VIGILE DE L’ÉPIPHANIE (semi double)

Prends l’Enfant et sa Mère et retire-toi dans la terre d’Israël ; ceux qui en voulaient à la vie de l’Enfant sont morts ” (Comm.).

“ L’Enfant Jésus croissait en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes ” (Ant. Magn. 1 Vêp.). 

La journée d’aujourd’hui a une double importance. D’un côté elle est la préparation de la seconde grande fête du cycle festival et de l’autre elle représente l’Office du dimanche après l’Octave de Noël. Par suite de cette union, la vigile perd son caractère de pénitence (ornements blancs, pas de jeûne). Le jour a même une certaine solennité (Credo). 

1. La messe (Dum medium). — Nous connaissons déjà cette messe depuis le dimanche dans l’Octave de Noël. Cependant elle est ici à sa place primitive (ce qui ressort de l’accord de l’Évangile et de la Communion). On continue par delà la fête des Saints Innocents l’histoire de l’Enfance de Notre Seigneur : c’est le retour de l’exil d’Égypte. 

Quand nous méditons cette belle messe nous en arrivons à la réflexion suivante. Les deux parties du monde chrétien ont travaillé à la construction de notre liturgie, cela apparaît clairement dans le cycle de Noël. 

L’Orient nous a donné la fête de l’Épiphanie qui est au-dessus des temps, l’Occident nous a donné la fête historique de Noël. La messe d’aujourd’hui précisément porte toutes les marques distinctives de l’esprit occidental et spécialement de l’esprit romain. 

a) L’Occident célèbre les fêtes historiquement : la messe d’aujourd’hui est la conclusion de l’histoire de la petite Enfance : Naissance de Notre Seigneur, le 25 décembre ; Circoncision, le 1er janvier ; fuite en Égypte, le 28 décembre ; retour à Nazareth, le 5 janvier (l’Occident a même donné à la fête de l’Épiphanie un caractère qui rappelle l’histoire de l’Enfance, au moyen de l’adoration des Mages.) 

b) Les messes de Noël se distinguent par l’antithèse si caractéristique de l’Occident : Homme (Enfant) — Dieu (Roi). Nous trouvons ces antithèses dans la messe d’aujourd’hui (Intr. Grad. Ép.) avec une beauté particulière dans le Graduel : “ Tu es le plus beau des enfants des hommes — le Seigneur est Roi. ” 

c) L’Occident se distingue par la profondeur des sentiments, l’enseignement pratique et la concision des formules. C’est ce que nous trouvons aussi dans notre messe. Quel beau lyrisme dans l’Introït ! Nous ne saurions trop redire cet Introït. Notre âme y trouve tout l’enchantement de la poésie de Noël. Mais nous voulons aussi tirer une leçon pratique pour notre vie chrétienne de la fête de Noël. Voici cette leçon : nous devons être de vrais enfants de Dieu. Nous avons déjà, la semaine dernière, entendu dans mainte lecture ces paroles : Dieu est devenu Enfant des hommes pour que nous devenions enfants de Dieu ; pendant toute l’Octave de Noël, nous avons, à la Postcommunion, fait cette prière d’un sens profond : que le Sauveur du monde qui vient de naître nous accorde la qualité d’enfants de Dieu et l’immortalité. Cette pensée, dans la messe d’aujourd’hui, est formulée d’une manière encore plus pratique et plus brève. L’Épître nous dit, en paroles significatives, que nous sommes les enfants adoptifs de Dieu et que nous avons tous les privilèges de la filiation divine : “ Parce que vous êtes des enfants, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père. Ainsi il n’est plus esclave mais fils, s’il est fils il est aussi héritier par Dieu.” Ces paroles expriment les fruits du mystère de Noël. Par le Dieu fait Homme, nous sommes devenus enfants de Dieu, avec tous les droits et les biens que ce titre comporte. 

2. La prière des Heures. Les leçons du deuxième Nocturne contiennent un sermon de Noël avec des antithèses bien augustiniennes. “ Notre Seigneur Jésus, Créateur éternel de toutes choses, est aujourd’hui né de sa Mère et est devenu notre Rédempteur. Il est né aujourd’hui pour nous dans le temps, de sa propre volonté, afin de nous conduire à l’éternité de son Père. Dieu est devenu homme afin que l’homme devienne Dieu ; afin que l’homme mange le pain des anges, le Seigneur des anges est devenu Homme aujourd’hui. Aujourd’hui s’est réalisée la prophétie : “ Cieux, répandez votre rosée, nuées laissez pleuvoir le Juste, que la terre s’ouvre et fasse germer le Sauveur. ” Le Créateur des hommes est devenu Homme, pour chercher celui qui était perdu... L’homme a péché et est devenu redevable, l’Homme-Dieu s’est fait Homme pour délivrer ceux qui étaient redevables. L’homme est tombé, Dieu est descendu. L’homme tomba d’une manière pitoyable, Dieu est descendu avec pitié. L’homme tomba par orgueil, Dieu est descendu par sa grâce ” — Comme en ce jour on récite tout l’Office de la Circoncision, on peut dire que nous entendons aujourd’hui les derniers accents de Noël. 

3. Saint Télesphore (127-137). — “ A Rome, le pape saint Télesphore. Il souffrit sous Antonin le Pieux, après de nombreux tourments, la mort glorieuse du martyre pour la foi chrétienne. ” — La fête du premier pape martyr, dans l’année nouvelle, nous rappelle que beaucoup de vicaires de Jésus-Christ ont. rendu à Notre Seigneur le témoignage du sang. Recommandons-nous à tous les saints papes martyrs. 

4. Lecture d’Écriture (Rom. VIII, 1-39). — Ce que ne pouvait la loi, Dieu l’a accompli par son Fils, Il a pris notre chair pécheresse et, dans cette chair, il a souffert la mort sur la Croix. La justice, d’après laquelle la chair pécheresse méritait la mort, est satisfaite. C’est pourquoi Dieu a donné au chrétien le Saint-Esprit. C’est le nouveau principe de vie divine qui est infusé aux chrétiens par le Baptême. Ce même Esprit, à la résurrection, éveillera le corps à la vie éternelle (1-1 1). La possession du Saint-Esprit ne nous oblige pas seulement à mener une vie divine, elle nous en rend capables. Elle est le gage de la gloire future (12-30). Maintenant. le chrétien peut être sûr de son salut. Dieu est son Père, le Christ son Rédempteur, et, dans son âme, il porte un amour pour son Seigneur qui est plus fort. que toutes les puissances de l’au-delà et de la terre. Le chapitre VIII est le point culminant de toute : l’Épître : “ Tous ceux qui sont poussés par l’Esprit de : Dieu sont les enfants de Dieu. Vous avez reçu l’Esprit d’adoption dans lequel nous crions Abba, Père. L’Esprit lui-même témoigne à notre esprit que nous sommes des enfants de Dieu. Mais si nous sommes des enfants, nous sommes aussi des héritiers, les héritiers de Dieu, les cohéritiers du Christ, si nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui. Car c’est ma conviction que les souffrances du présent n’ont aucune importance en comparaison de la gloire future qui nous sera manifestée. ” “ Si Dieu est pour nous qui sera contre nous ? Est-ce que Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous, ne nous donnera pas tout le reste avec lui ? Qui pourrait être accusateur contre les élus de Dieu ? C’est Dieu qui les justifie. Qui est-ce qui les condamnera ? Le Christ Jésus qui est mort, bien plus, qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu et qui de plus intercède pour nous. Qui pourrait nous séparer de l’amour du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le danger ou le glaive ?... Je suis persuadé que ni la mort ni la vie, ni les anges, ni les puissances, ni le présent, ni l’avenir, ni les violences, ni les hauteurs, ni les profondeurs, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus Notre Seigneur. ” 

5. Entrée dans les sentiments de la fête. — Le sens d’une vigile est la préparation de notre esprit et de notre âme à prendre les sentiments de la fête. Ce sera le rôle des considérations suivantes. 

Épiphanie, Manifestation du Seigneur. Le nom lui-même est déjà étranger pour nos esprits d’Occidentaux, nous avons de la peine à nous y adapter. Notre fête à nous c’est Noël. Le monde incroyant lui-même ne peut pas se soustraire au charme de Noël. Cette fête est devenue la chair de notre chair. Mais l’Épiphanie ? Pour le peuple, c’est la fête des trois Rois mages, la fête des Rois. Mais la notion et le contenu de l’Épiphanie sont restés, pour lui, choses étrangères. Quelle différence y a-t-il donc entre Noël et l’Épiphanie ? 

Le pape saint Léon nous le dit aux Matines d’aujourd’hui avec une concision toute classique : “ Celui qui, à Noël, est né de la Vierge, le monde l’a reconnu aujourd’hui. ” A Noël nous fêtions un événement historique, la naissance du Christ. Sans doute, derrière ce fait, il y avait une idée, la Rédemption ; mais cette idée n’apparaissait qu’à ceux qui méditaient profondément le mystère. Le peuple se réjouissait à la pensée que le Christ est né et entourait avec bonheur la Crèche. Aujourd’hui nous ne célébrons directement aucun événement, mais une idée qui n’a pris une forme concrète que dans les actions du Christ, nous célébrons cette pensée : le monde a reconnu Jésus-Christ comme Dieu. Nous pouvons donc résumer les deux fêtes dans cette brève formule : A Noël Dieu est apparu comme Homme, à l’Épiphanie cet Homme est apparu au monde comme Dieu. Noël est la fête de l’Incarnation, de la manifestation humaine du Christ, l’Épiphanie est la fête de sa manifestation divine. Que le Christ soit Homme, il n’est pas besoin de le prouver, il suffit qu’il naisse et qu’il vive comme Homme parmi nous. C’est pourquoi à Noël nous ne fêtons que le fait historique de sa naissance. Mais que cet Homme, ce faible Enfant, soit Dieu, il est nécessaire de le prouver. Et sa naissance nous servirait de rien si nous n’étions persuadés que cet Homme est Dieu. Ainsi à la fête de la manifestation humaine devait s’ajouter la fête de la manifestation divine. 

L’Épiphanie nous donne donc la preuve que Jésus, Fils de Marie, est le Fils de Dieu. Nous nous demandons : comment le Sauveur pouvait-il prouver sa divinité ? Il ne le pouvait que par des signes et des miracles. A proprement parler, tous les miracles du Christ avaient pour but, en dernière analyse, de prouver aux hommes qu’il était le Fils de Dieu. Mais il y a des miracles particuliers qu’il a faits expressément pour donner cette preuve (par exemple : au moment de la guérison du paralytique : “ afin que vous reconnaissiez que le Fils de l’Homme a, sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés... ”) Ainsi toute la vie de Notre Seigneur est une Épiphanie, une manifestation de sa divinité. Et nous pourrions, à notre gré, rappeler demain plusieurs miracles, comme preuves de sa divinité. Mais l’Église a choisi trois de ces actes merveilleux dont elle se sert pour montrer que Dieu est apparu parmi les hommes. Dans une belle formule concise, la liturgie explique ainsi la fête : 
Aujourd’hui, l’étoile conduisit les Mages à la Crèche ;
Aujourd’hui, l’eau fut changée en vin, aux noces ;
Aujourd’hui, le Christ voulut être baptisé par Jean dans le Jourdain afin de nous racheter, Alleluia ” (II Ant. Magn.). 
Assurément ces preuves ne forcent pas l’adhésion de l’homme, il faut que s’y ajoutent la grâce du côté de Dieu et la foi du côté de l’homme. L’étoile se leva pour les Mages, mais la grâce agit dans leur cœur et les conduisit à la foi et à la reconnaissance de la divinité. L’Épiphanie est donc tout ensemble une fête de la foi et une fête de la grâce.

Nous comprenons maintenant pourquoi le mystère des Mages a été choisi de préférence par l’Occident. Les Mages sont les premiers païens qui aient été appelés à la foi au Fils de Dieu. Ils nous représentent, nous qui sommes venus du paganisme. L’Épiphanie est la fête de la foi du monde païen. Nous célébrons notre vocation à la foi. 

Encore une considération pratique pour nous. Depuis la mort du Christ, la preuve de sa manifestation divine nous est apportée par l’Église. Mais cependant moins par des miracles que par la parole de Dieu dans la Sainte Écriture et la prédication. Cette preuve non plus ne force pas notre adhésion, il faut que s’y ajoutent la grâce de Dieu et la foi. Cependant, au milieu d’un monde incroyant, l’Église présente à ceux qui ont B la grâce et la foi ces deux faits : Dieu s’est fait Homme (Noël) et il s’est manifesté comme Dieu aux hommes (Épiphanie). 

6. Ières Vêpres de la fête. — Aux heures du soir, nous célébrons déjà les premières Vêpres de la fête de demain, nous en entendons les premiers accents. Les antiennes, comme autant de motifs musicaux, nous indiquent les pensées principales de la fête. “ Celui qui était engendré avant l’étoile du matin et avant tous les siècles, le Seigneur notre Sauveur, s’est aujourd’hui manifesté au monde.” (C’est, dans une formule concise, tout le sens de la fête). Puis la liturgie se tourne vers Jérusalem : “ Jérusalem, ta lumière est venue et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi et les peuples marcheront dans ta lumière, Alleluia. ” De cette image qui domine les temps nous passons à une image historique : “ Les Mages ouvrirent leurs trésors et offrirent au Seigneur de l’or, de l’encens et de la myrrhe, Alleluia. ” Puis, d’un bond, nous passons à la seconde image de la fête, le baptême de Jésus dans le Jourdain et nous lançons un appel à toutes les eaux : “ Mers et fleuves, glorifiez le Seigneur, sources, chantez un chant de louanges au Seigneur, Alleluia ”... Telle est la manière de la liturgie, les images se fondent les unes dans les autres. Dans l’hymne, les trois images se suivent en ordre. Nous voyons les Mages se mettre en route pour se rendre auprès de l’Enfant divin, pendant qu’Hérode tremble pour son trône. “ Celui qui donne des royaumes au ciel ne vole pas les trônes terrestres. ” Nous voyons l’Agneau divin descendre dans les eaux du Jourdain pour laver nos péchés. Nous voyons, à Cana, l’eau rougir et devenir du vin. A Magnificat, nous disons avec les Mages : “ Voici le signe du grand Roi. Mettons-nous en route pour aller le trouver et offrons-lui des présents, de l’or, de l’encens et de la myrrhe, Alleluia. ” Cette antienne est choisie avec une opportunité remarquable. C’est la dernière préparation à la grande fête. Levons-nous, nous aussi. Avec les Mages, allons vers le Christ.