TROISIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

L’image du cœur de Jésus dans l’ancienne Église
           
Cette semaine, l’Église nous montre l’amour de Dieu à la recherche des pécheurs dans deux paraboles, celle de la brebis perdue et celle de la drachme perdue (Évang.). C’est surtout l’image du Bon Pasteur qui prend sur ses épaules la brebis perdue, qui doit nous accompagner pendant la semaine, Elle convient parfaitement à la fête du Sacré-Coeur. Pourrions-nous trouver une plus belle expression de l’amour du cœur de Jésus que dans l’image du Bon Pasteur avec la brebis perdue sur ses épaules ? L’Epître nous enseigne ce que doit être une brebis du Bon Pasteur : obéissante et vigilante. L’homme a le choix entre deux chefs : le Bon Pasteur (Évang.), ou le lion rugissant, le diable (Ép.).
              
1. La messe (Respice). — Suivons, pour une fois, une autre méthode dans l’explication de la messe. L’Évangile est tiré de la collection de paraboles de saint Luc. Au chapitre XVe, nous trouvons trois paraboles qui ont à proprement parler le même sens. Ce sont les paraboles des trois perdus et retrouvés : la parabole de la brebis perdue, de la drachme perdue et de l’Enfant prodigue. Les deux premières paraboles se trouvent dans l’Évangile d’aujourd’hui. Qu’est-ce que le Christ voulait nous dire à tous par ces trois paraboles ? Il nous donne un enseignement très consolant, un véritable message joyeux : celui de la miséricorde de Dieu. Le Seigneur nous l’expose lui-même après chaque parabole : “ Je vous le dis, il y aura joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit ”. L’Eglise, elle aussi, veut nous donner cet enseignement consolant. C’est ce que nous voyons dans l’antienne de Communion. Au moment où les fidèles reçoivent la sainte hostie, le chœur chante : “ Je vous le dis, il y aura joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit ”. Nous avons ici une belle antienne de communion. Quand l’Église veut souligner particulièrement un enseignement de l’Évangile, elle extrait cette phrase et la répète dans un de ses chants ; par exemple elle en fait le verset de l’Alleluia ou l’antienne de Communion. Quand elle en fait l’antienne de Communion, elle lui attache encore une autre signification. Elle veut souvent nous dire que c’est précisément dans la communion que cette phrase trouve son accomplissement. Nous sommes, pour ainsi dire, venus à la messe comme des brebis égarées ; mais le bon Pasteur nous a trouvés au Saint-Sacrifice et nous a chargés sur ses épaules. Maintenant, à la communion, nous voyons ses yeux briller de la joie de nous avoir ramenés au bercail. Les cieux s’ouvrent pour ainsi dire au-dessus de nous ; nous voyons les anges rayonner de joie et célébrer avec allégresse notre conversion. A la vérité, cette conversion s’est faite il y a longtemps, au moment de notre baptême. Alors, les cieux s’ouvrirent réellement pour nous et les anges saluèrent avec des transports de joie le nouveau citoyen du ciel. Or, chaque messe renouvelle et perfectionne la grâce du baptême, surtout la messe du dimanche. La sainte communion est pour nous comme le gage et la garantie que le Bon Pasteur nous emporte sur ses épaules vers le bercail.
             
La seconde parabole est peut-être moins connue. Que signifie-t-elle ? La femme qui cherche la drachme perdue, c’est notre Mère l’Église. Sa tâche, en effet, sur la terre, est de chercher ce qui est perdu. Elle cherche les âmes pécheresses des hommes pour les sanctifier et les conduire au ciel. Elle fouille la pauvre et sordide cabane qui représente la terre avec toutes les souillures du péché ; elle allume une lumière ; sa lumière, c’est le Christ. Quelle belle image ! L’Église porte dans ses mains la lumière du monde, le Christ, le Christ dans l’Eucharistie. Avec cette lumière, elle illumine l’obscurité de la vie terrestre et même l’obscurité de notre intérieur. Elle y trouve la monnaie perdue, c’est-à-dire l’âme immortelle que le péché a fait tomber dans la boue. C’est encore une belle comparaison : l’âme est une monnaie. Une monnaie porte une empreinte, qui est souvent l’effigie du souverain. L’âme aussi porte une empreinte : l’effigie du Roi des cieux. Elle est l’image de Dieu. Bien plus, le Christ doit être de plus en plus profondément gravé dans notre âme. Laissons donc notre Mère l’Église nous chercher, nous trouver et nous faire rentrer dans le trésor du ciel. L’Epître forme presque contraste avec l’Évangile. Dans l’Évangile, il est question du Bon Pasteur qui, plein d’amour, charge sur ses épaules la brebis perdue. Ici, nous entendons parler du “ lion rugissant qui rôde, cherchant quelqu’un à dévorer ”. L’homme est donc à la croisée des chemins ; il a à choisir entre deux chefs : le Bon Pasteur, le Christ ; le lion rugissant, le diable. L’un veut guérir les éraflures des épines ; l’autre veut déchirer l’âme. L’un veut porter la brebis sur ses épaules jusqu’au bercail ; l’autre veut la dévorer et l’entraîner dans l’enfer. Pouvons-nous hésiter dans le choix ? N’avons-nous pas déjà, au baptême, renoncé au démon, à ses pompes et à ses oeuvres ? Et pourtant, combien de chrétiens se laissent tromper par cet archifourbe !
             
Quelles conséquences tirer de ces deux lectures ? Nous devons être, à l’égard du Bon Pasteur, des brebis obéissantes et dociles qui s’abandonnent absolument à la conduite de Dieu. Nous devons combattre énergiquement contre le lion rugissant. Le jeune berger David attaquait les lions qui voulaient lui dérober une brebis. C’est ce que nous devons faire, dans le combat contre le diable, pour défendre notre âme précieuse.
              
Il y a quelque chose qui nous surprend dans cette messe. Pendant le temps pascal, nous n’avons point entendu de choses pareilles. Il n’était pas question du diable, pas plus que du péché. Notre Mère l’Église ne nous apportait guère que des messages joyeux. Le joyeux Alleluia n’avait pas de cesSe. Nous étions dans le joyeux temps de l’enfance. En effet, le jour de Pâques nous avons tous été régénérés. Mais maintenant la Pentecôte est venue et nous avons été déclarés majeurs ; nous avons reçu la Confirmation, le sacrement de la virilité chrétienne. Maintenant, l’Église nous envoie dans la vie rude du combat, du travail et de la tentation. Le dimanche d’aujourd’hui nous place dans le présent et nous arme pour le combat de la vie. Nous voyons paraître devant nous un ennemi que nous avions entièrement perdu de vue pendant le temps pascal : le péché. La messe d’aujourd’hui nous dit : il y a un destructeur de la joie dans le royaume de Dieu : c’est le péché. Mais l’Église ne veut pas pour autant nous décourager. Elle nous apporte ce joyeux message : J"e Seigneur tient compte du péché. Le péché ne l’empêche pas d’accomplir son oeuvre rédemptrice. Plein d’amour, il va à la recherche de l’âme pécheresse. Lui-même a entrepris, en mourant sur la Croix, le combat contre le lion rugissant. Pour protéger ses brebis, il a savouré l’amertume de la mort. En outre, il nous a donné une Mère, l’Église, qui nous cherche et nous trouve. Tel est le sens de ce dimanche. Rendons-nous à l’office dans ce sentiment : Nous avons un Bon Pasteur qui va à la recherche des pécheurs.
             
2. Le Bon Pasteur. — De notre temps, quand on veut se représenter l’amour du Christ on songe à une image du Sacré-Coeur. L’antique Église songeait à l’image du Bon Pasteur. Sur tous les murs des catacombes, dans les basiliques antiques, sur les monuments funéraires, partout, cette aimable image abaissait son doux regard sur ceux qui passaient. De même, les textes liturgiques nous montrent souvent l’image du Bon Pasteur, et cela presque toujours au début d’une nouvelle époque de l’année ecclésiastique. Cette image du Sacré-Coeur de l’ancienne Église est aussi expressive et profonde que l’image courante aujourd’hui. Demandons-nous ce que cette image du Bon Pasteur disait aux premiers chrétiens.
            
1. Qu’indique l’image du Bon Pasteur portant la brebis sur ses épaules ? C’est l’image du Christ, du Rédempteur. Une brebis s’est écartée du troupeau de Dieu ; elle est tombée dans les épines. Cette brebis, c’est l’humanité,..qui, par le péché, a perdu le paradis et la grâce. Or le Christ fut envoyé dam le monde pour aller à la recherche de cette brebis. Il l’a cherchée, appelé ; il a même dû lutter contre les loups, contre le lion rugissant ; bien plus, il a subi la mort. Maintenant, il charge amoureusement la brebis retrouvée sur ses épaules et la porte dans le bercail céleste. Ainsi donc le Bon Pasteur avec la brebis sur ses épaules représente le Christ notre Rédempteur. Cela nous fait comprendre que cette image était si chère aux premiers chrétiens.
                  
2. L’image rappelle aussi un moment des plus importants de la vie de tout chrétien. Saint Paul dit pendant le Carême : “ Vous étiez autrefois ténèbres ; vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur ”. Saint Pierre, le premier représentant du Bon Pasteur, dit : “ Vous étiez comme des brebis errantes, mais vous êtes revenus vers le pasteur et l’évêque de vos âmes ”. Ce grand moment dans notre vie fut celui du saint baptême. C’est alors que le Bon Pasteur nous a trouvés et nous a pris sur ses épaules. Ce fut aussi le moment dont le Seigneur parle dans l’Évangile, le moment où les anges de Dieu se sont réjouis de la conversion d’un pécheur. L’image nous rappelle donc notre baptême.
               
3. Mais l’image va encore plus loin. Le Bon Pasteur ne dépose plus la brebis de ses épaules. Il lui demeure intimement uni. Savez-vous ce qu’il y a de plus profond dans la foi chrétienne ? C’est la vie divine, la grâce de la filiation. Cette union intime du Christ avec l’Église, avec chaque chrétien, est le plus grand bien que nous possédions. “ Demeurez dans mon amour ” ; tel fut le legs du Maître à son départ. Ne pas perdre cette vie divine, l’entretenir, la développer, rendre de plus en plus profonde et intime cette union avec le Christ, tel doit être notre plus grand souci. L’image du Bon Pasteur nous rappelle notre union avec le Christ.
                 
4. Et par que ! moyen demeurons-nous unis avec le Christ ? C’est la Passion du Christ qui nous a acquis la vie divine : c’est la commémoration de sa Passion qui doit nous la conserver. Cette commémoration, c’est le sacrifice de la messe, la Sainte Eucharistie. Car rien ne nous montre mieux le Christ comme Bon Pasteur que la Sainte Eucharistie. Rien ne maintient mieux notre union intime avec le Christ que l’Eucharistie. Le baptême nous a donné la vie divine ; l’Eucharistie la conserve et la développe. Le Seigneur ne nous dit-il pas lui-même : “ Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui” ?
              
5. L’image du Bon Pasteur nous parle donc de ce qu’il y a de plus profond dans le christianisme. Elle nous parle du Rédempteur, du baptême, de notre union de grâce avec le Christ et de l’Eucharistie. Elle nous annonce une dernière chose : notre entrée bienheureuse dans le royaume du ciel. Le Bon Pasteur porte sa brebis retrouvée dans le bercail du ciel. C’est la raison profonde de la présence de cette image dans les catacombes, les antiques cimetières des chrétiens, et sur les sarcophages. L’image du Bon Pasteur apportait aux fidèles ce joyeux message : Après les peines de la vie terrestre, le Bon Pasteur emportera vos âmes dans le grand bercail de la béatitude, là-haut. Cette espérance était si forte chez les premiers chrétiens qu’elle leur faisait considérer comme peu de chose les souffrances de la vie et même le martyre. Ils vivaient non seulement dans la foi et l’amour envers le Christ, mais aussi dans la ferme espérance de la gloire éternelle. Cette vertu nous fait trop défaut à nous, chrétiens d’aujourd’hui. Nous nous attachons trop aux choses terrestres. Puisse l’image du Bon Pasteur allumer en nous l’attente et le désir de la béatitude éternelle !