VENDREDI DE LA SEMAINE DE LA PASSION

Station à Saint Etienne sur le Mont Caelius.
Jésus meurt pour rassembler les enfants de Dieu qui sont dispersés.
    
Il nous est difficile, aujourd’hui, de faire un choix entre la messe de Carême, plus antique et plus rude, et la messe de la fête, plus récente, mais plus tendre. La messe de Carême présente une belle alliance du thème du Baptême et de celui de la Passion ; la fête des Sept-Douleurs de Marie nous porte à la compassion avec les souffrances du Christ.
     
Voici les antiennes directrices du lever et du coucher du soleil :
“ Le jour de fête des Juifs approchait ; les princes des prêtres cherchaient une occasion pour faire mourir Jésus, mais ils craignaient le peuple ” (Ant. Bened.).
“ Les princes des prêtres tinrent conseil pour faire mourir Jésus, mais ils disaient : que ce ne soit pas le jour de fête, de peur qu’il n’y ait un soulèvement parmi le peuple” (Ant. Magn.).
Comme hier, ces antiennes ne sont pas extraites de l’Évangile du jour, mais sont empruntées au début de l’histoire de la Passion. La liturgie veut nous présenter les princes des prêtres comme les forces agissantes qui amenèrent la mort du Messie ; elle veut aussi nous montrer leur perplexité.
    
1. Messe du Carême (Miserere mihi). — Nous nous rendons aujourd’hui auprès du premier martyr, le diacre saint Étienne. C’est lui qui, le premier, a suivi le Seigneur dans ses souffrances, il peut être notre guide dans ce jour de Passion. L’église de station est une antique construction en forme de rotonde qui fut consacrée par le pape Simplicius (468-483). Le pape Théodore (643-649) fit placer dans l’abside un tableau en mosaïque. Cette mosaïque existe encore : c’est un lien qui nous unit aux chrétiens qui se rendaient jadis à l’office de station. Nous y voyons un symbole du crucifiement. Le buste du Christ se tient au-dessus d’une croix ornée de pierres précieuses (cette image rend merveilleusement le sens de la messe d’aujourd’hui). L’église de station appartient au collège germanique.
    
Nous entendons, en entrant dans l’église, une douloureuse lamentation du Christ. C’est peut-être la vue de la croix dans l’abside qui a déterminé le choix du psaume 30 (que le Christ récita sur la Croix). Dans la leçon également, nous entendons le Messie souffrant. C’est une plainte du Prophète Jérémie. Sa mission avait été d’être le prédicateur de pénitence de son peuple, mais il n’avait récolté que de l’ingratitude. Jérémie est la figure du Messie souffrant. Nous entendons le Christ se plaindre des enfants de Dieu qui l’abandonnent, qui, par leurs péchés, le crucifient de nouveau, qui “ délaissent les veines d’eau pure” pendant que les catéchumènes les recherchent dans le Baptême. Puissions-nous, comme le demande l’oraison, ne pas “ mériter les châtiments de l’enfer ”. A l’Évangile, nous voyons les princes des prêtres prendre la décision de faire mourir Jésus. La péricope est la continuation du passage, que nous avons entendu voilà huit jours, où il était question de la résurrection de Lazare. Ce miracle eut pour conséquence la séance mémorable du sanhédrin, dans laquelle le grand-prêtre prononça la parole prophétique concernant la mort du Seigneur pour le rachat des hommes. C’était le dernier représentant de Dieu dans l’Ancien Testament ; en lui, malgré son indignité, agissait l’Esprit de Dieu. La méchanceté, la haine, l’enfer même, servent finalement à Dieu pour l’exécution de ses plans. Saint Jean souligne avec émotion cette grande pensée que, seuls, des enfants de Dieu peuvent comprendre. Or le sang du Christ n’a pas seulement été versé pour les Juifs, mais les païens aussi (les catéchumènes) reçurent la bénédiction de ce sang divin. Ce fut justement notre saint de station qui défendit, contre l’étroitesse des Juifs, l’universalité de l’Église : il fut martyr de la catholicité.
     
Dans cette séance du sanhédrin fut décidée la mort du Seigneur ; il ne s’agissait plus que d’attendre le moment opportun pour s’emparer de lui. Mais, pour le Christ, l’heure de la mort n’était pas encore venue. C’est pourquoi il se retire dans une petite ville du désert, à Ephrem ; il y passe quelques jours, pour se préparer silencieusement à sa mort. Environ huit jours avant sa mort (à peu près aujourd’hui, dans la matinée), il s’éloigne de ce lieu et se rend à Jéricho. A la Communion, l’Église songe aux faux témoins qui se levèrent contre le Seigneur.
    
Remarquons qu’aujourd’hui les quatre chants psalmodiques sont des plaintes du Christ souffrant. Que veut dire cela ? Les chants psalmodiques sont la participation du peuple à l’action de la messe ; ils indiquent les sentiments et les pensées que nous devons entretenir pendant la journée. La messe, en effet, la plus haute action de la journée, doit avoir son écho. Pour entrer dans les détails, disons : l’Introït nous indique les sentiments et les pensées que nous devons avoir en nous rendant à l’église, dans notre marche du monde vers le sanctuaire — nous allons aujourd’hui à l’église avec le Sauveur souffrant. Le Graduel est le chant intermédiaire entre les lectures et, en même temps, l’écho de la leçon ; cet écho doit retentir pendant tout le jour. Nous devons entendre, pendant toute la journée d’aujourd’hui, les lamentations du Christ. L’antienne de l’Offrande nous accompagne dans l’action sainte ; elle nous aide à entrer dans le sacrifice ; il s’agit, aujourd’hui, d’entrer dans le sacrifice de la Passion du Christ. L’antienne de la Communion nous enseigne à considérer comme il faut le corps -du Seigneur et, en même temps, le mystère du jour. Aujourd’hui “ nous annonçons ”, en mangeant ce pain, la mort du Seigneur. Considérons encore que les quatre chants psalmodiques parlent à la première personne. C’est le Christ qui se plaint et qui souffre ; en prononçant nous-mêmes ces plaintes, nous nous faisons un avec lui, ou plutôt, en tant que membres de son corps mystique, nous nous plaignons avec lui. Le cardinal Schuster écrit : “ Quand l’Église veut exprimer les sentiments du Seigneur à l’approche de sa Passion, elle se sert du psautier. C’est, à vrai dire, le livre de prière de l’Église. Les évangiles nous donnent une image de la vie et des enseignements de Jésus, mais les cantiques de David nous font pénétrer dans la vie intime de Jésus, nous dévoilent ses prérogatives, ses combats, ses angoisses, l’amour sublime qui l’unissait au Père. Pendant toute sa vie, le Sauveur s’est servi des psaumes pour prier son Père ; sur la Croix, le psaume 21 le soutenait encore dans son agonie. Nous pouvons même appeler le livre des psaumes le livre dont s’est servi le Grand-Prêtre éternel pour formuler sa prière quand il offrit sa vie mortelle en sacrifice à son Père.”
     
2. Les Sept Douleurs de Marie. — Huit jours exactement avant le Vendredi-Saint, l’Église commémore les douleurs indicibles que souffrit la Sainte Vierge au pied de la Croix, et elle a institué pour cela une fête spéciale. Alors, s’accomplit la prophétie de Siméon : “ Ton âme sera transpercée d’un glaive.”
    
Dans toute cette fête, on entend les accents les plus tendres de la compassion pour le Christ : cette fête est toute pénétrée de la mystique de la Passion. On représente volontiers Marie sous la figure de l’Épouse qui a perdu son Époux. La Sainte Vierge elle-même est, à son tour, la figure de l’âme éprise du Christ, qui ressent une sainte compassion pour son divin Époux. La séquence de la messe “ Stabat Mater” est très célèbre ; c’est une des plus magnifiques poésies religieuses du Moyen-Age. Les textes de la fête s’écartent entièrement, en certains point, de la composition liturgique traditionnelle. Ainsi, dans l’Introït, nous ne trouvons pas de psaume ; les hymnes du bréviaire sont empruntées à la séquence.
     
La comparaison entre la liturgie un peu austère du temporel et l’office débordant de sentiments de la fête est très instructive pour nous, qui voulons pénétrer toujours plus profondément l’esprit de la liturgie antique. La messe de la Passion nous présente le Seigneur souffrant dans la prophétie (psaumes), dans la figure (Jérémie), dans l’histoire (Évangile : on décide sa mort). Elle le laisse parler lui-même ou raconte l’événement objectif. Elle ne laisse guère parler nos sentiments. Il n’en est plus de même dans la fête des Sept Douleurs ; le sentiment est au premier plan. Nous considérons la Passion du Seigneur à travers le cœur de la Mère de Dieu. Marie est notre guide et nous apprend à compatir avec le Christ. Là où s’arrête l’ancienne liturgie, commence la nouvelle. L’ancienne nous montre le Seigneur souffrant et laisse à notre cœur le soin de compatir ; la nouvelle veut aussi exciter nos sentiments et toucher notre cœur. Les deux se complètent.