VINGTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Nous étions assis sur les bords des fleuves de Babylone et nous pleurions
La liturgie continue de développer le thème de l’espérance ; toutefois c’est plutôt ici le côté négatif sous" l’image de l’exil : La vie terrestre est l’exil de la patrie céleste. L’homme doit se considérer comme un étranger sur terre (Offert.), il doit supporter l’exil terrestre en esprit de pénitence (Intr.), il doit bien employer le temps de cet exil (“ rachetez le temps ”, Epître) par l’anéantissement du péché (Or., Secr.) , par la conduite d’une vie sainte (Intr., Ep., Comm.). Il doit en particulier entretenir une sainte nostalgie de l’éternelle patrie (Ev., Grad., Off., Comm.). Le point culminant de toute la messe est le chant de l’Offertoire ; nous y trouvons l’expression de toute notre nostalgie céleste (espérance) : “ Nous étions assis sur les bords des fleuves de Babylone et nous pleurions tandis que nous évoquions ton souvenir, Sion. ”
1. La Messe (Omnia quae). — Parmi toutes les messes dominicales de l’automne liturgique, celle-ci est certainement la plus recueillie, tout empreinte de la nostalgie du ciel et des douleurs de l’exil. L’âme se présente aujourd’hui comme une pauvre exilée dans la maison de Dieu ; elle reconnaît, avec les trois jeunes gens dans la fournaise de Babylone, qu’elle a mérité ses souffrances à cause de ses péchés (nous devons supporter toutes les amertumes de la vie en esprit de pénitence) ; mais elle aspire à la patrie, dont elle voit l’image dans le sanctuaire. La phalange des prêtres, qui font leur entrée en vêtements blancs, représente pour elle la vie sans tache (Intr.). L’Oraison se tient dans les mêmes pensées : pardon et paix. L’Épître expose l’état d’exil du chrétien ici-bas : il n’y a pas pour lui de patrie sur terre ; aussi ne devons-nous pas y placer nos délices ; nous devons seulement bien employer le temps précieux qui nous est donné, réaliser pleinement ce mot (1 racheter ”, car les jours sont mauvais ; bien loin de nous laisser enivrer par le monde, nous devons plutôt “ nous enivrer ” de l’action du Saint Esprit. Dans l’exil, nous chantons de grand cœur les cantiques de la patrie (les psaumes). Le Graduel chante le désir de la patrie céleste et le gage qui nous en est donné (la Sainte Eucharistie). L’Alleluia est particulièrement beau : notre cœur est prêt à recevoir le Seigneur à son retour ; nous touchons déjà les cordes pour célébrer l’éternel cantique de Pâques, l’alleluia. Que nous ayons vu jusqu’ici l’image de l’exil, c’est ce que nous montre l’Église dans le récit de l’Evangile : La préoccupation essentielle de notre vie est la guérison de notre âme malade, pour laquelle nous devons adresser en toute confiance la prière que fit l’officier du roi. “ Descends avant que mon âme ne meure ! ”), nous écrions-nous ; descends maintenant jusqu’à nous au Saint Sacrifice, afin que notre âme soit guérie ; descends à ton retour (à notre mort) dans cette vallée de larmes, afin que nous soyons guéris et ressuscités, corps et âme. A la consécration, il descend réellement et apporte à notre âme une nouvelle grâce de rédemption ; c’est le même Sauveur qui descendra un jour, au jugement dernier, “ pour juger les vivants et les morts ”). — La procession de [‘Offertoire est aujourd’hui le cheminement de la vie terrestre à travers le. lieu d’exil et nous chantons le cantique saisissant de la nostalgie (récitons le psaume 136 en entier) ; le verset caractérise toute la messe. Secrète : l’Eucharistie est le remède à toutes les maladies de notre âme. Les péchés doivent être détruits avant que l’exil prenne fin. — Dans l’exil de la vie, nous avons une consolation : l’espérance du ciel ; l’Eucharistie est notre “ consolation dans notre état d’humiliation ” (Comm.). Mais la condition préliminaire est “ l’obéissance aux commandements de Dieu ” (Postc.).
L’Église désire que nous prenions place dans le récit évangélique, comme si nous le vivions en nous-mêmes. D’où ces antiennes directrices : “ Il y avait un officier du roi dont le fils était malade à Capharnaüm. Ayant entendu dire que Jésus venait en Galilée, il le pria de guérir son fils” (ant. de Bened.),. “ Le père reconnut que c’était à cette heure que Jésus avait dit : Ton fils vit ; et il crut, lui et toute sa maison” (ant. de Magn.). Nous voyons de nouveau ici l’intention de l’Église ; elle nous fait chanter, au commencement et à la fin du jour, le commencement et la fin du récit de la guérison ; la journée tout entière est donc consacrée à ce mystère.
2. Le psaume 136. — Il y a peu de psaumes dans tout le psautier qui puissent faire, à la première lecture, une impression aussi profonde que celui-ci. Ce psaume est une élégie saisissante :
Sur les bords des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, tandis que nous évoquions ton souvenir, Sion.
Là, nous avions suspendu aux saules nos harpes.
Là, nos geôliers nous demandaient de chanter de joyeux cantiques ;
Nos oppresseurs nous harcelaient : : “ Chantez-nous un cantique de Sion ! ”
“ Comment chanterions-nous un cantique de Dieu sur une terre étrangère ? ”
Si je viens à t’oublier jamais, Jérusalem, que ma droite se dessèche ;
Que ma langue s’attache à mon palais, si je cesse de penser à toi, Si Jérusalem n’est plus au premier rang de mes joies.
N’oublie pas, Seigneur, les cris qu’ont poussés les enfants d’Édom au jour du malheur de Jérusalem :
“ Détruis-la, détruis-la jusque dans ses fondements ! ”
Et toi, fille de Babylone, vouée au malheur, heureux qui te rendra ce que tu nous as fait ;
Bénis celui qui saisira tes petits enfants , et le brisera contre les rochers.

Nous nous rendons en esprit à Babylone ; nous voyons, sur les bords de l’Euphrate une foule de Juifs qui se rassemblent pour prier. Nous voyons aussi les chantres qui exécutaient jadis leurs chants au Temple de Jérusalem pendant la célébration du service divin ; ils sont assis, tout tristes, au bord du fleuve (c’est là que les Juifs faisaient leurs ablutions avant la prière et, à l’étranger, ils priaient volontiers auprès d’un fleuve). Ils sont là pour commencer le service divin par un chant, un cantique de Sion, comme ils disent volontiers. Pourtant non, ils n’y parviennent pas. Muets de tristesse, les joues baignées de larmes, ils portent leur souvenir vers le Temple, vers la montagne de Sion à Jérusalem, et ils suspendent leurs harpes aux saules. Les cantiques des Juifs étaient connus et célèbres au loin ; c’est pourquoi les habitants de Babylone harcèlent les captifs : “ Chantez-nous donc un de vos beaux cantiques de Sion ! ” Mais non, aucun Juif ne pouvait s’y résigner : “ Comment pourrions-nous chanter un cantique de Dieu sur la terre étrangère, sur la terre d’exil ? ” Puis l’un d’entre eux lève la main en signe de serment et s’écrie bien haut : “ Si je t’oublie jamais, Jérusalem, que ma main se dessèche ; que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens pas toujours de toi, si Jérusalem n’est pas au premier rang de mes joies. ” Et maintenant nous le voyons tendre le poing aux complices de ses ennemis, les Edomites, ses compatriotes qui ont excité les Babyloniens : “ Détruisez donc Jérusalem de fond en comble ! ” Puis le Juif tend les deux poings à Babylone et vocifère une terrible malédiction : “ Béni celui qui saisira tes petits enfants et leur brisera la tête contre les rochers. ” Tel est le contenu du psaume 136 que l’Église nous fait chanter aujourd’hui à la messe. Comment utiliser ce psaume pour notre prière ? Notre vie ressemble aussi à un exil. Le ciel est notre patrie, la terre est un lieu d’exil. Et en ce moment, pendant l’automne liturgique, l’Église nous invite justement à diriger tous nos désirs vers le ciel. Notre Jérusalem est la céleste Sion où nous serons unis pour toujours au Christ et à tous les saints. Alors nous devons avoir au cœur la même nostalgie que celle qu’ont exprimée dans leur psaume les Juifs exilés. Le psaume est donc le chant de notre nostalgie pour la céleste patrie.