VENDREDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE DE CARÊME

Station à Saint Eusèbe
     
Allons, nous aussi, et mourons avec lui.
     
La messe d’aujourd’hui, qui est une messe antique et classique, enseigne aux catéchumènes qu’ils trouveront dans le Christ la résurrection de vie. Bientôt, le Christ exercera en eux sa puissance sur la mort spirituelle du péché. Mais il faut, auparavant, qu’il aille lui-même à la mort pour les catéchumènes.
Antiennes directrices du matin et du soir : “ Lazare, notre ami, dort ; allons l’éveiller du sommeil” (Ant. Bened.). “ Seigneur, si tu avais été ici, Lazare ne serait pas mort, voici qu’il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est au tombeau ” (Ant. Magn.).
1. Thème de la station : Station à Saint-Eusèbe. — Au sujet du saint de station, dont il est question le 14 août, le Martyrologe raconte : “ A Rome, la mort du saint prêtre Eusèbe ; ce défenseur de la foi catholique fut enfermé par l’empereur arien, Constance, dans une chambre de sa maison. Il y persévéra pendant sept mois dans la prière et il s’endormit dans le Seigneur. ”
     
L’église de station est une antique église titulaire du Ive siècle ; elle se trouve au-dessus de l’immense nécropole, le cimetière païen de l’ancienne Rome. La procession se déroulait, dans l’antiquité, au milieu des ruines des monuments funéraires. C’est ce qui explique que les deux lectures parlent de la résurrection des morts. Quel contraste ! Le paganisme sombre dans la tombe, pendant que le Christ appelle les siens, les catéchumènes, les pénitents et les fidèles, à la résurrection.
      
2. La messe (Meditatio). — Les catéchumènes entrent dans l’église ; ils ne peuvent pas attendre le jour de Pâques, ils “ pensent sans cesse ” à leur “ Sauveur et Rédempteur ” (Introït). Devant les yeux de leur esprit, se lève déjà le soleil pascal (Ps. 18). Cette fois, l’oraison parle aussi du baptême : “ Tu renouvelles le monde par tes mystères merveilleux. ” Les deux lectures parallèles montrent aux catéchumènes le Christ comme le thaumaturge qui ressuscite des morts, et eux-mêmes doivent se considérer comme des ressuscités. C’est justement la juxtaposition des deux scènes qui fait apparaître le Christ dans toute sa majesté. Élie ne ressuscite l’enfant qu’au prix de nombreuses prières, il lutte avec Dieu pour obtenir la vie de l’enfant. Le Christ se tient debout, comme le Maître de la vie et de la mort ; il n’a qu’à prononcer une parole. Le Graduel est un écho de la leçon. La leçon sert simplement d’arrière-plan à l’Évangile. Le thème de la Passion domine tous les autres thèmes. C’est aujourd’hui vendredi et nous sommes à quinze jours du Vendredi-Saint. La résurrection de Lazare fut ce qui détermina finalement les membres du Sanhédrin à décider la mort de Jésus. “ Allons, nous aussi, et mourons avec lui. ” De ces paroles de saint Thomas. l’Église fait son mot d’ordre pour les jours qui vont suivre. Les catéchumènes entendent ces mots du Christ : “ Je suis la résurrection et la vie. ” Quel effet ne devaient pas produire sur eux ces paroles ! Au sens de l’ancienne liturgie, Lazare est l’image du pécheur et de l’homme non racheté. La résurrection de Lazare est le symbole de la fête de Pâques, du Baptême. Le temps de Carême est le temps de l’humiliation, c’est pourquoi nous demandons, à l’Offertoire.. “ Au peuple humilié apporte le salut, Seigneur. ” Le chant de la Communion est, lui aussi, très impressionnant : il est tiré de l’Évangile. La liturgie veut montrer que la résurrection de Lazare s’accomplit mystérieusement en nous, dans l’Eucharistie.
     
3. Lazare et nous. — Toute notre attention, aujourd’hui, a été prise par le récit évangélique. Mais ne le considérons pas comme un simple récit historique ; ce n’est pas le genre de la liturgie. L’Église ne veut pas nous annoncer quelque chose de passé, mais quelque chose de présent. Les sentiments, les pensées, les actions du Christ sont aujourd’hui les mêmes qu’alors. Bien plus, ses actions, alors, étaient surtout symboliques ; elles paraissent, maintenant, dans toute leur réalité. Les paroles de Jésus nous sont adressées à nous aussi ; c’est pour nous aussi qu’elles ont été prononcées. Toute la plénitude de l’Évangile appartient aussi à l’Église d’aujourd’hui et, dans l’Église, elle nous appartient.
     
Nous sommes aux dernières semaines qui précèdent la Passion. Le Seigneur séjourne dans la Pérée, quand un message vient lui annoncer : “ Ton ami est malade. ” Quel délicat message ! On ne lui dit pas : viens vite ; il doit savoir lui-même ce qu’il y a à faire. L’Église répète ces paroles : “ Les hommes que tu aimes sont malades ”, et elle pense à nous. Le Seigneur retarde son secours, afin d’accomplir un plus grand miracle ; mais il parle sans cesse de son ami. Telle est sa délicate sollicitude pour nous, alors même qu’il tarde. Enfin, il déclare que Lazare est mort. Il se met en route. C’est sa marche vers la mort. Allons, nous aussi, avec lui, à la mort. Le Christ à Béthanie ! Considérons comment il traite les personnes en deuil. Comme il sait les ménager, mais comme il est ferme en même temps, comme il les entraîne et les éduque ! Il dit à Marthe : “ Je suis la résurrection et la vie ”, et nous répétons : tu es notre résurrection et notre vie. Il ne dit pas : je donne la résurrection et la vie ; mais je suis la résurrection et la vie. Songeons que nous ne sommes pas seulement chrétiens, mais le Christ même. Sa vie est notre vie, sa résurrection est notre résurrection. Ainsi, à Pâques, quand sa mort aura été notre mort, sa Résurrection sera notre Résurrection.
     
Comme l’entrevue avec Marie est touchante ! Le Christ frissonne devant la puissance de la mort. Lui, la Vie même, a horreur de la mort. Il voit devant lui le péché avec ses conséquences effroyables. A cause de ce péché, il doit franchir les sombres portes de la mort. Il marche vers le tombeau et il pleure. Les larmes de Jésus sont précieuses pour nous. C’est pour nous aussi qu’il les a versées. Et maintenant une scène sublime : Jésus prie devant le tombeau ouvert. Jésus remercie son Père de l’avoir exaucé, puis il dit : “ Lazare, sors !”
     
Il nous appelle, nous aussi, qui gisons, pour ainsi dire, dans le tombeau, enlacés des liens de la nature inférieure. Nous n’avons plus que quatorze jours à être couchés, comme Lazare, dans le tombeau de l’humiliation du Carême. Le soleil de Pâques se lèvera ; nous en voyons déjà les premiers rayons (Psaume 18, l’hymne du soleil).
      
4. Psaume 21 — Le Sauveur souffrant. — C’est une heureuse rencontre qui nous fait chanter aujourd’hui, vendredi, à la communion, le psaume du Messie souffrant. De l’avis unanime des Pères de l’Église et même de la synagogue, ce psaume est directement messianique, c’est-à-dire qu’il traite de la Passion du Christ, même au sens littéral. Nous le concevons comme une vision de David, dans laquelle le Roi-Prophète voit la scène du crucifiement. Le psaume se divise en trois parties nettement distinctes : 1. plainte du Vendredi-Saint, 2. Image de la Passion, 3. Vue consolante sur l’avenir.
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, pourquoi restent-elles sans écho les paroles de ma plainte ?
Mon Dieu, je crie pendant le jour et tu ne m’écoutes pas et pendant la nuit je ne puis me taire,
Pourtant, tu demeures dans le sanctuaire, célébré par le peuple d’Israël.
En toi se sont confiés nos pères, ils se sont confiés et tu les as délivrés.
Ils ont crié vers toi et tu les as sauvés, ils ont espéré et ils n’ont pas été confondus.
Mais moi, je suis un ver et non un homme, l’opprobre des hommes et le rebut du peuple.
Tous ceux qui me voient se moquent de moi, ils remuent les lèvres et ils branlent la tête :
“ Il a eu confiance dans le Seigneur, qu’il le sauve, qu’il le délivre, puisqu’il l’aime ! ”
Oui, c’est toi qui m’as tiré du sein maternel, qui as été mon espérance sur les mamelles de ma mère.
Dès le sein de ma mère je t’ai été confié, dès le sein de ma mère tu as été mon Dieu.
Ne t’éloigne pas de moi, car l’angoisse est proche et il n’est personne pour m’aider.
   
Autour de moi sont de nombreux taureaux, les taureaux de Basan m’environnent.
Ils ouvrent contre moi leurs gueules, comme un lion qui déchire et rugit.
Je suis comme l’eau qui s’écoule, et tous mes os sont disjoints.
Mon cœur est comme de la cire, il se fond dans mes entrailles.
Mon gosier s’est desséché comme un tesson et ma langue se colle à mon palais, tu m’as couché dans la poussière de la mort.
La meute des chiens m’environne et une foule de scélérats rôde autour de moi.
Ils ont percé mes mains et mes pieds et ils ont compté tous mes os.
Eux, ils m’observent et me contemplent : ils se partagent mes vêtements et ils tirent au sort ma tunique.
Mais toi, Seigneur, ne t’éloigne pas de moi, toi qui es ma force, hâte-toi de venir à mon secours.
Délivre mon âme de l’épée, ma vie du pouvoir des chiens.
Sauve-moi de la gueule du lion, tire-moi des cornes du buffle.
Alors j’annoncerai ton nom à mes frères et je te louerai au milieu de l’assemblée.
   
Vous tous qui craignez le Seigneur, louez-le,
Vous tous, postérité de Jacob, glorifiez-le !
Craignez le, vous tous, race d’Israël !
Car il n’a pas méprisé la supplication des pauvres et ne l’a pas rejetée.
Il n’a pas caché sa face devant moi, j’ai crié vers lui et il m’a entendu.
Maintenant mon hymne retentira dans la grande assemblée, j’acquitterai mes vœux en présence de ceux qui le craignent.
Les affligés mangeront et seront rassasiés, ceux qui cherchent le Seigneur le loueront et leur cœur vivra à jamais.
Toutes les extrémités de la terre se souviendront et se tourneront vers le Seigneur.
Et toutes les familles des nations se prosterneront devant lui.
Car au Seigneur appartient l’empire et il domine sur tous les peuples.
Les puissants de la terre lui rendront hommage et devant lui se courberont ceux qui descendent dans la poussière.
Mais mon âme vivra pour lui et ma postérité le servira.
   
On parlera du Seigneur à la génération future.
Au peuple qui viendra on annoncera : l’œuvre du salut qu’il a accomplie.
Ce psaume nous est d’autant plus cher que le Seigneur, sur la Croix, en a récité un verset et a peut-être même récité tout le psaume. Ce chant représente le paroxysme du drame de la Croix : le délaissement du Seigneur. En récitant ce psaume, mettons-nous en esprit au pied du Golgotha et laissons agir sur nous l’image douloureuse. Bien entendu, nous ne pourrons pas appliquer chaque mot et chaque image à une scène déterminée de la Passion. Le psalmiste essaie de dépeindre le terrible abandon du crucifié et s’efforce, par ses paroles et ses images, d’en faire sentir la réalité. Dans la première partie, nous trouvons une hésitation dans les sentiments : d’une part, l’attachement inébranlable à Dieu, l’abandon à Dieu, la confiance et l’obéissance envers Dieu et, d’autre part, le plus terrible délaissement et la plus profonde désolation. Les ennemis sont présentés sous la figure de bêtes dévorantes. Nous entendons aussi quelques prophéties littérales : “ Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils se partagent mes vêtements. ” “ Mon gosier est desséché comme un tesson. ” La troisième partie apporte un revirement complet des sentiments. Le calice a été vidé jusqu’à la lie et déjà, dans les ténèbres, brille un rayon de la gloire de la Résurrection. Le. Christ fait encore entendre un chant d’action de grâces pour la rédemption du monde.