SAMEDI DES QUATRE-TEMPS

Station à Saint Pierre
      
Premiers rayons de la lumière de Pâques dans la nuit du Carême.
     
1. Solennité des Quatre-Temps. — Nous ne pouvons plus guère nous faire une idée de la solennité que l’ancienne Église donnait à la célébration des Quatre-temps. Les chrétiens se rassemblaient, après avoir jeûné toute la journée, le samedi soir. Ils passaient toute la nuit en prières, en lectures, en chants, près du tombeau de saint Pierre et célébraient de très bonne heure, le dimanche matin, la sainte Eucharistie. C’est pendant cette messe qu’on conférait les Ordres. L’Église brillamment éclairée au milieu de la nuit, le peuple réuni en grand nombre, tout le clergé groupé autour du pape, les chants célestes de la Schola, les nuages d’encens qui s’élevaient autour du tombeau de saint Pierre, tout cela faisait un cadre merveilleux à la fête des Quatre-Temps. Aujourd’hui, c’est le grand jour d’action de grâces pour les bienfaits du trimestre écoulé et, en même temps, un jour de renouvellement de l’alliance avec Dieu. Le pape saint Léon (+461) termine la plupart de ses homélies de Quatre-Temps par ces mots : “ Mercredi et vendredi, jeûnons ; samedi célébrons la vigile près de l’Apôtre saint Pierre. “ Nous savons aussi qu’en ce même jour il a fait une homélie sur l’Évangile de la Transfiguration. Ainsi donc, il y a au moins 1.500 ans que l’Église célèbre, en ce jour, notre messe, dans l’église de station de Saint-Pierre.
      
2. La messe (Intret). — La solennité d’aujourd’hui s’occupait moins, dans l’ancienne Église, des catéchumènes que de la communauté des chrétiens. L’Église voulait les fortifier de nouveau dans leur vocation à la grâce. Les chrétiens apportaient en ce jour leur offrande du Carême (la “ dîme” — Ire leçon). Les prières de la messe nous mènent de la nuit au matin radieux, de la nuit de la conscience du péché au clair soleil de la vie glorieuse, de la nuit du Carême au matin de Pâques, de la nuit de la vie terrestre au retour joyeux du Seigneur glorifié. La messe est une fête de Pâques anticipée (c’est sans doute une des plus belles de l’année). A l’Introït, nous touchons la corde la plus grave de notre harpe spirituelle : “ Intret “ (Introït). J’appelle, le jour ; je crie, la nuit. C’est la nuit dans nos dispositions intérieures et dans notre cœur, comme dans la réalité. Il faudrait réciter en entier le psaume 87 ; c’est un des plus sombres de tout le psautier. Les leçons qui suivent montrent déjà un beau progrès. D’abord, dans les deux premières leçons, c’est Dieu qui nous parle. Comme l’aigle entraîne ses petits vers le soleil, Dieu nous appelle vers lui dans les hauteurs ; dans les deux leçons qui viennent ensuite, nous lui répondons par deux prières faites de supplication profonde ; dans la cinquième leçon, brille l’aurore. L’Épître est une image idéale du vrai chrétien et, dans l’Évangile, brille le soleil divin, le Christ transfiguré.
     
Dans la première leçon, nous renouvelons l’alliance avec Dieu : “ Aujourd’hui, j’ai choisi le Seigneur pour qu’il soit mon Dieu — aujourd’hui, le Seigneur m’a choisi pour que je sois son peuple saint. “ (Cette leçon est pleine de sentiment). La seconde leçon est, elle aussi, très belle. Nous entendons les promesses de Dieu. Si nous lui sommes fidèles, nous serons invincibles : “ Tout le sol que foulent vos pieds sera vôtre. “ Si nous connaissions notre force ! Notre seul ennemi est le péché. La seconde oraison est une belle prière : elle demande que nous soyons humbles dans le bonheur et pleins d’assurance dans la souffrance. Aux deux promesses de Dieu correspondent deux leçons qui sont la réponse de l’Église. La troisième leçon est une offrande fervente de la communauté. C’est précisément là que nous voyons que la messe du samedi de Quatre-Temps est un sacrifice d’action de grâces pour le trimestre. La quatrième leçon est connue de tous ceux qui disent le bréviaire ; ils la récitent chaque samedi, aux Laudes, comme cantique. C’est une supplication ardente pour demander l’extension de l’Église ; c’est, en même temps, une prière de parousie : “ Montre-nous la lumière de tes miséricordes (par le jeûne, à la fête de Pâques)... Hâte le temps et souviens-toi de la fin (le temps de la nuit était rempli, pour l’ancienne Église, de la pensée de la parousie). Nous sommes encore dans la nuit, au “ sacrifice du soir “ (Graduel). Cependant, le jour commence à poindre. La quatrième leçon est comme la formule d’une bonne intention au commencement du jour : “ Préviens nos actions...” La cinquième leçon, avec l’hymne, est déjà une prière de Laudes. Les jeunes gens dans la fournaise étaient, pour l’ancienne Église, le symbole de la résurrection. Le temps des Laudes est venu, l’hymne est un cantique de résurrection. Il fait jour. Sixième leçon : saint Paul écrit à sa communauté de prédilection — l’Église nous donne un miroir du chrétien : ( Réjouissez-vous toujours, priez sans cesse, soyez reconnaissants en tout. “ On entend comme un Maranatha — l’appel ardent qui implore le retour du Seigneur. Le Trait : ce sont les Laudes de l’humanité. Et maintenant, voici que le soleil s’élève par-dessus les montagnes — le soleil eucharistique, le soleil de Pâques se lève. Une vision : Pâques et la parousie. Le Christ transfiguré renaît de nouveau et se tient devant la communauté qui l’attend. C’est le sens de l’Évangile de la Transfiguration. Travaillons sans relâche, “afin que l’esprit, l’âme et le corps se conservent irréprochables pour la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ “. L’Évangile devient une réalité au Saint-Sacrifice, c’est un accomplissement anticipé de Pâques et de la parousie. Nous célébrons la messe au tombeau de saint Pierre. Il se tient au milieu de nous ; avec lui, nous assistons à la Transfiguration du Seigneur et nous disons comme lui : “Il fait bon ici 1” Saint Pierre a vu la nuit du Mont des Oliviers, mais il a vu aussi la nuit de la Transfiguration ; il a passé la nuit du repentir dans les larmes amères, mais il a eu sa transfiguration dans sa mort. Qu’il daigne prier pour nous, afin qu’après la nuit du carême nous puissions célébrer une fête pascale lumineuse, ici-bas et là-haut. A première vue, nous pourrions trouver étonnant, après cette ascension jusqu’aux hauteurs du Thabor, d’entendre résonner de nouveau les graves et sombres accents du psaume 87. Et pourtant, il y a là une pensée profonde. La vision de la Transfiguration n’avait d’autre but que de préparer les Apôtres à la Passion. Ils auraient dû suivre le Seigneur non seulement sur le Thabor, mais encore sur le Calvaire. La vision du Thabor n’était qu’une première lueur. Il doit en être de même pour nous. Nous aussi, nous montons maintenant au Calvaire dans le Saint-Sacrifice. Les dispositions, dans lesquelles nous a mis l’Introït, sont d’une importance capitale pour nous aider à mourir avec le Christ. La Communion parle du jugement prononcé sur les ennemis : c’est encore un prélude à la Passion. Pour nous, c’est un appel au secours, adressé à celui que nous portons en nous, afin qu’il daigne nous délivrer des ennemis du salut.
     
3. Au sujet de la construction interne du Carême. — L’Évangile de la Transfiguration nous paraît, au premier abord, ne pas convenir au temps du Carême. Pour ne pas tirer de conclusions erronées et ne pas introduire d’éléments étrangers dans la liturgie, recherchons les pensées des plus anciennes messes de Carême. Ce sont celles du premier dimanche de Carême, du mercredi et du samedi des Quatre-Temps. Ces trois jours nous donnent les grandes lignes de la pensée de l’Église primitive :
1. Dimanche de Carême. — Le Christ jeûne pendant quarante jours, il est tenté, il triomphe du diable, il est servi par les anges.
Mercredi des Quatre-Temps. — Moïse et Élie jeûnent pendant quarante jours sur la sainte montagne, dans le désert ; le premier reçoit la Loi, le second parvient à la montagne de Dieu.
Samedi des Quatre-Temps. — Le Christ, Moïse et Élie, sur la montagne de la Transfiguration.
Nous remarquons encore une liaison interne :
1. Dimanche de Carême. — Le Christ dit : “ Tu ne serviras que Dieu seul. ”
Mercredi des Quatre-temps. — “ Celui qui fait la volonté de mon Père est mon frère, ma sœur et ma mère. “
Samedi des Quatre-Temps. – “ Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis ma complaisance, écoutez-le. “
Que nous enseigne ce rapprochement ? Examinons quatre points :
a) Le Christ, Moïse et Élie jeûnent quarante jours.
b) Ce jeûne est la préparation à la tentation, aux relations avec Dieu, à la marche dans le désert.
c) Il y a une direction commune : servir Dieu.
d) Le but est la Transfiguration.     
Nous avons donc, ici, une philosophie du jeûne. Le jeûne nous prépare efficacement aux difficultés de la vie chrétienne, qui est remplie de tentations, qui est une véritable marche dans le désert, mais aussi une vie d’intimité avec Dieu. Il nous prépare au service de Dieu et nous conduit au but suprême : la transfiguration glorieuse. C’est ce que nous dit la préface du Carême en termes d’une beauté classique : ( Par le jeûne corporel,. tu réprimes les vices ; tu élèves l’esprit, tu donnes la vertu et la récompense.“
     
4. Psaume 7 — Le juste juge. — Situation : David poursuivi par Saül ( ?) Plan : Le Psaume représente une séance de jugement dans toutes ses phases :
1. L’accusation : Aide-moi contre ceux qui me persécutent 2-3.
2. La preuve de l’innocence : Je suis innocent 4-6.
3. L’action judiciaire : Dans l’image du jugement universel 7-10.
4 Le jugement 11-14 :
a) concernant l’innocence 11-12,
b) avertissement aux méchants 13-14 (magnifique image du guerrier).
5. Exécution du châtiment 15-17 (en trois images).
Sentence finale : Remerciement 18.
Seigneur mon Dieu, je me réfugie auprès de toi : sauve-moi de tous mes ennemis et délivre-moi.
Autrement ils me déchireraient comme des lions et il n’y aurait pas de salut pour moi, pas de secours.
   
Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela, s’il y a de l’iniquité dans mes mains,
Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en faisaient, que je tombe impuissant devant mes ennemis, je le mérite.
Que l’ennemi me poursuive et m’atteigne, qu’il foule à terre ma vie, qu’il couche ma gloire dans la poussière.
   
Lève-toi, Seigneur, dans ta colère marche contre la fureur de mes ennemis.
Seigneur mon Dieu, lève-toi, selon le jugement que tu donnes toi-même, que l’assemblée des peuples t’environne, et au-dessus d’elle remonte dans les hauteurs,
Seigneur, juge les peuples.
Juge-moi, Seigneur, selon mon droit et mon innocence.
Anéantis la malice des méchants mais affermis le juste, toi, mon Dieu, qui sondes les reins et les cœurs.
   
Mon juste secours vient du Seigneur qui sauve les hommes au cœur droit.
Dieu est un juste juge, fort et patient et chaque jour sa colère peut s’enflammer.
Si vous ne vous convertissez, il brandira son glaive ; il bande son arc et le tient prêt à tirer ;
Il dirige déjà sur vous des traits meurtriers, ses flèches sont brûlantes.
   
Voici (le méchant) en travail d’iniquité ; il a conçu le malheur et il enfante le mensonge.
Il ouvre une fosse, il la creuse, il tombe dans l’abîme qu’il préparait ;
Le malheur retombe sur sa tête et son iniquité descend sur son front.
Je louerai le Seigneur pour son juste jugement, je chanterai le nom du Seigneur, le Très-Haut.
Tout le psaume est une image de la justice de Dieu ; v. 8 : le psalmiste fait appel à Dieu pour qu’il châtie les ennemis. Cette pensée est développée d’une manière grandiose qui rappelle le jugement universel. V. 13 : considérons les fortes images employées pour exprimer le châtiment du coupable, mais aussi la patience de Dieu. Ecce parturiit (l’impie, — auparavant, c’est Dieu qui était le sujet). V. 15. Remarquons le changement de sujet. Le châtiment est présenté en trois images : 1. L’image de la naissance : le méchant a conçu le malheur et il enfante le mensonge (la désillusion, le châtiment). 2. L’image de la chasse (on creuse des fosses recouvertes de branchages pour prendre les bêtes sauvages). 3. Image : la flèche de malheur que le méchant a lancée et qui revient contre lui-même.