TROISIÈME DIMANCHE DE CARÊME

Station à Saint Laurent
      
Le fort est vaincu par le plus fort.
     
Le dimanche présente une construction dont l’unité est visible : le Christ veut faire de nous des hommes de lumière, il triomphe du diable en nous, dans le Baptême et dans l’Eucharistie. Assurément la messe se rapporte, d’une manière plus directe, aux catéchumènes, mais on peut aussi en appliquer les textes, dans tout leur sens, aux fidèles. 
     
1. Dans l’antiquité. — Transportons-nous à Rome dans le passé, environ 1500 ans en arrière. Nous voyons une procession traverser la ville sainte. Devant, marchent les catéchumènes et les pénitents en vêtements de poils de chèvre ; puis, viennent les fidèles, suivis du clergé qui entoure le Pape. Ils se rendent dans la célèbre basilique de Saint-Laurent hors les murs. Ce héros parmi les martyrs doit être un modèle dans le combat contre le démon, le “ fort ” qu’il faut vaincre. Tous sont rassemblés autour du tombeau de saint Laurent. Avec quel ardent désir ont-ils dû entrer aujourd’hui dans la maison de Dieu ! Les regards dirigés vers le sanctuaire (l’autel est le Christ), ils se sentent à l’abri des “ filets ” du Mauvais (Intr., le psaume 24, le fervent psaume d’Avent). L’Église maternelle soutient les “ demandes de ceux qui supplient humblement “ et prie pour leur défense (Oraison). Maintenant, notre Mère l’Église élève sa voix. Il y a là des hommes avancés en âge, qui, au prix de grands efforts, sont arrivés à la foi ; de tendres jeunes filles, qui, pour l’amour du Christ, ont refusé un riche mariage ; des jeunes gens déshérités par leurs parents, parce qu’ils se sont faits chrétiens. Tous, ils ont supporté des combats intérieurs et extérieurs ; cependant, la victoire n’est pas encore remportée. Aujourd’hui doit se livrer la bataille décisive : il faut que le Christ règne comme “ Roi et Dieu ”. Et l’Église prend la parole ; elle songe d’abord au passé : “ Quel était votre idéal ? ” Hélas ! vous n’aviez de goût que pour l’avarice, la Passion, la jouissance. Vous étiez dans de profondes ténèbres. Mais voici que s’est levé au-dessus de vous un autre idéal : le Christ, le divin Soleil. Il s’est accompli en vous un grand changement, vous êtes passés de la nuit à la clarté du jour. Il faudra désormais marcher comme des enfants de lumière, comme des étoiles. Soyez donc des hommes de lumière, des étoiles dans un ciel obscur — c’est désormais votre vocation. — L’Église continue par la voix du diacre : Le “ fort “, le prince de ce monde, était jusqu’ici votre roi. Tant que vous lui étiez soumis, il restait tranquille. Maintenant que vous l’avez détrôné, il fait du bruit et soulève une tempête : vos proches, votre entourage, l’enfer, tout se déchaîne contre vous. Il faut que le nouveau Maître, le “ plus fort ”, occupe le trône de votre âme. La victoire du Christ doit se réaliser en vous. Puis, encore, un grave avertissement : De grands sacrifices vous attendent. Il faut renoncer à tout : au monde, à l’honneur, aux biens, aux jouissances. Pourrez-vous persévérer ? Malheur à vous si vous faites défection : “ car ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don céleste, qui ont reçu le Saint-Esprit... et qui pourtant sont tombés, on ne peut plus les renouveler une seconde fois en les amenant à la pénitence ” (Hébr. VI, 4). — L’évêque vient de faire entendre sa parole qui a eu de longs échos dans l’âme des “ illuminés ”. Maintenant on les congédie. Les fidèles restent et célèbrent le Saint-Sacrifice. Aujourd’hui, au Canon, on prie aussi pour les parrains des futurs baptisés. Mais les fidèles eux-mêmes peuvent s’appliquer les avertissements donnés aux catéchumènes. Eux aussi combattent pour la couronne. N’y a-t-il pas dans leur âme des coins sombres ? Le “ fort “ est-il vraiment détrôné ? Le Christ règne-t-il complètement dans leur cœur ? Tout danger d’apostasie est-il écarté ? Qu’arriverait-il si le bourreau venait frapper à leur porte ? Cependant, dans tous ces combats, il y a un vainqueur : le Christ en eux, le Christ au Saint-Sacrifice, le Christ qui, par amour pour eux, s’est livré à la mort. C’est pourquoi, à la procession de l’Offrande, ils déposent, sur l’autel de leur volonté, les commandements de Dieu qu’ils promettent de “ garder “. Dans le sacrifice, le Christ met sur eux le sceau de sa victoire, il en fait des hommes de lumière. Il va rentrer dans son royaume ; il est le Roi de leurs cœurs, il est “ leur Roi et leur Seigneur ” (Comm.). Ainsi la messe les a conduits à travers le combat de Carême jusqu’à la victoire pascale.
      
2. Les scrutins. — Aujourd’hui, au point culminant du combat de Carême, les futurs baptisés, et nous avec eux, se rassemblent de nouveau, comme au début du temps de pénitence (Septuagésime), auprès du patron des catéchumènes, du grand combattant, du grand vainqueur, saint Laurent ; c’est là, dans son église, qu’on aimait, par l’exorcisme, chasser les mauvais Esprits. C’est à cette action que se rapportent tous les textes de l’avant-messe. Saint Laurent qui, dans son martyre, a si héroïquement triomphé du diable, va être notre patron et notre protecteur dans la seconde partie du combat de Carême. En ce dimanche, les catéchumènes font un pas de plus vers l’Église : on l’appelle le dimanche des scrutins. C’est à partir d’aujourd’hui qu’on commençait l’examen des candidats au baptême. Les fidèles étaient invités à venir témoigner au sujet de leur conduite. Il y avait sept de ces scrutins qui avaient lieu, d’ordinaire, le mercredi et le samedi. Le plus important était celui du mercredi de la quatrième semaine de Carême.
      
3. Lecture d’Écriture. — L’Église nous présente aujourd’hui le Patriarche Joseph. Elle nous met ainsi sous les yeux une des figures les plus attachantes de l’Ancien Testament. Il y a un charme tout particulier dans l’histoire de Joseph. Environné d’une atmosphère d’innocence, chéri de son vieux père, orné d’un vêtement d’honneur, il se présente à nous dans toute la beauté de la jeunesse. Mais, de très bonne heure, il goûte, à l’école de la vie, l’amertume et la souffrance. A l’âge de 16 ans, il est vendu par ses frères. A peine a-t-il commencé à retrouver un peu de bonheur dans la maison de son maître, Putiphar, que son héroïque chasteté le fait jeter en prison. Mais, enfin, il s’élève des ténèbres de la prison jusqu’aux plus grands honneurs dans le royaume d’Égypte. L’esclave devient prince et ministre puissant de Pharaon, et le fils que l’on croit mort va être le sauveur de ses frères ennemis. Toute une couronne de vertus orne le front de ce jeune homme. Comme il sait se réconcilier avec ses frères ! Il est indomptable dans l’épreuve et modéré dans le bonheur. On voit, dans toute sa vie, l’action de la divine Providence qui prend, souvent, des voies merveilleuses. Bien souvent, ce qui nous semble un malheur est notre plus grand avantage. Joseph est une figure du Christ souffrant, nous l’avons déjà vu dans la messe de la Passion de vendredi dernier, dont nous pourrions extraire la lecture d’Écriture d’aujourd’hui.
      
Saint Ambroise nous donne, au bréviaire d’aujourd’hui, de très édifiantes considérations sur le Patriarche Joseph ; nous y voyons aussi quelle estime on avait, dans l’ancienne Église, pour les Patriarches. Il commence ainsi : “ La vie des saints est une règle de vie pour les autres. C’est pourquoi nous avons reçu toute une série d’Écritures abondamment traitées, afin que, lorsque la lecture nous fait connaître Abraham, Isaac, Jacob et tous les autres justes (de l’Ancien Testament), nous puissions suivre leurs traces sur le chemin qu’il nous ont pour ainsi dire ouvert... Aujourd’hui se présente à nous l’histoire du saint Patriarche Joseph ; en lui, ont brillé plusieurs espèces de vertus, mais ce qui brilla d’une clarté particulière, ce fut sa chasteté. Chaque Patriarche peut nous enseigner une vertu différente. Dans Abraham, nous admirons la foi active ; dans Isaac, la pureté d’un esprit sincère ; dans Jacob, la patience et la force dans la souffrance. Le saint Patriarche Joseph peut nous être proposé comme un miroir de chasteté. Dans ses mœurs, dans ses actions, brillent la pudeur et comme un éclat d’amabilité qui accompagne la pudeur. C’est pourquoi ses parents l’aimaient plus que leurs autres enfants. Mais cela détermina l’envie des autres ; Néanmoins, il exerça, d’une manière héroïque, l’amour des ennemis envers ses frères. Ce qui le rend admirable, c’est qu’il exerça cet amour des ennemis avant l’Évangile. ” Telles sont les considérations de saint Ambroise. Nous devrons, pendant toute cette semaine, consacrer nos pensées et nos sentiments au Patriarche Joseph. C’est ce que nous enseigne l’Eglise qui, dans les Matines, consacre treize répons à Joseph. Dans ces répons, nous voyons passer devant nos yeux toute la vie, si riche en événements, de ce Patriarche.
4. Office des Heures. Le bréviaire s’occupe, nuit et jour, de l’Évangile. Le docteur de l’Église, saint Bède le Vénérable, donne, dans les leçons du troisième nocturne, une explication de cet Évangile : “ Trois miracles furent accomplis dans le possédé guéri : le muet parle, l’aveugle voit, le possédé est délivré du démon. Ces trois miracles se renouvellent tous les jours dans la conversion des fidèles ; d’abord, le démon est chassé ; puis, ils voient la lumière de la foi et ouvrent la bouche pour louer Dieu. “ (Dans ces paroles, saint Bède explique le sens liturgique profond de la péricope). La liturgie désire qu’à toutes les Heures du jour nous nous occupions d’une pensée de l’Évangile. Aux Laudes, alors que le voile d’une demi-obscurité est encore répandu sur la nature, que le monde est encore “ assis à l’ombre de la mort ”, l’Église chante que le “ fort” (le diable) possède encore tranquillement ce qu’il a. Mais au Benedictus, elle annonce déjà qu’avec le “ lever du soleil sur les hauteurs ”, sa domination va prendre fin. “ Quand le fort garde sa cour, en armes, il possède tout ce qu’il a, en paix.” A Prime, nous chantons le miracle accompli sur le possédé ; à Tierce, l’Heure du Saint-Esprit, nous chantons la parole du Seigneur : “ Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est véritablement arrivé. “ Les Pères entendent volontiers par le doigt de Dieu le Saint-Esprit (c’est pourquoi on chante dans l’hymne du Saint-Esprit : digitus paternae dexterae). A Sexte, nous méditons sur une parole du Christ : “ Celui qui ne ramasse pas avec moi dissipe ; celui qui n’est pas avec moi est contre moi. “ A None, à l’heure où le jour s’incline, nous chantons le déplorable retour du diable. Quand, à Vêpres, nous chantons le Magnificat, le cantique d’action de grâces de la Mère de Dieu, nous ajoutons comme antienne la louange de cette femme à la Bienheureuse Vierge “ qui a porté le Christ et l’a allaité “. Mais, en même temps, nous entendons de la bouche du Seigneur comment nous pouvons participer à cette béatitude : “ Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ! ”