TROISIÈME DIMANCHE APRÈS L’ÉPIPHANIE

Le Sauveur des Gentils et des pécheurs

A partir du troisième dimanche, la liturgie abandonne la suite chronologique de la vie de Jésus ; désormais elle choisira des miracles et des enseignements de Notre-Seigneur, sans tenir compte de la chronologie. Comme nous l’avons dit, ces péricopes sont un rapport avec les pensées de l’Épiphanie : le Christ paraît dans son royaume comme Sauveur (3e dimanche), comme Vainqueur (4e dimanche), comme Juge (Se dimanche), comme Maître du champ (6e dimanche). Le sens de ce 3e dimanche est celui-ci : Les Gentils et les pécheurs entrent dans le royaume de Dieu ( Les Évangiles des quatre derniers dimanches sont tirés de saint Mathieu, et dans l’ordre des chapitres. C’est peut-être un reste de l’antique coutume de lire les Évangiles à la suite, comme cela se fait encore dans l’Église grecque). 

1. Pensées du dimanche. — La journée d’aujourd’hui reste complètement sous l’influence du mystère de l’Épiphanie. Dans les paroles et les chants de l’Église, nous voyons apparaître tes trois principaux personnages ou groupes qui prennent part à la visite royale. L’Introït les signale brièvement : “ Adorez le Seigneur ; vous tous qui êtes ses anges, Sion a entendu sa voix et s’est réjouie ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse, le Seigneur est Roi... ” Le Christ-Roi, Sion, c’est-à-dire l’Église, les filles de Juda qui représentent les enfants de l’église, voilà ce dont parle le texte liturgique. 

a) Le Christ-Roi occupe tout d’abord la pensée de la liturgie, aujourd’hui ; dès l’Introït, nous voyons rayonner l’éclat de la majesté du Seigneur entouré de ses anges et acclamé par les enfants de l’Église. Le psaume 96, qui est le cantique principal de la journée, nous décrit le Seigneur dans la beauté terrible d’un orage. C’est un effroi pour les pécheurs, mais une “ joie ” et une “ lumière ” pour les “ justes ”. Nous voyons par là que la liturgie se préoccupe de marquer la grandeur de l’hôte illustre qui vient visiter sa ville. C’est encore ce Roi divin que chante le Graduel : 

Les Gentils craindront ton nom, Seigneur, et tous les rois de la terre connaîtront ta gloire, le Seigneur a rebâti Sion et il y paraîtra dans sa gloire. ” Ce sont là de vraies pensées d’Épiphanie. Le Grand Roi est le constructeur de Sion, il y fait sa visite solennelle et tous les rois de la terre, ainsi que les Gentils viennent lui rendre hommage. Et que fait-il dans sa ville ? La liturgie fait ressortir qu’il y étend “ le bras de sa Majesté ” pour protéger les siens (Or. Ev. Off.). Il exerce dans sa ville des actes de bienfaisance. — Alors son aspect se transforme et le Grand Roi qui est descendu de la montagne (céleste) ” devient le Fils de l’Homme, le Sauveur qui touche le paralytique et le guérit, qui reçoit amicalement le centurion et guérit son serviteur. 

b) Comment se présente aujourd’hui l’Église elle-même ? Elle est Sion qui se “ réjouit ” de la visite festivale, que le Seigneur “ bâtit ”, elle est le centre de rassemblement des Gentils et des rois de la terre, c’est — chez elle que le Seigneur “ paraît dans sa majesté ”. 

En outre, la liturgie décrit la vie dans l’Église : le Baptême, l’Eucharistie, la charité. Y a-t-il rien de plus beau que ces trois joyaux ? Le Baptême est représenté dans la guérison du lépreux. C’est une image qu’aimait beaucoup l’ancienne Église (les antiennes de Benedictus et de Magnificat ne traitent que de ce sujet). C’est le grand thème pascal que reprend si souvent le dimanche (cf. aussi l’Offert.). A l’Eucharistie font allusion ces paroles du Christ “ être assis à table avec Abraham, Isaac et Jacob ”. La belle Epître traite de la charité. Enfin la liturgie nous dit encore, à propos de l’Église, que les pécheurs (le lépreux) et les Gentils (le centurion) ont la première place dans le “ royaume de Dieu ” sur la terre. 

c) Nous-mêmes, nous sommes représentés aujourd’hui par les filles de Juda “ les filles de Juda sont dans l’allégresse ”. Nos sentiments sont donc des sentiments de joie. Quelle en est la raison ? C’est que nous sommes des enfants de Dieu, rachetés du sang de Jésus-Christ : 

“ La main du Seigneur me soutient, je ne mourrai pas mais j’ai la vie divine... ” Nous sommes encore représentés par les deux figures de l’Évangile, le lépreux et le paralytique. Quelle leçon ne nous donne pas le lépreux ! Comme il est modeste et humble : “ Si tu le veux, tu peux me purifier. ” Il ne demande pas. il se contente d’avoir confiance ; c’est avec cette foi profonde et cette confiance, que nous devons venir aujourd’hui dans la maison de Dieu. Le centurion nous apparaît sous des traits particulièrement sympathiques. Il est le porte-étendard de la gentilité, il reçoit le Roi qui “ fait son entrée ”, en notre nom. De quelles vertus n’est-il pas orné ! Il a de la charité pour son esclave, il est humble. Lui, le fier Romain, il n’ose pas approcher du Christ. Il a la foi : “ Je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël ” -’le sens du devoir professionnel. C’est un soldat, de la tête aux pieds ;il exige l’obéissance, mais il sait aussi obéir. Nous comprenons que l’Église ait élevé à cet homme un monument impérissable, en empruntant ses paroles, au moment de la communion : “ Seigneur, je ne suis pas digne... ” C’est donc avec le centurion que nous approchons de la sainte Table. 

2. La messe (Adorate Deum). — Ce que nous venons de dire nous a déjà indiqué les idées principales de la messe. Nous ne dirons que quelques mots sur les différentes parties. Les chants psalmodiques (Introït, Graduel, Offertoire, Communion) sont communs aux quatre derniers dimanches après l’Épiphanie. Ils sont caractéristiques de ce temps. Nous adorons le Christ-Roi avec respect et joie, il a bâti Sion et il paraît dans sa gloire. L’Introït est un tableau d’adoration. Le psaume 96 est le psaume principal de la messe. L’Oraison pourrait être la prière du lépreux ou du centurion : que Dieu daigne étendre le bras de sa majesté pour nous protéger. L’Epître est une belle leçon de charité pour le prochain et les ennemis : “ Ne rendez pas le mal pour le mal... Autant qu’il est possible et que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes... Ne vous vengez pas... Si ton ennemi a faim, donne lui à manger... Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien. ” Quels beaux enseignements ! Il nous faudra les suivre pendant toute la semaine. L’Offertoire parle de la “ droite ” du Seigneur. L’Oraison et l’Évangile nous en ont déjà parlé. Baisons aujourd’hui cette main du Sauveur qui veut encore nous apporter la guérison de l’âme. 

3. Lecture d’Écriture (GaI. J, 1-4). Cette semaine, l’Église lit deux importantes Épîtres de saint Paul, l’Épître aux Galates et l’Épître aux Éphésiens. La première est un écrit polémique contre le judaïsme, la première hérésie très dangereuse dans l’Église. Il s’agissait de savoir si l’Église resterait enserrée dans les liens des prescriptions mosaïques. Ce fut le grand mérite de l’Apôtre des Gentils, d’avoir brisé ces liens. 

Dans cette lettre, il livra la bataille décisive. De plus, cette lettre est riche de passages qui nous montrent le profond amour de saint Paul pour le Christ. Dès le premier chapitre, saint Paul nous apparaît comme un combattant énergique : “ Paul, Apôtre non de la part des hommes ni par commission des hommes, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité des morts, en union avec les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie. Que la grâce soit avec vous de la part de Dieu le Père et de Notre Seigneur Jésus-Christ. Pour nos péchés il s’est offert lui-même, ;, afin de nous arracher à la perdition du monde présent. fl Telle était la volonté de Dieu notre Père. A lui honneur dans les siècles des siècles. Amen. Je m’étonne que vous vous soyez laissés si vite détourner de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ pour vous tourner vers un autre Évangile. Et pourtant, il n’yen a pas d’autre... A supposer que nous-même ou un ange du ciel vous annonce un autre Évangile que celui qui vous a été prêché, qu’il soit anathème... Mes frères, je vous l’assure : l’Évangile que je vous ai annoncé ne vient pas des hommes, je ne l’ai pas reçu d’un homme ni appris par enseignement, mais par révélation de Jésus-Christ. Vous avez en effet entendu parler de ma vie dans le judaïsme : j’ai persécuté avec excès l’Église de Dieu et cherché à la détruire. Je me distinguai dans le judaïsme au-dessus de tous mes contemporains dans ma race, me montrant le plus zélé pour les traditions de nos pères. Alors il plut à celui qui m’avait choisi dès le sein de ma mère et qui m’appela par sa grâce de me révéler son Fils unique. ” 

4. Pécheurs et païens. C’est dans ces deux mots que nous renfermerons le contenu principal du troisième dimanche après l’Épiphanie. Pécheurs et païens ? Ce sont justement les deux catégories dont nous avons le moins à nous occuper, diront certains lecteurs. Les pécheurs se sont séparés de Dieu, ce sont des rebelles qui se sont soulevés contre le divin Roi ; quant aux païens, ils ne savent rien de Dieu et n’appartiennent pas au royaume du Christ. Que viennent donc faire ces deux catégories de gens dans l’aimable temps de Noël ? Si nous lisons la vie de Jésus d’après les évangiles, nous verrons comment Jésus s’est comporté justement à l’égard des pécheurs et des païens. Il est à remarquer que ce sont justement les “ pieux et les saints” du judaïsme, les Pharisiens, les Scribes et même les prêtres, qui ont montré de l’hostilité envers le Seigneur. Ce sont eux également qui l’attachèrent à la Croix. N’est-il pas tragique de voir que c’est un païen comme Pilate qui voulut arracher le Christ des mains des Juifs acharnés et qui finalement fut forcé, contre sa volonté, de le condamner à la croix ? Par contre, le Seigneur est reçu avec enthousiasme par les pécheurs et les païens. Nous pourrions citer une série d’exemples. Le brave centurion de Capharnaüm ne :s’estime pas digne que le Seigneur “ vienne sous son toit ”. La Chananéenne païenne crie avec supplication vers le Seigneur pour obtenir la guérison de sa fille. Avec quelle foi, la femme païenne, atteinte d’un flux de sang, touche la robe du Seigneur ! Avec quelle sincérité, le païen guéri, du pays de Gérasa, supplie le Seigneur de lui permettre de le suivre. Enfin les Mages païens vinrent du lointain Orient vers Bethléem pour adorer le Roi des Juifs nouveau-né, alors que le Roi Hérode et le grand conseil ne bougent pas le petit doigt pour répondre au message. Et après l’Ascension du Christ, les Apôtres et particulièrement saint Paul firent la même expérience sans cesse renouvelée. Les Juifs repoussèrent la bonne nouvelle que les païens accueillirent avec enthousiasme. 

II en fut absolument de même pour les pécheurs, pendant la vie terrestre du Christ. “ Il est entré chez un pécheur ”, “ il mange et boit avec les pécheurs ”, voilà ce que disent avec mépris les Juifs, en parlant du Seigneur. Et lui ne repoussa pas ce reproche : “ Ce ne sont pas les biens portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. ” Le Christ est venu “ chercher ce qui était perdu ”. Alors qu’il prononçait contre les “ pieux ” d’Israël un septuple “ malheur ”, il eut de la commisération pour la pauvre femme adultère, pour la pécheresse au banquet, pour la Samaritaine, pour le bon larron sur la croix et leur rendit la joie avec le pardon. “ Je ne veux pas te condamner, ne pèche plus. ” “ Aujourd’hui même, tu seras avec moi en paradis. ” 

Son attitude envers les pécheurs, Jésus l’a exprimée : une fois pour toutes dans ses trois paraboles de la miséricorde : la parabole de l’Enfant prodigue, la parabole de la brebis perdue et celle de la drachme perdue. Le Christ ne connaît pas de réserve, pas de conditions humiliantes pour le pardon. Un mot, et tout est pardonné. Au fils prodigue le père a rendu tous ses droits passés : celui-ci voulait, en expiation, devenir esclave ; le père en fait de nouveau un fils de roi. Si le fils retrouvé avait erré çà et là, dans son désespoir, en criant : J’ai péché, je ne suis pas digne d’être l’enfant de mon père, je pense que le père l’aurait chassé de sa maison. 

Quelles conclusions tirer de ces considérations ? Ayons pour les pécheurs et les païens les mêmes sentiments que le Christ. Ne soyons pas des pharisiens qui n’ont que des regards de mépris pour les pauvres gens. Ce n’est pas par des disputes et des contestations que nous arriverons à les amener à nous ; nous n’arriverons à aucun résultat par des actes inamicaux et des condamnations. Nous n’avons pas besoin d’abandonner un iota de nos principes ; mais la fidélité à nos principes est compatible avec une tolérance de la charité. Ne jugeons pas les hommes d’après les doctrines théoriques de leur parti ou de leur confession. Dans la vie réelle, nous sommes beaucoup plus rapprochés et la charité est le chemin qui mènera à leur cœur... Ce n’est pas par l’apologétique, la dogmatique et la casuistique que nous convertirons le monde ; mais, comme le Sauveur, par la charité, la compréhension et la compassion. Nous autres, catholiques, nous sommes toujours portés à nous poser en juges et à condamner, et nous sommes souvent tout près du pharisaïsme. Il y a beaucoup de bon dans l’âme de ceux qui ne pensent pas comme nous, mais nous ne le voyons pas. La résolution pratique de cette semaine devrait donc être celle-ci : Dans nos relations avec ceux qui ne pensent pas comme nous, inspirons-nous de l’esprit du Christ. Et puis pensons aux pauvres païens des missions.