SAMEDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE DE CARÊME

Station à Saint-Nicolas in carcere
      
Vous qui avez soif, venez boire.
     
Le grand jour du baptême approche. La messe d’aujourd’hui est comme un dernier appel aux catéchumènes.
     
Ils comprennent de plus en plus ce que le Christ est pour eux. Il est pour eux le Soleil qui apporte la chaleur et la vie ; il est la source d’eau vive qui calme leur soif ; il est le Bon Pasteur, l’hôte généreux, tendre comme la meilleure des mères. Pour nous aussi, le Christ est tout cela dans l’Eucharistie.
     
Nous chantons les antiennes suivantes au lever et au coucher du soleil : ( Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie, dit le Seigneur. ” (Ant. Bened.). “ C’est moi qui donne témoignage de moi-même, et mon Père qui m’a envoyé donne aussi témoignage de moi ” (Ant. Magn.). Au lever du soleil, la parole concernant la lumière divine convient très bien.
     
1. La messe (Sitientes) : Nous nous rendons, avec les catéchumènes des siècles anciens, dans l’Église de Saint-Laurent hors les murs ( ce n’est que dans le haut Moyen Age, par conséquent à une époque où le catéchuménat avait depuis longtemps disparu, que la station fut modifiée et que l’office fut célébré à Saint-Nicolas in carcere). L’église de station (celle du patron des catéchumènes) montre déjà l’importance du jour pour les catéchumènes. Aujourd’hui encore a lieu un scrutin. En outre, la magnifique avant-messe est une dernière invitation au baptême, adressée aux catéchumènes. Les catéchumènes et les fidèles trouvent aujourd’hui dans la messe : nourriture, lumière et eau. C’est précisément dans la messe d’aujourd’hui que la relation intime entre le Baptême et l’Eucharistie nous apparaît dans toute sa clarté. Ce que le Baptême a commencé, l’Eucharistie le continue ; le Baptême crée la vie divine, l’Eucharistie l’entretient et la nourrit. Dans les deux sacrements, l’Église est notre Mère ; dans le premier, en nous enfantant ; dans le second, en nous nourrissant. Ces considérations nous donnent de nouvelles lumières sur notre vie de Carême et elles s’adressent aussi bien aux fidèles qu’aux catéchumènes. Ce que le Baptême a fondé, l’Eucharistie doit le développer. Les catéchumènes grandissent dans le sein de l’Église et les fidèles reçoivent d’elle leur nourriture.
     
C’est avec ces pensées que nous nous rendons à la messe. Introït est comme une invitation : “ Venez, vous qui avez soif, venez à la source d’eau, buvez avec joie. ” Le Christ répète sans cesse cette invitation à l’âme de l’homme altéré de bonheur ; le Christ et sa doctrine apaisent la soif : “ mon peuple, écoute ma voix... ” Dans la leçon, l’aimable image du Bon Pasteur se présente encore aux) eux des catéchumènes. Le Bon Pasteur les invite et les laisse jeter un regard dans son Cœur aimant : “ Au temps de la grâce je t’ai exaucé ”, il les délivre des chaînes du péché, il les appelle des ténèbres à la lumière, il les conduit à la source d’eau et les y abreuve. L’image s’agrandit : nous voyons les païens, comme un troupeau dispersé, se hâter vers le Bon Pasteur ; le Seigneur console son peuple. Cette pensée remplit l’Église d’une telle joie qu’elle invite le ciel et la terre à pousser des cris d’allégresse. L’amour du Christ pour nous est plus grand que l’amour des mères, “ car il nous a inscrits dans ses mains ” (telle est la continuation du passage) par ses plaies à la Croix. Le Graduel et l’Offertoire sont l’écho des lectures. Le Graduel se rapporte surtout aux catéchumènes et l’Offertoire, plutôt aux fidèles. A l’Évangile, le Seigneur parle lui-même : “ Je suis la lumière du monde, ” Il est aussi notre lumière ; si nous voulons suivre ses traces, nous serons d’autres soleils, Quant aux Juifs qui marchent dans les ténèbres, ils ne le connaissent ni lui ni son Père, “ Personne ne mit la main sur lui, car son heure n’était pas encore arrivée ” (thème pascal), Quel bel accent n’a pas l’antienne de la communion, le cantique eucharistique : “ Le seigneur est mon Pasteur... ! ”
     
3. L’image du Sauveur. — Il est une chose remarquable, Dans la conception moderne du Carême, on s’occupe continuellement du péché et de la pénitence. Dans l’ancienne conception, on aimait à peindre sous les couleurs les plus vives l’image du Sauveur. La première semaine nous montrait le Christ combattant, le Christ mortifié qui nous conduit à la transfiguration ; la seconde semaine nous montrait le serviteur de Dieu qui s’abaisse et se fait obéissant jusqu’à la mort. Dans la troisième semaine, l’image devient plus intime : nous avons devant nous le médecin et le Sauveur de l’âme. Pendant la quatrième semaine, nous voyons le Christ sous un double aspect : d’abord, dans ses souffrances morales ; puis, comme celui qui nous apporte le salut. Dans ce dernier sens, les images se succèdent avec une grande variété. Nous voyons le Seigneur comme un nouveau Moïse intercédant pour nous (lundi), comme l’illuminateur (mardi), comme le thaumaturge qui ressuscite les morts (jeudi et vendredi) ; aujourd’hui, il y a jusqu’à cinq images : le pasteur, l’hôte, la mère, la lumière, l’eau. Méditons ces images et cherchons, en nous, l’image correspondante. Si le Christ est notre bon Pasteur qui prend soin de nous et va à la recherche de ses brebis, soyons, de notre côté, ses brebis fidèles qui se laisseront conduire, nourrir et retrouver. S’il est notre hôte généreux, soyons ses invités reconnaissants qui se trouveront à l’aise dans sa maison. S’il est pour nous comme une mère attentive et tendre, soyons ses enfants obéissants. S’il nous apporte la lumière, ouvrons-lui toutes grandes les portes de notre âme et laissons-nous éclairer par lui. S’il est une source d’eau dans le désert de la vie, buvons à longs traits aux sources du Sauveur.
 
4. Le psaume du Bon Pasteur (psaume 22) est une des perles du psautier.
Le Seigneur est mon pasteur ; je ne manquerai de rien, il m’a placé dans de verts pâturages.
Il me conduit près des sources rafraîchissantes, il y restaure mon âme.
Il me conduit dans de droits sentiers à cause de son nom.
Même quand je marche dans les sombres vallées de la mort, je ne crains aucun mal car tu es avec moi, ta houlette et ton bâton me rassurent. 
Tu as dressé devant moi une table pour la confusion de mes ennemis.
Tu as oint ma tête d’huile, et ma coupe, comme elle est débordante !
Que ta faveur m’accompagne, tous les jours de ma vie !
J’habiterai dans la maison du Seigneur pour de longs jours.
Ce psaume, d’après son titre, doit être attribué au chantre royal David. Il est divisé en deux strophes qui se distinguent par le changement de personnes. La première strophe est une méditation, elle parle de Dieu à la troisième personne ; la seconde est une prière, elle parle à Dieu. Le psaume décrit, en deux images charmantes, la bonté et la Providence de Dieu ; sous l’image du Bon Pasteur et sous celle de l’hôte généreux. Peut-être David songe-t-il à sa jeunesse, pendant laquelle il a goûté aux joies et aux souffrances de la vie de berger.
     
1. Examinons le psaume en partant du sens littéral pour arriver au sens complet et chrétien. Dans la première strophe, il est question d’un pasteur bon et dévoué, qui fournit à ses brebis tout ce dont elles ont besoin : il leur fournit quatre choses : a) le pâturage, b) la direction, c) la protection, et d) l’amour. Tout cela peut s’appliquer à Dieu immédiatement. Dieu est le Bon Pasteur et nous sommes ses brebis. Pour nous, chrétiens, l’image est encore plus plastique : le Christ est notre Bon Pasteur et nous sommes ses brebis. Le Seigneur a eu une prédilection pour cette image dont il s’est servi maintes fois. Nous pouvons donc lui faire l’application du psaume.
     
a) En premier lieu, le Bon Pasteur offre à ses brebis un bon pâturage. Un bon pâturage comprend la nourriture et la boisson (on insiste sur la boisson dans l’Orient altéré). Le Christ, le Bon Pasteur, nous conduit, nous aussi, dans les bons pâturages ; il nous donne la nourriture et la boisson au sens spirituel. Ce sont les biens du royaume de Dieu : la foi qui satisfait les aspirations de notre âme, la grâce et la filiation divine. Mais comment ne pas songer à la nourriture de nos âmes, à la Sainte Eucharistie que nous présente le Seigneur ? Le pain du ciel est “ notre bon pâturage ”, c’est l’“ eau rafraîchissante ” qui “ restaure notre âme ”.
     
b) Le Pasteur offre aussi à son troupeau une bonne direction. En Orient, le berger marche devant son troupeau et celui-ci le suit. C’est ce que le Christ dit expressément de lui-même dans sa parabole : “ Quand le gardien de la porte a laissé sortir les brebis, le pasteur marche devant et les brebis le suivent... ” (Jean X, 4). C’est ainsi que le Sauveur nous guide à travers la vie. Il marche devant nous, portant sa Croix, et nous marchons sur ses traces dans une sainte communauté d’amour et de souffrances.
     
c) Sa route ne passe pas seulement à travers des prairies ensoleillées, elle nous fait passer aussi par les “ sombres vallées de la mort ”, par la nuit de l’âme où nous connaissons les heures de Gethsémani, les tentations, les amertumes. C’est alors que nous avons besoin de sa protection. Dans de tels moments, il n’y a pas de plus grande consolation que cette certitude confiante : “ Tu es près de moi. ” (Le philosophe Kant disait de ce verset : aucun des livres que j’ai lus ne m’a donné autant de consolation que cette parole de la Bible).
     
d) Le Bon Pasteur nous accorde encore un autre bienfait : il fait notre éducation d’enfants de Dieu et d’héritiers du ciel. Il emploie pour cela deux moyens : l’un est son bâton pastoral ; l’autre, sa verge de châtiment. Il nous éduque par la joie et par la peine.
      
2. Dans la seconde strophe, la scène change ; nous voyons un hôte oriental. L’hospitalité, comme on sait, était très cultivée en Palestine et l’hôte reçu était comblé d’honneurs. Ainsi le Christ se plaint d’un Pharisien qui ne l’a pas reçu avec les honneurs convenables : “ Je suis venu dans ta maison et tu ne m’as pas donné d’eau pour mes pieds... tu ne m’as pas donné de baiser... tu n’as pas oint ma tête... ” (Luc VII, 44 sq.). Dans notre psaume, le bon hôte rend à son invité un quintuple honneur : il dresse devant lui une table richement servie, il oint sa tête d’huile, il lui présente une coupe de vin, il conclut avec lui un engagement d’amitié durable, il va même jusqu’à lui offrir une demeure permanente. Il est inutile de faire l’application de cette parabole au Christ et à l’âme et d’en examiner les détails. Par notre entrée dans le royaume de Dieu, nous sommes devenus les hôtes du Christ et notre bon hôte nous sert la “ table du Seigneur ”, nous présente le “ calice du salut ” ; dans le Baptême et la Confirmation, il oint notre tête d’huile. Nous sommes ses amis et il nous est permis de demeurer avec lui.