Nous étions assis sur les bords des fleuves de Babylone et
nous pleurions
La liturgie continue de développer le thème de
l’espérance ; toutefois c’est plutôt ici le côté négatif sous"
l’image de l’exil : La vie terrestre est l’exil de la patrie céleste.
L’homme doit se considérer comme un étranger sur terre (Offert.), il
doit supporter l’exil terrestre en esprit de pénitence (Intr.), il doit
bien employer le temps de cet exil (“ rachetez le temps ”, Epître)
par l’anéantissement du péché (Or., Secr.) , par la conduite d’une
vie sainte (Intr., Ep., Comm.). Il doit en particulier entretenir une
sainte nostalgie de l’éternelle patrie (Ev., Grad., Off., Comm.). Le
point culminant de toute la messe est le chant de l’Offertoire ; nous y
trouvons l’expression de toute notre nostalgie céleste (espérance) : “
Nous étions assis sur les bords des fleuves de Babylone et nous pleurions
tandis que nous évoquions ton souvenir, Sion. ”
1. La Messe (Omnia quae). —
Parmi toutes les messes dominicales de l’automne liturgique, celle-ci est
certainement la plus recueillie, tout empreinte de la nostalgie du ciel et des
douleurs de l’exil. L’âme se présente aujourd’hui comme une pauvre exilée dans
la maison de Dieu ; elle reconnaît, avec les trois jeunes gens dans la
fournaise de Babylone, qu’elle a mérité ses souffrances à cause de ses péchés
(nous devons supporter toutes les amertumes de la vie en esprit de
pénitence) ; mais elle aspire à la patrie, dont elle voit l’image dans le
sanctuaire. La phalange des prêtres, qui font leur entrée en vêtements blancs,
représente pour elle la vie sans tache (Intr.). L’Oraison se tient dans
les mêmes pensées : pardon et paix. L’Épître expose l’état d’exil
du chrétien ici-bas : il n’y a pas pour lui de patrie sur terre ;
aussi ne devons-nous pas y placer nos délices ; nous devons seulement bien
employer le temps précieux qui nous est donné, réaliser pleinement ce mot (1
racheter ”, car les jours sont mauvais ; bien loin de nous laisser enivrer
par le monde, nous devons plutôt “ nous enivrer ” de l’action du Saint Esprit.
Dans l’exil, nous chantons de grand cœur les cantiques de la patrie (les
psaumes). Le Graduel chante le désir de la patrie céleste et le gage qui
nous en est donné (la Sainte Eucharistie). L’Alleluia est
particulièrement beau : notre cœur est prêt à recevoir le Seigneur à son
retour ; nous touchons déjà les cordes pour célébrer l’éternel cantique de
Pâques, l’alleluia. Que nous ayons vu jusqu’ici l’image de l’exil, c’est ce que
nous montre l’Église dans le récit de l’Evangile : La préoccupation
essentielle de notre vie est la guérison de notre âme malade, pour laquelle
nous devons adresser en toute confiance la prière que fit l’officier du roi. “
Descends avant que mon âme ne meure ! ”), nous écrions-nous ;
descends maintenant jusqu’à nous au Saint Sacrifice, afin que notre âme soit
guérie ; descends à ton retour (à notre mort) dans cette vallée de larmes,
afin que nous soyons guéris et ressuscités, corps et âme. A la consécration, il
descend réellement et apporte à notre âme une nouvelle grâce de
rédemption ; c’est le même Sauveur qui descendra un jour, au jugement
dernier, “ pour juger les vivants et les morts ”). — La procession
de [‘Offertoire est aujourd’hui le cheminement de la vie terrestre à
travers le. lieu d’exil et nous chantons le cantique saisissant de la nostalgie
(récitons le psaume 136 en entier) ; le verset caractérise toute la messe.
Secrète : l’Eucharistie est le remède à toutes les maladies de
notre âme. Les péchés doivent être détruits avant que l’exil prenne fin. — Dans
l’exil de la vie, nous avons une consolation : l’espérance du ciel ;
l’Eucharistie est notre “ consolation dans notre état d’humiliation ” (Comm.).
Mais la condition préliminaire est “ l’obéissance aux commandements de
Dieu ” (Postc.).
L’Église désire que nous prenions place dans le récit
évangélique, comme si nous le vivions en nous-mêmes. D’où ces antiennes
directrices : “ Il y avait un officier du roi dont le fils était malade à
Capharnaüm. Ayant entendu dire que Jésus venait en Galilée, il le pria de guérir
son fils” (ant. de Bened.),. “ Le père reconnut que c’était à cette
heure que Jésus avait dit : Ton fils vit ; et il crut, lui et toute
sa maison” (ant. de Magn.). Nous voyons de nouveau ici l’intention de
l’Église ; elle nous fait chanter, au commencement et à la fin du jour, le
commencement et la fin du récit de la guérison ; la journée tout entière
est donc consacrée à ce mystère.
2. Le psaume 136. — Il y a peu
de psaumes dans tout le psautier qui puissent faire, à la première lecture, une
impression aussi profonde que celui-ci. Ce psaume est une élégie
saisissante :
Sur les bords des fleuves de Babylone nous
étions assis et nous pleurions, tandis que nous évoquions ton souvenir, Sion.
Là, nous avions suspendu aux saules nos harpes.
Là, nos geôliers nous demandaient de chanter de
joyeux cantiques ;
Nos oppresseurs
nous harcelaient : : “ Chantez-nous un cantique de Sion ! ”
“ Comment chanterions-nous un cantique de Dieu
sur une terre étrangère ? ”
Si je viens à t’oublier jamais, Jérusalem, que
ma droite se dessèche ;
Que ma langue s’attache à mon palais, si je
cesse de penser à toi, Si Jérusalem n’est plus au premier rang de mes joies.
N’oublie pas, Seigneur, les cris qu’ont poussés
les enfants d’Édom au jour du malheur de Jérusalem :
“ Détruis-la,
détruis-la jusque dans ses fondements ! ”
Et toi, fille de Babylone, vouée au malheur,
heureux qui te rendra ce que tu nous as fait ;
Bénis celui qui saisira tes petits enfants , et
le brisera contre les rochers.
Nous nous rendons en esprit à Babylone ; nous voyons,
sur les bords de l’Euphrate une foule de Juifs qui se rassemblent pour prier.
Nous voyons aussi les chantres qui exécutaient jadis leurs chants au Temple de
Jérusalem pendant la célébration du service divin ; ils sont assis, tout
tristes, au bord du fleuve (c’est là que les Juifs faisaient leurs ablutions
avant la prière et, à l’étranger, ils priaient volontiers auprès d’un fleuve).
Ils sont là pour commencer le service divin par un chant, un cantique de Sion,
comme ils disent volontiers. Pourtant non, ils n’y parviennent pas. Muets de
tristesse, les joues baignées de larmes, ils portent leur souvenir vers le
Temple, vers la montagne de Sion à Jérusalem, et ils suspendent leurs harpes
aux saules. Les cantiques des Juifs étaient connus et célèbres au loin ;
c’est pourquoi les habitants de Babylone harcèlent les captifs : “
Chantez-nous donc un de vos beaux cantiques de Sion ! ” Mais non, aucun
Juif ne pouvait s’y résigner : “ Comment pourrions-nous chanter un cantique
de Dieu sur la terre étrangère, sur la terre d’exil ? ” Puis l’un d’entre
eux lève la main en signe de serment et s’écrie bien haut : “ Si je
t’oublie jamais, Jérusalem, que ma main se dessèche ; que ma langue
s’attache à mon palais, si je ne me souviens pas toujours de toi, si Jérusalem
n’est pas au premier rang de mes joies. ” Et maintenant nous le voyons tendre
le poing aux complices de ses ennemis, les Edomites, ses compatriotes qui ont
excité les Babyloniens : “ Détruisez donc Jérusalem de fond en
comble ! ” Puis le Juif tend les deux poings à Babylone et vocifère une
terrible malédiction : “ Béni celui qui saisira tes petits enfants et leur
brisera la tête contre les rochers. ” Tel est le contenu du psaume 136 que
l’Église nous fait chanter aujourd’hui à la messe. Comment utiliser ce psaume
pour notre prière ? Notre vie ressemble aussi à un exil. Le ciel est notre
patrie, la terre est un lieu d’exil. Et en ce moment, pendant l’automne
liturgique, l’Église nous invite justement à diriger tous nos désirs vers le
ciel. Notre Jérusalem est la céleste Sion où nous serons unis pour toujours au
Christ et à tous les saints. Alors nous devons avoir au cœur la même nostalgie
que celle qu’ont exprimée dans leur psaume les Juifs exilés. Le psaume est donc
le chant de notre nostalgie pour la céleste patrie.