QUINZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Celui qui ressuscite les morts.
            
C’est une véritable messe de dimanche qu’on pourrait intituler : Pâques et parousie. Le Christ est, dans un double sens, celui qui ressuscite les morts. Sur la terre, il les ressuscite spirituellement par la grâce ; au dernier jour, il les ressuscitera corporellement dans la gloire. Chaque dimanche unit, dans le sacrifice eucharistique, Pâques et la parousie. Il renouvelle la grâce du baptême, accomplit par avance le dernier avènement et nous donne, dans le pain de vie, le gage de la résurrection. Ces pensées trouvent dans la messe d’aujourd’hui une très belle expression : L’Église, cette fois encore, veut que, toute la journée, nous vivions du récit évangélique. Dès le matin, nous voyons Jésus venir à Naïm : “ Jésus se rendit dans une ville nommée Naïm et voici qu’on portait en terre un jeune homme, fils unique de sa mère ”. Le mort, c’est chacun de nous. C’est avec cette impression que nous nous rendons à la messe du dimanche. Mais, le soir, nous rendons grâces pour la résurrection : “ Un grand Prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple ”.
            
1. Le passage à l’automne ecclésiastique. — Jusqu’ici, dans les dimanches après la Pentecôte, nous avons dirigé nos regards vers deux objets ; nous avons regardé en arrière vers la Pentecôte et nous avons considéré le présent. En considérant la Pentecôte passée, nous avons essayé sans cesse de renouveler en nous la grâce du baptême ; la considération du présent nous a appris à soutenir le combat contre le mal. Tels étaient les deux objets typiques des dimanches précédents ; c’était tantôt une guérison miraculeuse où l’Église nous faisait voir une image du renouvellement de la grâce du baptême, tantôt l’opposition entre les deux royaumes, le royaume de Dieu et le royaume du monde. Comme nous l’avons souvent fait remarquer, l’Église ne voulait pas nous proposer un choix ; notre choix est déjà fait. Elle voulait nous inviter à analyser notre âme en portant la lumière dans notre intérieur et en nous faisant y découvrir deux âmes. Aujourd’hui, l’Église commence à nous faire considérer un troisième objet ; elle nous fait envisager l’avenir, le retour du Seigneur. Nous entrons ainsi dans la dernière partie de l’année liturgique, celle qui est consacrée au retour du Christ.
            
2. La messe (Inclina Domine). Aujourd’hui, nous n’entrons pas dans le sanctuaire avec le visage radieux, de l’enfant transfiguré de Dieu, mais comme des exilés soucieux engagés dans le combat. Le poids des combats de la semaine fait fléchir notre âme. L’âme cherche la “ joie ”, elle “ s’élève ” vers son Dieu (Récitons le psaume en entier. Quand la liturgie prend le premier verset du psaume pour en faire l’antienne, elle entend méditer tout le psaume). Nous avons besoin d’une grande miséricorde, d’une miséricorde continuelle de Dieu, pour “ nous purifier et nous protéger ” ; autrement, il n’y a pour nous aucun salut (Or.). L’Épître se rattache aux dimanches précédents. Saint Paul parlait de la vie de l’esprit par opposition à la vie de la chair. Il tire aujourd’hui les conséquences pratiques qu’on peut résumer brièvement ainsi : Marchons aussi selon l’esprit. C’est tout un recueil de pensées vitales. La liturgie nous propose ici quelques leçons qui conviennent à la vie commune : Pas d’ambition, pas d’envie parmi les chrétiens ; de la douceur et de la pitié pour ceux qui défaillent : “ que chacun porte le fardeau de l’autre, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ ” ; respectez le pasteur de la communauté, faites du bien à ceux qui partagent votre foi. L’Église a toujours son idéal devant les yeux : une communauté d’enfants de Dieu réunie dans la charité. Au Graduel et surtout dans le verset de l’Alleluia, le soleil de Pâques brille à travers les nuages. Le Christ, le grand Seigneur et le grand Roi du monde entier, celui qui ressuscite les morts, se tient maintenant devant nous, à l’Évangile. On peut observer dans cette messe une gradation constante : l’imploration de l’Introït, l’oraison qui respire la sollicitude maternelle de l’Église pour ses enfants en péril, les sérieux avertissements de saint Paul ; puis vient le Graduel où le soleil perce les nuages pour briller de tout son éclat à l’Évangile : Maintenant, au Saint-Sacrifice, le Christ veut semer dans notre âme le grain de froment qui doit donner comme moisson la vie éternelle (Ép.). Le Christ est aujourd’hui celui qui ressuscite les morts ; il veut “ visiter son peuple ”, lui donner une “ vie ” nouvelle ; c’est pour cela qu’il a préparé son “ pain” (Comm.). Pour cette résurrection des morts nous le remercions profondément à l’Offertoire. Dans la Postcommunion, nous entendons encore un écho de la pensée familière des deux royaumes.
            
3. Construction de ponts. — Les prêtres sacrificateurs de l’antique Rome païenne s’appelaient pontifices, ce qui veut dire littéralement : constructeurs de ponts. Ce nom vient peut-être de ce qu’ils offraient leurs sacrifices auprès d’un pont. L’Église a adopté ce mot dans sa liturgie et l’emploie pour désigner le Pape et même les évêques. Et, certes, l’étymologie de ce mot permet une belle interprétation, car le prêtre lui aussi est un constructeur de ponts : il établit un pont entre le ciel et la terre, c’est-à-dire qu’il est médiateur entre Dieu et les hommes. Nous pourrions appliquer ce sens à la Sainte Église ; elle aussi construit un pont d’or qu’elle jette par-dessus la vie de chacun de nous depuis notre naissance jusqu’à notre mort. Le premier pilier de ce pont est le baptême, le dernier est le retour du Seigneur et, entre ces deux piliers, elle jette le pont de l’Eucharistie. Comme nous l’avons souvent dit, tel était le chemin que suivait la piété de l’ancienne Église : du baptême à la parousie par l’Eucharistie. Nous trouvons une belle expression de cette pensée dans la messe d’aujourd’hui. La résurrection du jeune homme de Naïm représente notre résurrection spirituelle dans le baptême. L’Eglise nous fait voir en même temps dans ce miracle l’annonce .de la résurrection de la chair au dernier jour. Les autres textes nous donnent des instructions sur les moyens de salut qui nous permettront de conserver la vie divine. Le principal de ces moyens est l’Eucharistie : “ Le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde ”.
            
Quand nous sommes venus au monde, nous portions : déjà en nous le germe de la mort ; dès notre premier ; jour, nous étions déjà sous le coup de cette malédiction : tu es poussière et tu retourneras en poussière. Notre vie terrestre est comme un convoi funèbre ; nos passions et nos péchés sont les porteurs qui hâtent le pas pour nous ensevelir dans la poussière. C’est alors que le Christ se présente au milieu de notre marche vers la tombe ; il prononce la grande parole : Jeune homme, je te le dis, lève-toi. Ce fut le baptême. Nous reçu mes alors une vie nouvelle, immortelle. Mais il s’agit de conserver cette vie et de la développer. Au baptême, mon âme était comme un enfant nouveau-né ; il faut qu’elle grandisse. Des ennemis l’épient déjà pour lui enlever la vie divine. Mais le Christ est là de nouveau. Il nous rompt, tous les dimanches ou même tous les jours, le “ pain pour la vie du monde ”. Sans doute ce pain ne crée pas la vie ; son rôle est de la conserver et de la développer. C’est ce que nous indique l’Épître d’aujourd’hui en nous ordonnant de “ vivre dans l’esprit et de marcher dans l’esprit ”. Ainsi, tout le long de notre vie, nous construisons le pont d’or qui nous conduira au jour radieux du retour du Seigneur.
             
Nous allons entrer dans l’automne ecclésiastique. La moisson des âmes a déjà commencé (l’Assomption de la Sainte Vierge). Nous voyons les vierges sages attendre l’Époux, une lampe allumée à la main ; le serviteur vigilant, les reins ceints et portant une lumière à la main, va au-devant de son Maître. Nous voyons déjà briller au ciel la grande croix d’or, le signe du Fils de l’Homme (Exaltation de la Sainte Croix). Chrétiens, le temps est court ; hâtons-nous de construire un pont d’or et de l’achever pour la résurrection bienheureuse.