VENDREDI APRÈS LA SEXAGÉSIME

Préparation au Carême.
     
1. Lecture d’Écriture (Genèse X, I-II). — L’Écriture nous offre le célèbre tableau des peuples, c’est-à-dire l’énumération des 70 peuples issus des trois fils de Noé. Ce ne sont pas des individus, mais des peuples qui sont énumérés. Ce tableau des peuples est “ le document le plus ancien, le plus précieux et le plus complet concernant la répartition des peuples sur la terre dans l’antiquité la plus reculée. “ Ce tableau généalogique est le titre d’origine impérissable de tous les peuples de la terre. Les Grecs et les Romains, malgré leur haute culture, ne pouvaient deviner qu’ils étaient plus proches parents des Germains que des Syriens ; pourtant cela est depuis longtemps établi dans le tableau des peuples et la science linguistique comparée le confirme aujourd’hui. Le tableau des peuples est pour nous une exhortation pressante. Nous sommes une grande famille, les enfants d’un même père. Le patriotisme, qui est légitime et voulu de Dieu, ne doit pas dépasser les bornes. — Nous lisons maintenant l’histoire de la tour de Babel. 
“ Or la terre n’avait qu’une langue et les mêmes mots. Comme (les hommes) s’avançaient de l’Orient, ils trouvèrent une plaine dans le pays de Sennar et y habitèrent. Et ils se dirent l’un à l’autre : Venez, faisons des briques et faisons-les cuire dans le feu. Et ils se servirent de briques en guise de pierre, et de bitume en guise de ciment. Et ils dirent : venons, bâtissons une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel et rendons notre nom célèbre avant de nous disperser sur la terre. Mais le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour qu’édifiaient les fils d’Adam et il dit : Voici qu’il n’y a qu’un peuple et qu’une langue parmi eux tous et ils ont commencé à faire ceci et ils ne renonceront pas à leurs pensées avant de les avoir réalisées par l’œuvre ; aussi venez, descendons et confondons ici leurs langues, afin que personne ne comprenne plus le langage de son voisin. Et ainsi le Seigneur les dispersa de ce lieu dans toute la terre et ils cessèrent de construire la ville. C’est pourquoi on l’appela Babel, parce que là le langage de toute la terre fut brouillé et, de là, le Seigneur les dispersa dans toutes les régions. “
Nous voyons une fois encore la tendance hostile à Dieu dominer et pénétrer même la postérité de Sem. Les descendants de Sem eux-mêmes se montrèrent indignes de la bénédiction divine. On entend la construction de la tour dans ce sens que les hommes voulaient établir un empire universel dont le point central aurait été une ville. Le symbole de cet empire ennemi de Dieu, dans lequel régnait l’orgueil, est une tour d’une hauteur gigantesque. Ce plan fut détruit par Dieu qui permit les conflits entre les différentes tribus ; les tribus se séparèrent et ce n’est qu’alors, par suite de la séparation, que les langues se différencièrent. — L’image de la construction de la tour de Babel a sa place dans le vestibule de l’Avant-Carême. Nous y avons déjà rencontré trois autres images : la chute originelle, le premier fratricide, le déluge. La confusion des langues a son pendant dans le miracle des langues à la première Pentecôte. Le péché brouille les langues, le Christ les réunit.
     
2. Préparation au Carême. — Le Carême est, pour notre vie religieuse, d’une grande importance ; c’est la retraite de quarante jours de l’Église, la grande époque de la réforme spirituelle et du renouvellement intérieur. Comme catéchumènes et pénitents, entrons avec le Christ dans l’arène pour célébrer avec lui la Résurrection à Pâques. Mais le temps de Carême est aussi le point culminant de la liturgie ; aucun temps ne possède d’aussi nombreux textes liturgiques que celui-ci. Si donc nous voulons prendre la liturgie comme guide de notre piété, ce sera justement dans le temps de Carême que nous pourrons entretenir une vie religieuse élevée, dans l’esprit de l’Église.
     
a) Préparation. — Le sens de l’avant-Carême est la préparation convenable à la célébration du Carême. Toute bonne œuvre demande une préparation convenable. Que chacun de nous emploie les quelques jours qui nous séparent du mercredi des Cendres à se demander sérieusement : Comment vais-je passer, cette année, le Carême ? La communauté liturgique se réunira une fois avec son chef pour délibérer sur ce sujet : Qu’allons-nous faire, cette année, durant le Carême ? Observons d’abord la recommandation suivante. N’ayons pas des projets trop ambitieux, car un début bref et zélé pourrait être suivi d’une fin lamentable. En agissant autrement, nous ressemblerions à cet homme de l’Évangile, qui entreprend la construction d’une tour et, ne pouvant l’achever, devient la risée de ses voisins. Ainsi donc n’en faisons pas trop, mais faisons cependant quelque chose qui distingue le temps de Carême de tous les autres temps. Allons, par exemple, dans un monastère de Bénédictins ; nous y trouverons une manière de vivre entièrement changée, une sainte gravité s’est emparée de tous les habitants ; les relations épistolaires et orales avec le monde extérieur sont restreintes ; le silence sacré, le recueillement, les exercices de pénitence, une vie de prière plus intense montrent qu’un temps de l’âme est venu. Que ces communautés liturgiques idéales nous servent de modèle ! D’abord quelques résolutions personnelles : Comment vais-je me comporter pendant le Carême ? Ne méprisons pas le jeûne ; la liturgie parle du jeûne avec un saint respect. Pensons seulement à la Préface du Carême : “ Par le jeûne corporel, tu réprimes les péchés, tu élèves l’esprit, tu confères vertu et récompense. “ Établissons, avec précision, ce que nous prendrons au petit déjeuner et au repas du soir ; demandons-nous combien de fois par semaine nous pourrons nous passer de viande. Mais nous observerons aussi le jeûne au sens large, en nous privant de certaines habitudes chères. Celui-ci renoncera au tabac, un autre aux sucreries, un troisième à l’alcool, un quatrième à la sieste du midi, un autre limitera les visites, les entretiens. Bien entendu, il faudra éviter les divertissements extérieurs, théâtre, etc. pendant ce temps. L’hymne du Carême indique de brèves résolutions pour ce saint temps : “ Montrons-nous plus modérés dans les paroles, la nourriture, la boisson, le sommeil, les plaisanteries ; demeurons d’autant plus zélés dans la vigilance. “ Presque chaque jour, nous offrons au Seigneur le jeûne corporel (souvent avec de fortes expressions comme castigare, macerare). Nous devrions avoir honte, si, en réalité, nous ne faisons rien. Au jeûne s’unit intimement l’aumône, qu’au moment de l’Offertoire nous déposerons sur l’autel pour les frères indigents du Christ. Et quelles seront n ;s prières durant ce saint temps ? Assurément nous aurons plus souvent recours au livre de prière de l’Église, au bréviaire. Peut-être nous engagerons-nous à réciter quelques Heures déterminées : Laudes, Prime, Vêpres et Complies.
     
b) La messe de Carême. — Ce qui doit surtout attirer notre attention, c’est la célébration digne de la messe de Carême. L’idéal serait que cette messe soit une messe de communauté. Notre modèle doit être la primitive Église. Alors le peuple et le clergé, avec l’évêque, célébraient presque quotidiennement la liturgie eucharistique du Carême. C’est cette liturgie qui préparait les catéchumènes au baptême du jour de Pâques, qui convertissait les pénitents et renouvelait tout le peuple fidèle. Les amis de la liturgie sont persuadés que c’est justement la messe qui est le centre de la vie religieuse ; c’est là que jaillit la source de toutes les grâces ; la nourriture et le remède de la vie divine, c’est l’Eucharistie. Ce que je proposerais c’est une messe de communauté quotidienne avec une courte homélie. Est-ce possible ? Je connais quelques exemples de cette pratique. Rappelons surtout les offices de station que le cardinal La Fontaine célébrait dans sa ville épiscopale de Venise. Ce que fait un évêque dans une grande ville, les curés pourraient le faire dans leur paroisse. Quand l’église est grande et possède plusieurs autels, on pourrait établir une sorte d’office de station aux autels particuliers. L’idéal serait la rénovation de la paroisse par l’Eucharistie quotidienne et la parole de Dieu quotidienne.
     
La plupart des lecteurs n’auront pas la possibilité d’assister en commun aux messes de station : ils devront alors se rattacher en esprit à la communauté de toute la chrétienté qui s’exprime si magnifiquement dans l’office de station. L’ami de la liturgie assistera chaque jour à la messe durant tout le temps de Carême, il s’y préparera attentivement et prendra soin d’en conserver, pendant la journée, les leçons et les pensées.