VINGT-DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Rendez à Dieu ce qui est à Dieu
Tour à tour, l’Église porte ses regards sur le “ jour du Christ ” qui vient et nous supplie d’envisager la vie terrestre à la lumière de la parousie (du second avènement) du Seigneur. Pensée principale de cette messe : la meilleure préparation au jour du jugement (Ép.) est le parfait accomplissement du devoir d’état (“ Rendez à César ce qui est à César ; rendez à Dieu ce qui est à Dieu ”). “ Nous devons nous présenter purs et irréprochables au jour du Christ, abondamment pourvus des fruits d’une vie juste. ” — A cet effet, l’avant-messe (était-ce le dessein primitif ? Question qu’il est inutile de chercher à résoudre) nous présente, en une belle gradation, l’ensemble de nos devoirs envers notre entourage : sentiment de paternelle sollicitude envers les inférieurs (à l’exemple de saint Paul, Ép.), attitude de charité fraternelle envers les égaux (Grad.), témoignage de l’obéissance due envers les supérieurs et don complet de l’âme à Dieu (Év.).
Les antiennes directrices du jour nous font pénétrer en plein récit évangélique : “ Maître, nous savons que tu es véridique et que tu enseignes le chemin de Dieu dans la vérité, Alleluia ” (Ant. de Bened.). Dans l’Evangile, les Pharisiens avaient prononcé ces paroles avec une intention feinte ; mais nous, nous y mettons l’affirmation de notre foi dans le Sauveur, notre Maître ! Ceci nous montre une fois de plus comment la liturgie sait tirer parti des paroles de l’Écriture. “ Rendez donc à César ce qui est à César ; rendez à Dieu ce qui est à Dieu, Alleluia ” (Ant. de Magnif.). Cette parole pleine de majesté, nous voulons la redire également pendant la semaine comme oraison jaculatoire.
1. La Messe (Si iniquitates). — Nous entrons aujourd hui dans le sanctuaire, pénétrés des graves sentiments de la pénitence, et l’âme tremblante ; c’est une anticipation du jugement. Chargés de nos péchés, nous jetons vers le Seigneur, de la profondeur de notre exil terrestre, un appel au pardon (Intr.). Nous apprenons à réciter le psaume 129 qui renferme des sentiments si puissants, comme l’expression de notre repentir et du désir de la parousie. — L’Oraison, pleine d’une ardente confiance, n’exprime pas une demande déterminée, mais apparaît comme l’enveloppe d’or dans laquelle nous déposons nos prières du jour et de la semaine : fidèle accomplissement de la vocation et accroissement en perfection pour le jour de la consommation. Dans l’Épître (l’Épître aux Philippiens est la plus charmante et la plus personnelle des lettres de saint Paul), le grand Apôtre parle à sa communauté favorite ; les versets de cette lettre respirent un profond amour, voire la tendresse, Le principal souci de l’Apôtre est que l’œuvre de bien soit accomplie jusqu’au jour (du retour) du Christ ; nous devons ressembler à des arbres chargés de fruits, croître dans la charité ! Disons-nous bien que c’est à nous que l’Église, la mère tendrement attentionnée, adresse ces paroles. — Dans le combat contre le monde et l’enfer, le chrétien trouve une profonde consolation dans la compagnie des saints : le Graduel chante cet idéal : je vois une assemblée réunie pour la messe du dimanche, je vois une heureuse famille, je vois une communauté de religieux. (Ayons l’esprit de communauté). L’Evangile est celui du tribut ; il n’ya guère des cènes qui montrent aussi bien que celle-ci le Sauveur devant ses ennemis dans sa majesté divine. Que veut nous dire le Christ par les paroles pleines de majesté qu’il emploie pour parler du tribut ? ” “ Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. ” C’est la même leçon que dans l’Épître : Chrétiens, remplissez sur terre vos devoirs. Ces devoirs se présentent sous un double aspect : à l’égard des hommes et à l’égard de Dieu ; ce sont les deux tables de la loi. De même que le précepte de la charité embrasse l’amour de Dieu et l’amour du prochain, amours qui ne s’opposent pas, mais se complètent, de même ces deux devoirs se complètent l’un l’autre. Dieu se cache derrière nos supérieurs, il sanctionne leurs ordres. — Les deux lectures sont donc remplies d’une même pensée : Dans l’attente du jour du Christ, menez une vie active et conforme au devoir. A l’Offertoire, la reine Esther demande la grâce d’adresser au roi les paroles qui conviennent : nous demandons la grâce d’adresser au Christ, notre Roi, les paroles qui conviennent : notre mère l’Église nous les enseigne dans la liturgie ! La Secrète implore, conformément au caractère grave de la messe, le pardon des péchés et la protection contre tous les maux. L’antienne de la communion est, elle aussi, un cri de détresse pénétrant ; l’Eucharistie est une anticipation du jugement : maintenant il vient en ami, alors il viendra en juge. La Sainte Messe est un souvenir du Seigneur (Postc.). — Il y a donc deux pensées :qui circulent à travers la messe, l’une plutôt négative : nos péchés nous remplissent de crainte en face du jugement ; l’autre positive : nous voulons mener une vie chrétienne droite en prévision du jugement.
2. L’Evangile. — Méditons l’Evangile. C’était dans les derniers jours de la vie mortelle de Jésus ; le Sauveur se trouvait au Temple ; les Juifs se pressaient autour de lui, lui posaient des questions pour l’embarrasser, pour trouver un motif de l’accuser. La question la plus insidieuse et la plus perfide est celle que rapporte l’Evangile d’aujourd’hui. Tout d’abord ils le flattent : Maître, nous savons que tu dis et enseignes la vérité ; nous savons aussi que tu ne fais acception de personne ; tu ne tiens aucun compte de la force ni de l’influence. Dis-nous donc ce que tu en penses : Nous est-il permis à nous, Juifs, de payer le tribut à l’empereur païen ? — Nous nous demandons où est la perfidie de cette question. Il nous faut connaître la situation politique du peuple juif au temps du Christ. Le peuple juif était placé primitivement sous la souveraineté de Dieu ; plus tard, il se choisit un roi ; toutefois, ce roi était souverain, lui aussi, par la grâce de Dieu. Mais il ne consentit jamais à se soumettre à la domination d’un roi ou d’un empereur païen. Les Juifs considéraient cela comme une offense à Dieu lui-même. Mais maintenant, à l’époque du Christ, l’empereur romain régnait en maître sur la Palestine ; les Juifs ne payaient qu’en gémissant impôt et tribut au maître étranger. D’autre part, quelle idée les Juifs se faisaient-ils du Messie ? Ils attendaient un roi puissant qui les délivrerait du joug de la domination étrangère et ferait d’eux un peuple puissant. Maintenant nous comprenons la perfidie de la question. Les Pharisiens veulent dire : Tu te dis le Messie ; peux-tu approuver que nous, le peuple de Dieu, peuple libre, nous payions tribut au païen ? D’autre part, les Romains étaient sans cesse sur leurs gardes : ils savaient que les Juifs ne supportaient leur joug qu’en grinçant des dents. Aussi réprimaient-ils dans le sang toute tentative de révolte. La question des Pharisiens était un glaive à deux tranchants. Si Jésus disait : Oui, vous devez payer le tribut, alors il se jouait du peuple. S’il disait au contraire : Non, vous n’avez pas à le payer, le Messie vous en affranchit, ce serait la réponse qu’ils attendaient, ils l’accuseraient aussitôt auprès de Pilate, et Jésus serait infailliblement mis à mort comme coupable de haute trahison. Le plan était habilement conçu ; c’était l’attaque la plus insidieuse contre Jésus. Maintenant admirons le Maître dans son calme et sa supériorité divine. Les flatteries de ses ennemis ne font aucune impression sur lui ; il pénètre leur hypocrisie et leur malice. Il prononce un mot énergique dont la profondeur ne peut être épuisée. Il se fait montrer une pièce à l’effigie de César, une pièce de monnaie courante. Il n’a sur lui aucun argent ; c’est pourquoi il se fait présenter un denier. Le denier est la monnaie d’argent romaine. Sur la pièce, il y avait l"‘effigie de l’empereur Tibère, entourée de la devise latine.. Il dit : Regardez l’effigie ; de qui est-elle ? Ils répondent : de César ! De la sorte ils ont résolu leur propre question. C’est de César que vous avez reçu la pièce. Effigie et devise témoignent que l’empereur est vraiment maître ici. Quiconque accepte la monnaie de l’empereur doit aussi payer son tribut à l’empereur. Le Christ dit donc brièvement : “ Rendez à César ce qui est à César ” ; et il ajoute : “ Mais rendez aussi à Dieu ce qui est à Dieu. ” Que veut dire par-là Jésus ? Nous, les hommes, nous devons rendre à l’autorité constituée ce qui lui appartient, c’est-à-dire lui obéir dans le domaine de ses attributions ; aujourd’hui, c’est l’empereur ; demain, ce sera le président. La dénomination importe peu. Toutefois, n’oubliez pas que vous devez rendre aussi à Dieu ce qui lui appartient dans le domaine de ses attributions. Cette réponse, qui, dans sa profondeur et sa simplicité, est inattaquable, mit les adversaires en fuite.
Dans cette courte parole du Christ, il y a beaucoup de pensées qui se cachent. Le Maître dit d’abord : l’homme est enfant de deux mondes, l’un terrestre, visible, et l’autre surnaturel, invisible ; il doit remplir ses devoirs dans ces deux mondes. Comme enfant de Dieu et citoyen du royaume de Dieu, il a des devoirs envers son souverain Maître. Alors on pourrait croire que le chrétien n’a pas à s’occuper du monde, qu’il est dégagé de tous les devoirs temporels. Non ; précisément parce que nous sommes citoyens de Dieu, nous devons aussi remplir nos devoirs envers nos supérieurs temporels. Nous faisons partie d’une famille, d’une société, d’une nation ; par conséquent, Dieu nous impose aussi des devoirs envers parents et supérieurs temporels : Ces deux catégories de devoirs ne sont pas en opposition. Le chrétien doit donc être le meilleur citoyen, le meilleur sujet dans la famille, à la fabrique, dans le commerce. Et cette obéissance à l’autorité temporelle n’est pas un service des hommes, mais un véritable service de Dieu. Le chrétien dit : Tu es le représentant de Dieu ; Dieu t’a donné la puissance, la couronne, et, pour cette raison, et uniquement pour cette raison, je te respecte ou plutôt je respecte en toi la souveraine puissance de Dieu, mais seulement dans la mesure où tu représentes cette puissance. Donnes-tu un ordre contraire à la volonté de Dieu ? Alors tu n’es plus son représentant ; alors j’obéis à Dieu.

Cela, le Sauveur n’a pas négligé de l’ajouter, bien qu’on ne lui ait pas posé de question à ce sujet : Vous devez être de bons citoyens de l’État ; mais vous devez encore davantage être de bons citoyens du royaume de Dieu. “ Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ! ” Mais qu’est-ce qui est à Dieu ? Tout ce que vous avez et tout ce que vous êtes, tout cela est de Dieu et pour Dieu ; ne gardez rien pour vous. Corps et âme, intelligence et volonté, cœur et esprit lui appartiennent ; donnez-les lui donc. Nous sommes là en présence du grand commandement du royaume de Dieu : Que ta volonté soit faite sur la terre, comme au ciel !