Le Fils de l’homme vient avec
grande puissance et grande majesté
1. Pensées du Dimanche. —
N’est-ce pas un coup de maître de la part de l’Église de faire passer sous le
regard de notre esprit, au dernier dimanche de l’année liturgique, l’acte final
du drame de la rédemption, le retour du Christ ? Comment nous
comporter devant ce grand événement qui doit nous intéresser tous puisque nous
y assisterons tous ? Que dit l’histoire à ce sujet ? Nous pouvons
distinguer trois périodes : celles du Christ, de l’antiquité chrétienne et
du Moyen Age.
a) Le Christ parle souvent de son retour ; et
il le fait d’une façon particulièrement détaillée dans son grand discours
eschatologique auquel est emprunté l’Evangile d’aujourd’hui. Le chrétien
vivant avec l’Église devrait connaître ce discours, du moins son analyse. Le
Christ n’entend pas alors satisfaire notre curiosité ; le but de son
discours est de donner à la vie chrétienne un puissant développement. Il
atteint, en effet, son point culminant dans cette pensée : l’heure de la
fin est incertaine (cela est vrai aussi de la mort ; la mort est le retour
du Christ pour chacun). La grande conséquence est celle-ci : “ Nous
devons être toujours prêts. Pour souligner plus fortement cette
conséquence, le Christ emploie quatre paraboles qui toutes ont le même
sens : celles du voleur, de l’intendant, des vierges sages et des vierges
folles, et des talents.
b) Quelle est l’attitude de l’antiquité chrétienne
en face du retour du Christ ? Nous le savons. Elle attend le retour du
Seigneur avec un ardent désir. Elle va, joyeuse, à la rencontre du Seigneur,
avec la couronne des vierges et la palme des martyrs. Maranatha,
c’est-à-dire : Viens, Seigneur, était le refrain de toutes ses prières.
c) Tout autre est l’attitude du Moyen Age. Une
crainte salutaire faisait trembler à la pensée du jugement dernier. Le “ Dies
irae ” de la messe des morts nous donne une idée de l’intense émotion du
Moyen Age. “ Ah ! que dirai-je, malheureux que je suis ? à quel
défenseur me vouer, quand des justes eux-mêmes manquent d’assurance ?.. Je
suis là en accusé ; la honte fait rougir mes joues... ”
d) Et nous ? L’antiquité avait le désir ;
le Moyen Age, la crainte ; nous n’avons ni l’un ni l’autre. Nous ne
parvenons pas à concevoir le désir ; la crainte ne remplit pas notre cœur.
Nous n’avons plus l’enthousiasme de l’antique Église, mais nous n’avons pas non
plus la foi naïve du Moyen Age. Que devons-nous faire ? Revenons à la
pensée du Sauveur sur le jugement : Soyons toujours prêts ! La vie
à la lumière du second avènement. Adaptons cette préoccupation à l’édifice
divin de notre foi. Nous croyons au second avènement ; c’est aussi cette
foi qui est l’objet des méditations de l’Église dans la liturgie. Comme elle
nous rappelle ta possibilité de devenir, en considérant le second avènement,
riches en fruits de bonnes œuvres, la possibilité de croître dans la patience
et la persévérance (Ép.) ! En vérité, ce sont des pensées que nous
ne pouvons jamais oublier ; l’Église fait succéder l’acte à la parole.
Nous rappeler ces pensées était le but de l’avantmesse ; mais le
Saint-Sacrifice met à notre portée, sous une forme mystique, le retour du
Seigneur ; car le Saint-Sacrifice est déjà lui-même un retour du
Seigneur ; à la vérité, sous une autre forme. C’est un retour par la
grâce : “ mes pensées sont des pensées de paix et non de châtiment. ”
Mais c’est aussi un jugement. Le jugement de punition, il l’a pris sur lui dans
sa mort qui est maintenant commémorée. Pour lui l’arrêt de mort sur la
croix ; pour nous cette parole : “ Venez, les bénis de mon
Père... ”
2. La Messe (Dicit Dominus). —
Il est grand et saisissant le moment où, immédiatement après ta consécration,
l’Église affirme, à la messe, sa foi au grand mystère de la rédemption : “
C’est pourquoi nous nous rappelons… la bienheureuse Passion, la résurrection
d’entre les morts et la glorieuse ascension du Christ... ” L’Église veut
dire par là : le Christ est maintenant présent avec toute son œuvre
rédemptrice. C’est la raison pour laquelle elle en énumère les principales
phases : la Passion, la résurrection et l’ascension. Autrefois, et
maintenant encore chez les Grecs, on citait aussi en dernier lieu le retour du
Christ. Ainsi le Seigneur apparaissant dans le mystère de l’Eucharistie est le
Christ du retour, le Christ “ en grande puissance et majesté ”. La messe est à
la fois une anticipation, une réalisation avant la lettre, du retour du
Seigneur. Cela est vrai de chaque messe, mais tout particulièrement de celle
d’aujourd’hui où l’Église célèbre la solennité liturgique du retour.
Aujourd’hui se réalise, dans les cérémonies saintes de la liturgie, ce que,
pendant des semaines, nous avons préparé, attendu et désiré. Aujourd’hui prend
fin le drame sacré de l’année liturgique.
L’âme approche aujourd’hui avec crainte de la maison de
Dieu, car celle-ci est aujourd’hui le théâtre du jugement général. Aussi est-ce
pour nous une consolation d’être accueillis sur le seuil de la maison par le
Père céleste qui nous dit : Mes pensées sont des pensées de paix et non de
châtiment. Alors, la crainte qui nous saisissait à notre entrée dans l’église
se change en joie du retour dans la Jérusalem céleste (le psaume 84 est un
cantique de rédemption et convient très bien ici). Le Confiteor est
aujourd’hui à sa place ; il constitue une scène de jugement ; nous
nous tenons devant le Juge éternel ; les saints sont nos accusateurs, mais
aussi nos intercesseurs. Le Kyrie est notre chant d’exil, par opposition
à l’Alleluia qui est, pour les enfants de Dieu, le chant de la patrie
céleste. L’Oraison fait déjà entendre les accents de l’Avent (Excita),
une vraie prière de fin d’année : invitation à utiliser avec plus de zèle
que précédemment la prochaine année de grâce. Maintenant paraît notre mère
l’Église ; elle nous adresse d’émouvantes paroles de saint Paul captif (Ép.).
Elle n’est pas une visionnaire ; elle ne nous emmène pas dans les
nuages du ciel, mais elle nous dispose, par des prières et des supplications, à
nous rendre dignes d’aller au-devant du Seigneur qui revient. Elle nous parle
et nous supplie en mère soucieuse de son devoir. Le chrétien doit ressembler à
un arbre chargé de fruits, s’armer dans la vie de patience et de persévérance,
aspirer avec joie et reconnaissance au jour de la venue du Seigneur. Malgré
tout son sérieux, la pensée du jugement ne doit pas nous effrayer. Nous devons
toutefois être reconnaissants “ qu’il nous ait rendus dignes de partager
l’héritage de ses saints dans la lumière et de prendre place dans le royaume de
son Fils bien-aimé ”. Nous chantons avec la joie du triomphe le Graduel et
avec un ardent désir l’Alleluia que nous aurons bientôt le bonheur de
chanter dans les rues de la céleste Sion. Maintenant, dans l’Evangile, c’est
le Seigneur lui-même qui place sous nos yeux un tableau expressif de son jour.
Mais il ne veut pas nous effrayer, car son intention est de “ rassembler” ses
élus pour leur faire “ partager l’héritage de ses saints ”. Maintenant nous
arrivons au sacrifice. Quelle est notre offrande ? L’homme peut nourrir
deux convoitises : la convoitise des plaisirs de la terre ou le désir du
ciel. C’est ce dernier désir que nous déposons aujourd’hui sur la table du
sacrifice et que nous exprimons dans le De profundis. Au Saint Sacrifice paraît
le Christ, le Roi de majesté ; il porte encore le manteau des espèces
eucharistiques ; pourtant c’est le même qui viendra en grande puissance et
majesté. Et, à la communion, il se penche sur chaque âme. Du trône de
son Père il laisse tomber ces paroles de consolation : Je suis
glorifié ; priez avec un cœur confiant, cela vous sera donné. Le gage de
cette parole de salut est l’Eucharistie.
3. La Prière des Heures. — Nous
lisons la saisissante peinture du jugement dernier que saint Basile présente au
bréviaire du dernier dimanche. A vrai dire, elle forme contraste avec la
messe : “ Si le désir de pécher s’empare de vous, alors pensez à ce
terrible et insupportable jugement du Christ, où il est assis en Juge sur un
trône élevé. Devant lui se tient toute la création, tremblant à son glorieux
aspect. Nous sommes amenés un à un devant lui pour rendre compte de ce que nous
avons fait pendant la vie. Alors, celui qui commis beaucoup de péchés dans sa
vie est entoure ; d’anges hideux et effrayants, aux yeux et au souffle de
feu à cause de la dureté de leur cœur, au visage sombre comme la nuit à cause
de leur désespoir et de leur haine pour les hommes. De plus, représentez-vous
l’abîme sans fond, les ténèbres impénétrables, le feu sans éclat, qui peut bien
brûler, mais non éclairer. Pensez à la race venimeuse et carnivore des vers qui
dévore insatiablement, n’est jamais assouvie et cause, par ses morsures,
d’intolérables souffrances ; enfin, pensez à ce qui est le plus terrible
de tous les supplices, à la honte-et à la confusion éternelle. Craignez tout
cela et, instruits par cette crainte, tenez votre âme éloignée, comme par un
frein, des mauvaises convoitises. ”