SIXIÈME DIMANCHE APRÈS L’ÉPIPHANIE (semi double)

Le royaume de Dieu grandit intérieurement et extérieurement

Le dernier dimanche du cycle de Noël ! Nous arrivons au terme du développement des pensées de ce temps. L’Église voulait nous montrer la fondation du royaume de Dieu par le divin Roi Jésus-Christ. Pendant l’Avent, nous avons préparé sa venue ; à Noël, le Roi est venu ; à l’Épiphanie, il est paru dans sa gloire et a exercé ses premiers droits et ses premiers devoirs de souverain. Dans les dimanches après l’Épiphanie, nous voyons l’organisation du royaume de Dieu : le Christ comme Sauveur (3e dimanche), comme Vainqueur(4e dimanche), comme Juge (Se dimanche). Aujourd’hui, nous contemplons le développement de son royaume dans les âmes et à l’extérieur — dans la double parabole du grain de sénevé et du levain. 

1. La messe (Adorate Deum). — Une dernière fois nous chantons, dans les chants psalmodiques, le Roi qui “ a bâti Sion et est paru dans sa ville ”, qui est “ adoré des anges et entouré des filles de Sion qui tressaillent de joie ”. Mais nous nous demandons quelles sont les pensées maîtresses de ce dimanche. Jusqu’ici nous avons considéré le Roi dans ses diverses fonctions, comme Sauveur, comme Vainqueur, comme Juge patient ; l’Église nous montre aujourd’hui l’accroissement progressif, organique et incessant du royaume de Dieu. Malgré les ennemis intérieurs et extérieurs (4e et Se dimanches), le royaume de Dieu grandit extérieurement comme le sénevé ; parti d’un petit commencement, il devient un grand arbre et les peuples sont les oiseaux qui habitent ses branches ; intérieurement, la vie divine portée par le dogme et la morale du christianisme pénètre tout l’homme, comme le levain pénètre la pâte et fait grandir l’Église. 

Dans l’Épître, l’Église notre Mère, nous montre le tableau d’une communauté chrétienne privilégiée, mais aussi d’un pasteur idéal. Nous voyons là, pratiquement, ce que signifient les deux paraboles du grain de sénevé et du levain. A la fin du temps de Noël, faisons un examen de. conscience et demandons-nous si nous méritons, nous aussi, les éloges de notre Mère l’Église : “ Nous remercions Dieu continuellement pour vous tous... Nous songeons à votre foi active, à votre amour dévoué, à votre espérance constante... ” Où en sont chez nous les trois vertus théologales ? Est-ce que l’Évangile, que la sainte liturgie nous fait entendre tous les jours, nous est apparu dans sa force et dans la plénitude du Saint-Esprit ? Sommes-nous, nous aussi, “ un modèle pour tous les fidèles ” ? Songeons que l’Évangile devient une réalité à la messe. Le grain de sénevé est le Sauveur lui-même qui, descendu dans le monde, dans son Église, croît et devient un arbre ; c’est aussi l’Eucharistie qui, descendue comme une divine semence dans le sol de l’âme, doit croître dans la vie chrétienne et devenir un arbre. Le Sauveur est aussi le levain, que la femme, la sainte Église, prend et mélange à toute la pâte, c’est-à-dire aux cœurs de tous les chrétiens pour qu’il les fasse tous lever et devenir semblables à lui. C’est là le rôle de l’Eucharistie. Ce n’est pas un sénevé ni un pain déjà levé, c’est une petite graine, un levain. C’est une force et une grâce qui ne devient efficace que par la coopération de la volonté humaine. Puisse le Saint-Sacrifice d’aujourd’hui avoir en nous une action “ purifiante, rénovatrice, directrice et protectrice ” (Secr.). 

Les antiennes du commencement et de la fin du jour chantent les deux paraboles de l’Évangile : 
“ Le royaume des cieux est semblable au grain de sénevé qui est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand il a grandi, il est plus grand que tous les autres légumes ” (Ant. Ben.).
“ Le royaume des cieux est semblable à un levain que prend une femme et qu’elle mêle à trois mesures de farine jusqu’à ce que le tout soit levé ” (Ant. Magn.). 
2. Les deux paraboles. — Examinons de plus près ces deux paraboles. Dans la première parabole, Notre Seigneur compare le royaume des cieux au grain de sénevé. Voici ce qu’il dit de ce grain : il est semé dans les champs ou dans les jardins, c’est une toute petite graine, plus petite que toutes les semences de légumes. Cette plante est une légumineuse du genre des choux, et annuelle ; elle pousse rapidement, devient presque semblable à un arbre et donne de grandes branches, sur lesquelles se posent les oiseaux. C’est la plante à moutarde cultivée aussi dans nos régions et dont on retire la moutarde comestible et la moutarde médicinale. La petitesse de la graine était proverbiale chez les Juifs. Les oiseaux aiment beaucoup la graine de moutarde et volent par bandes sur les branches pour picoter les petits grains noirs qui se trouvent dans les gousses mûres. L’image est claire, maintenant vient l’explication. 

a) La parabole du grain de sénevé.
   
Quel enseignement Notre Seigneur veut-il donner par là à ses disciples et à nous ? Il veut encore dévoiler un mystère du royaume de Dieu et faire disparaître un doute. Notre Seigneur dit aux Apôtres : la masse du peuple, y compris les Pharisiens, n’appartiendra pas au royaume de Dieu. Il n’y aura donc que la petite troupe des Apôtres et des disciples ? Ce sera là tout le royaume de Dieu ? Cela ne devait-il pas être une déception pour les disciples ? Par ailleurs, ils avaient lu dans les Prophètes que le royaume de Dieu s’étendrait sur toute la terre. Alors Jésus leur donne le grand enseignement qui les consolera. Le royaume de Dieu aura de petits commencements, mais il se répandra rapidement à travers le monde entier. Il y a donc deux pensées principales dans la parabole : 1. Le petit grain de sénevé signifie les commencements faibles et peu apparents du christianisme. 2. La croissance rapide et la grandeur de la plante signifient la diffusion rapide de l’Église sur toute la terre. 

1. Les faibles commencements. — Le Sauveur nous met sous les yeux, dans cette simple image de la nature, une des lois fondamentales de son royaume qui est entièrement opposée à l’attente des Juifs. Cette loi domine et pénètre tout le christianisme, dans les grandes et les petites choses. 

Elle s’est accomplie d’abord dans la vie du Christ lui-même. Petit enfant, couché sur la rude paille de l’étable de Bethléem, il a annoncé au monde son programme royal, auquel il s’est tenu aussi pendant toute sa vie. C’est ce programme qu’il proclame au début de son sermon sur la montagne : Heureux les pauvres, heureux les petits, heureux les enfants déshérités de la terre ; à eux appartient le royaume des cieux. Une autre fois, il remercie son Père de ce qu’il a caché les mystères du royaume de Dieu aux sages et aux prudents et les a révélés aux petits. Et c’est également dans la petitesse qu’il a continué son pèlerinage sur la terre. Dans sa mort sur la Croix, il disparaît totalement, il “ s’est anéanti ”, selon l’expression de saint Paul. Oui, sur la montagne du Calvaire, il a enfoui dans la terre la petite graine de sénevé et l’a arrosée de son sang. 

Sa destinée est aussi celle de l’Église, son corps mystique. Petits et humbles, méprisables aux yeux du monde, devaient être ses débuts. C’est un pauvre petit troupeau que le céleste berger avait rassemblé, mais il peut lui dire avec confiance : “ Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume. ” Et il en a toujours été ainsi. Partout et toujours, les débuts de l’Église sont petits. Les grands et les riches du monde la méprisent ; les petits, les aveugles et les paralytiques sont ses premiers adeptes. 

Même dans la vie des particuliers, doit s’accomplir la parabole. Chacun doit commencer par l’humilité et l’abaissement, être petit. L’homme doit descendre de son trône, il doit se baisser, s’il veut entrer par la porte étroite du royaume de Dieu. 

2. La croissance rapide. — Cependant la petite graine devient vite une grande plante. C’est une image de l’extension rapide de l’Église. Le christianisme s’est développé comme le grain de sénevé. Il ne lui fallut que peu de temps pour se répandre dans tout l’empire romain. Il suffit de lire l’histoire des Apôtres, pour se rendre compte de cette croissance du grain de sénevé. Dès le jour de la Pentecôte, des milliers de convertis sont baptisés. Bientôt, l’Apôtre des nations commence son ministère et porte l’Évangile jusqu’en Europe ; de ville en ville, il fonde des communautés chrétiennes. Dès la fin du premier siècle, il n’y a pas une ville dans l’empire romain où le christianisme n’ait pénétré. Les empereurs romains mirent tout en œuvre pour étouffer le christianisme dans le sang de ses enfants, mais en vain. Le sang des martyrs était une semence de chrétiens. En l’an 312, l’empereur Constantin dut donner la liberté à l’Église. Le paganisme était vaincu, sans épée, sans argent, par la seule force de l’amour, de la foi et de la vie des chrétiens. Ainsi la petite graine du Golgotha est devenue un grand arbre qui étend ses branches sur toute la terre. Les oiseaux du ciel qui habitent ses branches sont les peuples qui se hâtent d’entrer dans l’Église et reposent à son ombre. 

Cette parabole nous fournit une méditation saisissante aussi bien au début qu’à la fin de l’année liturgique, au début où nous voyons croître la petite graine et à la fin où nous contemplons en esprit la fin du monde. Et à tous, elle nous donne une grande leçon : Devenez petits et vous serez grands. 

b) La parabole du levain 

Les deux paraboles forment un tout, elles se complètent. La première traite de l’accroissement extérieur, la seconde de la force et de l’action intérieures du royaume de Dieu. La première se rapporte davantage au royaume de Dieu en grand, à l’Église, la seconde considère surtout le royaume de Dieu en petit, dans l’âme. 

Examinons la parabole en détail. Le levain fut en usage de très bonne heure chez les Juifs. Au moment de la sortie d’Égypte, il est déjà question de levain. Les Juifs faisaient le pain tous les jours. La fabrication du pain est encore, dans nos campagnes, un travail. de femmes. Elles mélangent le levain à la pâte et il en faut une toute petite quantité pour faire lever toute la ma ;se de farine. 

Venons-en maintenant à l’interprétation. De même que le petit grain de sénevé renferme en lui une force capable de le faire devenir un grand arbre, de même la toute petite quantité de levain renferme assez de force pour faire lever toute une masse de pâte. Cette parabole représente donc, elle aussi, le développement du royaume du Christ, qui, parti de faibles débuts, a atteint une imposante grandeur. Cependant cette parabole a encore une. signification particulière. L’action du levain est cachée à l’intérieur de la masse de pâte. La parabole veut donc nous montrer la pénétration universelle de l’action du royaume de Dieu, dans l’âme et dans le monde. Le christianisme, dès son apparition, a profondément modifié toutes les situations de la vie humaine, dans l’individu, dans la famille, dans l’État. Le christianisme a vraiment été un levain qui a “ renouvelé la face de la terre ”. Il constitue la plus grande révolution morale de l’histoire. De cet aspect du christianisme, cette simple parabole nous donne une image d’une grande beauté évocatrice. 

Il ne serait pas difficile de montrer par des exemples comment le christianisme a transformé le monde. Songeons seulement à l’esclavage. C’est un des plus beaux titres de gloire de l’Église, d’avoir supprimé l’esclavage. Pensons aussi à la situation de la femme et de l’enfant, dans le paganisme. Pensons aussi à une autre tache sombre dans l’histoire de l’humanité, à la sensualité et à l’impureté du monde païen et comparons cette corruption à l’idéal de chasteté que nous a donné Jésus. 

Mais la parabole exige quelque chose de nous. Il faut qu’en nous aussi le christianisme soit un levain. Il doit transformer notre vie et notre âme. Il faut que nous soyons chrétiens, non seulement à l’église, mais aussi en dehors de l’église, dans notre profession, dans nos récréations, dans nos souffrances. Nos pensées, nos sentiments, nos résolutions, nos paroles, nos affections doivent être pénétrés du levain du christianisme. Il faut que, dans notre âme aussi, “ soit renouvelée la face de la terre ”. Dépouillons le vieil homme pour nous revêtir du nouveau, de Jésus-Christ. 

Combien, encore une fois, cette parabole convient au début et à la fin de l’année liturgique ! Elle nous invite à faire un examen de conscience et à nous demander si notre âme est vraiment pénétrée du levain de l’Évangile. Quelle responsabilité n’avons-nous pas, nous qui, si souvent, au cours de l’année liturgique, avons déposé, dans notre âme, le divin levain de l’Eucharistie et qui constatons qu’il reste bien des parties, dans cette âme, qui n’en sont pas renouvelées ! 

3. Lecture d’Écriture (Épître aux Hébreux, chap. 1). — Nous surtout, les amis de la liturgie, nous devrions consacrer toute notre attention à l’Épître aux Hébreux, car c’est manifestement un écrit liturgique. Son thème principal est le sacerdoce du Christ. Cette Épître est adressée aux Juifs chrétiens de Jérusalem qui étaient exposés à devenir infidèles à leur foi. Car ils observaient toujours la loi mosaïque, ils prenaient part aux cérémonies magnifiques qui se déroulaient dans le temple et ils étaient en butte au fanatisme des Juifs. Dans ces conditions, le découragement pouvait paralyser le zèle de leur foi. C’est pourquoi saint Paul leur montre la supériorité du Nouveau Testament sur l’Ancien, du sacerdoce du Nouveau Testament sur celui de l’Ancien. Méditons, au cours de cette semaine, les considérations de l’Apôtre et recueillons les plus beaux passages de l’Épître. Saint Paul commence par exposer que le Christ est le médiateur et le Grand-Prêtre de la Nouvelle Alliance. “ En maintes occasions et de diverses manières, Dieu a parlé autre fois à nos pères par les Prophètes ; mais dans ces derniers temps, il nous a parlé par son Fils. Il l’a établi héritier de l’univers qu’il a aussi créé par lui. Et comme il est la splendeur de la gloire du Père et l’image de sa substance, il soutient l’univers par sa parole toute puissante. Après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis à la droite de la Majesté dans le ciel. Il est d’autant plus élevé au-dessus des anges (même dans sa nature humaine) que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur. Car auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : “ Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui ” (Psaume 2) et encore “ Je serai son Père et il sera mon Fils” (II Reg. VII, 14) ? Et quand il fait paraître dans le monde son Fils premier-né, il dit : “ que tous les anges de Dieu l’adorent ” (Psaume 96). Sans doute, il est écrit des anges : “ Il fait ses anges des esprits et ses serviteurs des flammes ardentes ” (psaume 103) ; mais le Père dit à son Fils : “Ton trône, ô Dieu, est un trône éternel, un sceptre d’équité est le sceptre de ton royaume, tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu t’a distingué parmi tous tes compagnons et t’a donné l’onction royale ” (Psaume 44). Et ailleurs : “ Au commencement, Seigneur, tu as fondé la terre et les cieux sont l’œuvre de tes mains. Ils passeront, mais toi tu demeures, ils vieilliront comme un vêtement, tu les changeras comme un manteau et ils seront changés, mais toi tu es toujours le même et tes années ne finiront jamais.” (Psaume 101).