-Seigneur Jésus-Christ livra à ses disciples la célébration des mystères de son corps et de son sang (tradidit) 1. L’Evangile nous rapporte l’acte d’humilité de Jésus dans le lavement des pieds et le précepte de charité fraternelle qu’il nous donne. Les deux lectures sont un testament du Maître au moment de son départ. Il nous donne son corps et son amour.
              
Aujourd’hui, on omet le baiser de paix. Les liturgistes donnent comme raison le baiser de Judas. Ce ne doit pas être le vrai motif, car on omet également le baiser de paix le Samedi Saint. C’est donc une règle pour tout le triduum.
                   
La Communion unit te souvenir des deux grandes preuves d’amour données par le Seigneur en ce jour : l’Eucharistie et le lavement des pieds. C’est le lavement des pieds qui fait l’objet de l’antienne. Il y a là un sens profond. Nous ne pouvons pas imiter le don eucharistique, mais nous pouvons et devons imiter l’exemple donné dans le lavement des pieds : la charité et le service de nos frères. Cette charité est l’expression et la conséquence de notre union avec le Christ fondée dans l’Eucharistie.
               
Après la messe, on emporte t’hostie consacrée pour le lendemain, ainsi que la sainte réserve, dans une chapelle latérale éloignée. D’après la conception religieuse actuelle, cela signifie : l’Époux est enlevé, l’église reste vide. L’ancienne Église, il est vrai, pensait autrement. La procession accompagnant la réserve eucharistique avait lieu après chaque messe. Les saintes Espèces n’étaient pas conservées dans l’église. On ne peut pas dire cependant que l’église est vide. Le Christ est représenté par l’autel, et la maison de Dieu est le séjour de prédilection de la Sainte Trinité.
             
3. Bénédiction des saintes Huiles. — Très peu de personnes pourront assister à cette partie de la cérémonie, car la bénédiction des saintes Huiles n’a lieu que dans les églises cathédrales.
               
On doit, pour Pâques, renouveler la matière de tous les sacrements. Comme on a besoin, le Samedi-Saint, des saintes Huiles pour la bénédiction des fonts baptismaux, ces saintes Huiles sont bénites aujourd’hui par l’évêque. Il y a, comme on sait, dans l’Église, trois sortes de saintes Huiles : l’huile des infirmes, l’huile des catéchumènes et le saint chrême. L’huile des infirmes sert à l’administration du sacrement de l’Extrême-Onction. L’huile des catéchumènes est employée pour la bénédiction de l’eau baptismale, pour l’administration du baptême, pour la consécration des prêtres, pour la consécration de l’autel. Le saint chrême est la plus sainte de toutes les huiles ; il porte en quelque sorte le Saint-Esprit. On l’emploie pour le baptême, pour la Confirmation, pour la consécration des évêques, pour la consécration des églises, des calices, des patènes et des cloches.
                  
La bénédiction des saintes Huiles se fait avec une grande solennité. y participent, d’après un antique usage, douze prêtres, sept diacres et sept sous-diacres, c’est-à-dire les représentants de tous les Ordres majeurs. L’huile des infirmes est bénite la première, à la fin du Canon, avant le Pater Noster, au moment où, dans l’antiquité, on bénissait les oblats non consacrés. Après la Communion, on bénit les deux autres huiles. Les prières de bénédiction expriment l’efficacité de ces huiles. L’huile des catéchumènes doit servir à la “ purification de l’âme et du corps ” et combattre l’influence des puissances diaboliques. Si l’huile des catéchumènes n’a qu’un effet négatif, le saint chrême doit produire positivement la grâce et la sanctification. Il tient son nom du Christ, de l’Oint. On le considère comme l’huile des “ prêtres, des rois, des prophètes et des martyrs ”. Les fidèles reçoivent, par le saint chrême, “ l’infusion de la dignité royale, sacerdotale et prophétique, et sont revêtus de la grâce impérissable ”.
                  
4. Le dépouillement des autels. - Après la messe, les autels sont dépouillés ; on enlève toutes les nappes, ainsi que les reliques. Dans l’antiquité, c’était un usage constant de découvrir l’autel après chaque messe. On se rendait mieux compte, à cette époque, que l’autel est une table. On ne la couvrait que pour le banquet divin, comme on le fait pour les repas ordinaires. Cet antique usage s’est maintenu dans la Semaine Sainte. Au reste, nous pouvons remarquer, pendant ce saint temps, la survivance de beaucoup d’usages antiques qu’on a interprétée plus tard comme un souvenir de la Passion du Christ. L’autel est le symbole du Christ ; le dépouillement de l’autel signifie donc le dépouillement du Christ avant le crucifiement. C’est pourquoi, aussi, pendant cette cérémonie, on chante le psaume 21 avec cette antienne : “ Ils se sont partagé mes vêtements et ils ont tiré ma robe au sort ” (le psaume 21 est le psaume messianique de la Passion dans lequel David contemple le délaissement de Jésus sur la Croix). L’église, dépourvue de tout ornement, nous présente l’image de la solitude et de la désolation. Le saint sacrifice est interrompu jusqu’à ce que le Seigneur sorte du tombeau.
             
5. Le lavement des pieds. — Dans les églises cathédrales et claustrales, on conserve encore le vénérable usage du lavement des pieds qui, dans l’antiquité, n’était pas limité au Jeudi Saint. On appelle cette cérémonie, le “ mandatum ”, le commandement du Seigneur. Pendant que l’évêque ou l’abbé lave les pieds de douze vieillards (ou de douze enfants), le chœur entonne un chant en l’honneur de la charité fraternelle :
“ Là où se trouvent la charité et l’amour, Dieu est présent.
Réjouissons-nous et tressaillons en lui !
Craignons et aimons le Dieu vivant
Et aimons-nous les uns les autres d’un cœur pur ”.
Il y a, dans ces chants, du charme, de la paix, de la fraîcheur et une joie presque enfantine. C’est vraiment le cantique des enfants de Dieu, de la famille de Dieu réunie dans la charité.
Le lavement des pieds ne doit pas être seulement un spectacle pour les enfants, mais nous devrions y chercher nous-mêmes des leçons de vie. Comme nous l’avons dit plus haut, il serait possible, dans les paroisses, d’inviter douze vieillards qui seraient servis à table par le curé ou par les principaux paroissiens. On pourrait résumer l’office du Jeudi Saint dans ces trois mots : le corps de Jésus, la Passion de Jésus, l’amour de Jésus.
               
6. Les matines du Vendredi Saint. — Les matines du Vendredi Saint sont la seconde partie de la trilogie et son point culminant. Nous pouvons les intituler : La mort du Christ sur la Croix. Sans doute, ici non plus ; l’action ne suit pas l’ordre historique ; nous pouvons cependant dire qu’elle a son centre dans cette scène : Jésus est suspendu à la Croix. Quand d’autres scènes de ce jour se présentent à nous, nous pouvons les interpréter comme des images et des souvenirs qui passent devant les regards du Sauveur crucifié. L’impression des matines est donc profondément triste ; on a choisi les psaumes les plus douloureux et les plus mélancoliques du psautier ; dans les Lamentations, nous trouvons même, si l’on peut dire, un accroissement de tristesse. Les répons, d’une grande beauté, sont également profondément tristes. lis ne suivent pas l’ordre des événements. Le mieux sera de nous représenter le Seigneur sur la Croix et d’écouter, dans les répons, l’expression de ses sentiments et de ses souffrances : tantôt c’est un délaissement sans nom, tantôt une plainte douloureuse ; Jésus pense à quelques scènes du jour et du soir précédents.
                  
Donnons une brève esquisse de ces matines et signalons les plus beaux passages. Au premier nocturne nous voyons commencer immédiatement le combat des Juifs et des païens contre Dieu et son Christ (Ps. 2) ; puis, la divine Victime nous apparaît sur la Croix : “ Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ” Puis nous chantons le psaume messianique de la Passion (21) : “ Ils se sont partagé mes vêtements et ils ont tiré ma robe au sort ”. Ce psaume appartient au point culminant des matines. Vient ensuite un psaume de confiance calme qui exprime les sentiments du Seigneur au milieu de son agonie mortelle : “ Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? ” Dans les leçons, nous voyons l’épouse déshonorée : “ A qui te comparerai-je, à qui t’assimilerai-je, fille de Jérusalem ?… Car grande comme la mer est ton affliction ”. La liturgie met ensuite devant nos yeux une image du Golgotha :
“ Le voile du temple se déchira,
La terre trembla et le larron sur la croix cria :
“ Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume ”.
Les rochers se fendirent, les tombes s’ouvrirent,
Et les corps de plusieurs saints qui étaient endormis ressuscitèrent ”.
Dans la troisième leçon, le Christ, l’Homme des douleurs, se présente lui-même à nous : “ Je suis l’homme qui voit la misère sous la verge de son courroux. Il m’a opprimé et m’a conduit dans les ténèbres et non à la lumière ”.
                  
Au second nocturne, nous chantons le psaume de la flagellation (37) : “ Il n’y a rien de sain dans ma chair à cause de ta colère, il n’y a rien de sauf dans mes os à cause de mes péchés ”. Rien n’est émouvant comme la prière du soir du Christ sur la Croix (Ps. 39). Dans les leçons, nous entendons de nouveau saint Augustin : Il applique le psaume 63 à la Passion du Christ. Le cinquième répons, qui constitue précisément le milieu des matines, décrit la mort du Seigneur.
                  
Au troisième nocturne le psaume 87, d’une si profonde tristesse, nous fait de nouveau atteindre le point culminant du drame : “ Mon âme est rassasiée de maux et ma vie touche au royaume des morts ”. Les leçons apportent une pensée entièrement nouvelle : Le Christ est notre grand prêtre éternel qui a offert une seule fois, sur l’autel de la Croix, le sacrifice parfait ; il est Prêtre et Victime à la fois. — Le dernier répons nous montre l’image finale, le Christ au paroxysme de sa douleur.
“ Mes yeux sont voilés de larmes,
Car celui qui me consolait s’est éloigné de moi !
Peuples. regardez tous et voyez
S’il est une douleur semblable à ma douleur. ”