SIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Baptême et Eucharistie.
               
Dans l’église paroissiale, tous les dimanches avant la grand-messe, il est prescrit de faire de l’eau bénite. Puis le prêtre s’avance à l’autel et asperge l’autel et le peuple après avoir entonné l’“ Asperges ”. Voici la traduction de ce chant : “ Asperge-moi, Seigneur, avec l’hysope et je serai purifié ; lave-moi et je serai plus blanc que la neige ”. On commence ensuite le psaume 50. “ Aie pitié de moi, Seigneur, selon ta grande miséricorde ”. Que signifie cela ? L’eau bénite rappelle l’eau baptismale qui nous a purifiés du péché originel. Elle doit nous purifier maintenant des péchés de la semaine qui vient de s’écouler ; elle doit laver notre robe baptismale que nous avons peut-être souillée dans cette semaine. C’est pourquoi nous récitons le psaume de pénitence et demandons que notre robe baptismale “ devienne plus blanche que la neige ”. L’aspersion avec l’eau bénite signifie donc un renouveau du baptême. Elle n’a lieu que le dimanche, parce que précisément le dimanche est un jour de baptême. Telle est la haute signification de ce jour. Comment renouvelons nous le baptême ? Par la sainte messe, par la sainte communion. Le baptême nous a donné la vie divine et tous les biens de cette vie ; l’Eucharistie doit maintenir et développer cette vie en nous. Nous pouvons, au front de chaque dimanche, inscrire ces deux mots : baptême et Eucharistie. On peut donner ce titre particulièrement au sixième dimanche après la Pentecôte.
                
1. La messe (Dominus fortitudo). — La messe est une véritable messe pascale. Nous nous rendons parfaitement compte, aujourd’hui, que l’avant-messe appartient à la messe proprement dite. Les pensées de l’avant-messe sont, à proprement parler, un exposé de ce qui se passe mystérieusement dans l’action du sacrifice : l’actualisation de l’œuvre rédemptrice et son application à nos âmes. L’Évangile est une image de la sainte messe. Le dimanche, il y a aussi “ beaucoup de peuple (chrétiens) auprès de Jésus ” ; ce peuple est rassemblé dans l’église. Jésus prêche comme autrefois ; il nous parle dans l’Épître, dans l’Évangile, au sermon. Il dit encore : “ J’ai pitié de la foule ”. La semaine est longue. “ Je ne veux pas les renvoyer à jeun de peur qu’ils ne succombent sur la route (de la vie) ”. Aussi, il nourrit notre âme du pain de vie. Il est vrai qu’il ne multiplie pas le pain, mais il change le pain en son corps. — La magnifique Épître renouvelle notre bonheur pascal. Par le baptême, nous avons été “ greffés sur le Christ par la ressemblance de sa mort ”, “ nous avons été ensevelis avec lui en sa mort ”. Nous sommes devenus des hommes nouveaux et nous devons marcher. dans une vie nouvelle ”. “ Nous sommes morts au péché ; ne vivons plus que pour Dieu, dans le Christ Jésus ”. Tout ce bonheur pascal, l’Eucharistie doit aujourd’hui le faire revivre en nous. Les chants psalmodiques sont très beaux. Quelle confiance n’y a-t-il pas dans l’Introït ! (Considérons toujours les chants en union avec l’action liturgique primitive ; par exemple, dans l’Introït considérons l’entrée à l’église : avec quel ardent désir pénétrons-nous dans le sanctuaire !) Nous nous sentons les “ oints ” de Dieu (par le baptême), son “ peuple” et son “ héritage”. La certitude d’être membres de la communauté de Dieu, de l’avoir comme “ Pasteur ”, nous met à la bouche cette fervente prière à la Providence (récitons tout le psaume 27) : “ Le Seigneur est la force de son peuple, le protecteur victorieux de son oint. Sauve ton peuple, Seigneur, et bénis ton héritage, et sois son Roi éternellement ”. L’oraison nous présente une véritable méditation. Dieu doit être mon tout, le commencement, le progrès et la fin. Il est le bon jardinier du jardin de mon âme : il y “ sème ” l’amour divin, il fait “ croître ” la vie spirituelle, il “ entretient ” les plantes des vertus, il sarcle les mauvaises herbes, il arrose, il “ protège ” les plantes contre les ennemis. Dieu est à la fois le semeur de la vie divine, le soleil qui la fait germer et croître, le jardinier qui la cultive et la protège. L’Offertoire est un cantique de procession. Nous portons nos offrandes à l’autel ; cette démarche est le symbole du voyage de notre vie.
               
2. L’âme rachetée et l’âme non rachetée. — Quand nous lisons avec attention la belle Épître d’aujourd’hui, il semble que saint Paul veuille nous dire, que dans une âme baptisée qui a reçu la grâce le péché n’est plus possible. En effet, il tire clairement la conséquence. Nous sommes baptisés dans la mort de Jésus-Christ, c’est-à-dire : nous sommes morts avec lui. Le vieil homme a été attaché à la Croix. Nous sommes donc morts au péché. “ De même que le Christ ne meurt plus, considérons-nous comme morts au péché, mais vivants pour Dieu ”. Mais ce n’est là que l’idéal et la théorie. Saint Paul a devant les yeux l’idéal du chrétien. Ce serait un paradis sur terre si, de fait, nous n’étions plus soumis au péché. Mais, en réalité, il en est autrement. Sans doute le péché a été pardonné, le péché a été effacé, mais nous n’avons pas retrouvé les privilèges du paradis terrestre. Adam pouvait facilement éviter le péché, car il n’avait pas de tendance mauvaise vers le péché ; il était libre de la concupiscence de la chair. Mais nous, nous ne sommes pas dans l’état d’Adam avant le péché originel. Si le péché est effacé, l’inclination au mal demeure. Cette inclination nous entraîne sans cesse au péché et nous fait gémir sous le poids de nos faiblesses et de nos passions. Le mot de Goethe, dans Faust, est toujours vrai : “ Deux âmes, hélas ! habitent dans mon sein ”. L’une est l’âme rachetée, l’autre est l’âme non rachetée. Il vaudrait la peine d’examiner comment la liturgie, au cours de l’armée ecclésiastique, considère l’âme, aussi bien que l’Église, comme rachetée et comme non rachetée. Dans chacun de ces deux cas, il ne faut pas prendre la chose au sens absolu. La liturgie considère l’âme et l’Église tantôt sous un aspect, tantôt sous l’autre. La vérité se trouve dans le juste milieu. Tant que nous sommes sur la terre, il y a en nous quelque chose de racheté, et quelque chose de non racheté. Pendant l’Avent, nous avons l’impression de n’être pas rachetés ; si nous voulons bien comprendre la liturgie de l’Avent, nous devons nous considérer, en fait, comme des hommes non rachetés. A Noël et à l’Épiphanie, nous nous sentons de nouveau rachetés. Pendant le Carême, nous nous plaçons dans la foule des catéchumènes, nous sommes donc non rachetés. A Pâques, nous sommes des enfants de Dieu rachetés. Le but de la liturgie, en agissant ainsi, est de développer et de cultiver tous les aspects de notre vie spirituelle. En tant qu’hommes non rachetés, nous devons prendre conscience de notre misère, nous devons particulièrement exercer l’humilité. En tant qu’hommes rachetés, nous devons porter en nous la conscience de notre vocation chrétienne. Le temps après la Pentecôte est un temps mêlé, un temps de tous les jours. L’âme rachetée et l’âme non rachetée prennent tour à tour la parole. Nous en avons un exemple dans la messe d’aujourd’hui.
                
Parcourons le texte de la messe et nous verrons, en examinant chaque partie, que ces deux âmes participent à l’office divin d’aujourd’hui. Aux prières graduelles, l’âme non rachetée parle seule au triple mea culpa. Les deux âmes chantent ensemble l’Introït.. C’est l’âme non rachetée qui crie : “ Vers toi, Seigneur, je crie ; mon Dieu, ne sois pas sourd à mon appel ; autrement je serais comme ceux qui descendent dans la tombe ”. Elle compte donc avec la chute. Cependant, l’âme rachetée reprend le dessus ; elle s’attache au Seigneur. Sans doute elle est faible ; mais lui, il est la force, le protecteur, celui qui bénit, le Pasteur et le guide. Ce sont les deux âmes qui prennent la parole au Kyrie et au Gloria. Dans Kyrie s’exprime le besoin de Rédemption ; dans le Gloria, la certitude joyeuse de la Rédemption. La collecte, sans doute, est la prière de l’âme rachetée ; cependant, cette âme a conscience que Dieu seul, avec une attention indicible, cultive et fait grandir la plante de la grâce. Dans l’Épître, l’âme rachetée seule prend la parole. Saint Paul a l’idéal chrétien devant les yeux. Nous sommes morts au péché, nous vivons pour Dieu. Le Graduel est la réponse de l’âme non rachetée à la voix du ciel. Le psaume 89 est une plainte poignante de l’âme non rachetée. Le contenu de ce psaume est celui-ci : le Dieu éternel et l’homme qui passe. Il y a dans ce cantique un accent tragique saisissant. Le psalmiste demande : Pourquoi les hommes meurent-ils ? La réponse se fait entendre : le péché en est la cause. Le verset de l’Alleluia montre à l’âme rachetée le secours : dans cette misère, j’ai confiance dans le Seigneur ; il crée le salut. Dans l’Évangile, le Christ nous dit : Même en tant que rachetés, vous pouvez succomber en route ; c’est pourquoi je vous donne un pain pour traverser le désert de votre pèlerinage : la Sainte Eucharistie. L’Eucharistie suppose ce double état en nous. Nous sommes rachetés, et l’Eucharistie complète le baptême ; mais nous sommes soumis à la faiblesse, c’est pourquoi nous avons besoin du pain de vie dans le désert de la vie. Voilà comment se termine le drame de l’avant-messe. Avec la conscience de ces vérités, nous célébrons le Saint-Sacrifice. Ce sont les deux âmes qui vont à l’Offrande. L’âme non rachetée fait cette prière : “ Dirige mes pas sur tes sentiers afin que mes pieds ne s’égarent pas ”. L’âme rachetée souhaite davantage : “ Montre les merveilles de ta miséricorde ; tu sauves tous ceux qui ont confiance en toi ”. Il en est ainsi, d’ailleurs, dans la réalité. Dans le Saint-Sacrifice, le Seigneur nous montre les merveilles de sa miséricorde. Sur l’autel se tient le divin Agneau immolé et glorifié. Nous sommes élevés par lui et nous avons le droit de nous appeler son peuple saint. Mais, quand nous nous préparons à recevoir le pain de vie, nous nous rendons compte de nouveau des misères et des maux de notre âme et nous en demandons la délivrance. “ Seigneur, je ne suis pas digne ”, s’écrie l’âme non rachetée. “ Mais dis seulement une parole et mon âme sera guérie ”, tel est l’accent joyeux de l’âme rachetée. Et ainsi nous recevons le pain du désert de la vie qui nous “ purifie et nous protège ”, qui nous donne la force de ne pas succomber en route.
                
Nous voyons donc, dans cette messe, une alternance de supplications dictées par le besoin de Rédemption et d’accents joyeux inspirés par la certitude de la Rédemption. Où se trouve la solution ? Nous sommes, certes, des hommes rachetés, mais nous portons notre trésor dans des vases fragiles. Saint Paul est pour nous le plus bel exemple. Quand il pense à ses péchés, il est abattu, il sent qu’il n’est pas digne d’être le dernier des Apôtres. Mais cela n’est que le Kyrie ; le Gloria vient ensuite. Alors son âme rachetée s’élève à la certitude joyeuse de sa vocation. Alors, il s’écrie dans son allégresse : Je puis tout en celui qui me fortifie. L’âme non rachetée nous garde petits et humbles. L’âme rachetée nous donne la joie, la force et la victoire.