QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME

Station à Sainte-Croix de Jérusalem
     
Jérusalem, notre Mère.
     
Pâques va bientôt venir. Telle est la pensée nouvelle qui domine et influence la liturgie d’aujourd’hui. C’est cette pensée qui explique tous les autres thèmes et toutes les autres pensées de la journée : le Christ, le nouveau Moïse, donne aux siens la manne céleste, l’Eucharistie ; il les conduit dans la Jérusalem céleste, l’Église, et en fait de libres enfants de Dieu.
     
1. Un jour de joie — Ce dimanche a une situation tout à fait spéciale dans l’année liturgique : un dimanche de joie en plein Carême ! Le prêtre peut porter un ornement rose, les orgues jouent, le diacre et le sous-diacre peuvent revêtir des vêtements de joie et tous les textes ont le ton de la joie. La messe commence par un cri de joie : “ Laetare — réjouis-toi ”. Les motifs de la joie de l’Église sont les suivants :
     
a) Dans les temps antiques, le jeûne pascal ne commençait à Rome que le lendemain : ce dimanche était donc une sorte de dimanche de Carnaval. Plus tard, quand le Carême dura 40 jours, ce fut le dimanche de Mi-Carême et on en fit un jour de détente dans la sévérité du Carême.
    
b) L’Église ancienne se réjouissait au sujet des catéchumènes, dont la renaissance spirituelle était imminente : c’est la joie maternelle de l’Église (c’est du reste cette pensée qui donne à l’antique liturgie du Carême une impression joyeuse).
     
c) Ce dimanche est une fête de Pâques anticipée ; nous ne pouvons plus réprimer la joie de l’attente. Ce jour est aussi la fête du printemps ; l’Église se réjouit de la résurrection de la nature, dans laquelle elle voit encore une image de la résurrection du Christ et de l’âme. C’est pourquoi, à Rome, on apportait aujourd’hui les premières roses à l’Église ; les chrétiens, mais surtout les catéchumènes, s’offraient mutuellement des roses. C’est ce qui explique aussi l’antique usage de la bénédiction de la rose d’or par le Pape. La rose est le symbole du Ressuscité, mais aussi de la joie chrétienne.
      
d) Enfin, ce jour est aussi un dimanche eucharistique : le Christ est sur le point de fonder sa famille ; c’est au prix de son sang qu’il nous gagne notre pain quotidien, ce pain doit être un fruit de sa Passion ; c’est ce que nous indique l’Évangile. Le Christ est le nouveau Moïse, (le Patriarche de cette semaine) qui, dans le désert de la vie, nous présente la manne céleste. Il y a donc des motifs de joie en abondance : joie pascale, joie maternelle, joie du printemps, fête eucharistique.
     
2. Le thème de la station. — Pour comprendre cette journée liturgique, il est très important de songer à l’église de station. C’est “ Sainte-Croix de Jérusalem ” ; dans l’antiquité, on disait simplement u Jérusalem D. Aux yeux des chrétiens de Rome, cette église était le symbole de la Jérusalem messianique (l’Église) et de la Jérusalem céleste. En ce jour, les catéchumènes étaient, pour ainsi dire, introduits solennellement dans la Jérusalem de la chrétienté. L’église de station a exercé une grande influence sur le formulaire de la messe. Tous les chants traitent de Jérusalem. Le psaume directeur, 121 : “ Je me suis réjoui de la joyeuse nouvelle : Nous nous rendons dans la maison de Dieu.” Jérusalem, ville bien bâtie, était vraiment l’expression de l’allégresse des catéchumènes et des chrétiens. L’Épître, elle aussi, compare, sous la figure des deux femmes d’Abraham, l’Église et la synagogue, la Jérusalem céleste et la Jérusalem juive. L’église de station doit rappeler aux chrétiens et aux catéchumènes qu’ils ont une bonne Mère : la sainte Église. Aujourd’hui devrait se lire, en lettres d’or, sur le portail de notre église paroissiale : Jérusalem, notre Mère.
     
3. La messe (Laetare). — L’Introït est un appel à l’allégresse pascale. La u tristesse” du Carême approche de sa fin ; bientôt, les nouveaux enfants seront nés (baptême) et ils se “ rassasieront sur le sein de l’Église “ (Eucharistie). Le psaume 121 se rattache au symbole de l’entrée du prêtre : c’est ainsi qu’entreront les néophytes, vêtus de blanc, dans la nuit pascale ; c’est ainsi que nous entrerons, un jour, dans le sanctuaire du ciel (il faudrait réciter le psaume entier). — Ce dimanche est un moment de détente dans le Carême de la vie. C’est ce que nous indique le mot “ consolation “, dans l’oraison. Dans le symbole profond des deux femmes d’Abraham, Sara et Agar, l’Église veut nous montrer, ainsi qu’aux catéchumènes, le bonheur de notre état de chrétiens. Ce bonheur est encore plus accentué par le contraste avec le judaïsme : nous sommes de libres enfants de Dieu, les héritiers du ciel. La Jérusalem céleste est notre Mère et nous sommes ses enfants : cette liberté nous a été apportée par le Christ (Épître). Le Graduel et le Trait sont un chant de joie en l’honneur de notre Mère qui est pour nous un mur de protection dans tous nos combats. L’Évangile nous représente, d’une manière dramatique, la célébration eucharistique qui va suivre : “ La Pâque est proche ” (chaque messe est Pâques). Le Christ accomplit pour nous, la communauté rassemblée, le miracle de la multiplication des pains et des poissons (les deux symboles eucharistiques de l’arcane), et nous donne un avant-goût de la fête de Pâques. A la Procession de l’Offrande, nous chantons le bon Maître qui nous donne la “ douceur” de son pain (le beau texte, dans toute son extension, parle aussi de Jérusalem). En nous rendant à la Communion, nous chantons, pour la troisième fois aujourd’hui, le cantique de pèlerinage vers la Jérusalem céleste.
     
4. Moïse. — L’Église nous présente, aujourd’hui, le sixième et dernier Patriarche, le grand Moïse. C’est l’un des plus grands hommes de tous les temps, c’est l’ami de Dieu, le législateur du peuple juif et son conducteur à travers le désert. Il est aussi la figure du Christ : le Seigneur dit lui-même : “ ce n’est pas Moïse qui vous a donné le vrai pain ; le vrai pain, c’est. mon Père qui vous le donne” (Jean VI, 32). En ce dimanche de la multiplication des pains, Moïse est le type du Christ qui donne la manne céleste. L’Église désire que pendant toute la semaine qui commence, nous méditions sur la grande figure du Patriarche.
     
Le second nocturne de Matines nous offre une prédication du grand docteur de l’Église, saint Basile, sur le jeûne : “ Nous savons de Moïse que c’est en jeûnant qu’il est monté sur la montagne (du Sinaï). Il n’aurait pas osé s’approcher du sommet environné de fumée, s’il n’avait pas puisé de la force dans le jeûne. Parce qu’il avait jeûné, il reçut les tables de la Loi écrite par le doigt de Dieu. Le jeûne procura donc, sur la montagne, l’établissement de l’Ancienne Alliance, mais la gourmandise, dans la plaine, entraîna le peuple à l’idolâtrie. Les fatigues et l’endurance de quarante jours, pendant lesquels le serviteur de Dieu jeûna constamment, furent anéantis par une seule intempérance du peuple. Cela nous fait voir, quand on compare les deux faits, comment le jeûne mène à Dieu, alors que la recherche des jouissances fait perdre le salut. Le jeûne a produit des hommes de Dieu, il affermit et fortifie les forts. Le jeûne apporte la sagesse aux législateurs ; il est pour l’âme la meilleure protection, il chasse les tentations, donne des armes pour la piété, il est le fondement de la continence ; il donne la bravoure aux guerriers ; dans la paix, il enseigne le repos ; il donne la perfection aux prêtres, il est, en effet, défendu de toucher au sacrifice sans jeûne. ” — Ce qui nous montre l’importance de Moïse dans la liturgie du Carême, c’est qu’elle lui consacre, pendant cette semaine, quinze répons différents.
     
5. Les biens du royaume de Dieu. – “ La fête de Pâques est proche ”, tel est le joyeux message que développe la liturgie ; elle énumère les biens et les avantages contenus dans ce message. Examinons les trois que renferment les trois lectures principales. Ce sont, Moïse, Jérusalem et la manne ou, pour parler sans figure : le Christ, l’Église et l’Eucharistie.
     
a) Moïse est la figure du Christ. Il a été choisi par Dieu pour être le sauveur, le guide, le nourricier et le docteur du peuple élu. Après un dur combat avec le pharaon, il délivra son peuple de la servitude de l’Égypte, dans cette nuit fameuse de la Pâque, après lui avoir fait immoler et manger l’agneau pascal. Il fit traverser à son peuple la Mer Rouge à pied sec, le conduisit à travers le désert, le nourrit de la manne et l’abreuva de l’eau jaillie du rocher ; il lui donna la Loi et les commandements sur le Sinaï ; il s’entretint avec Dieu ; il fut le médiateur et l’intercesseur d’Israël ; il lui fallut une indicible patience pour supporter les faiblesses de son peuple.
     
En tout cela, Moïse est la figure du Christ. Envoyé par son Père dans le monde, le Christ lutte contre l’infernal Pharaon ; dans la nuit pascale, il fait sortir son peuple de l’Égypte ; il est lui-même l’Agneau pascal qui est immolé et mangé. Il fait passer son peuple à travers la Mer rouge du Baptême, après avoir traversé, le premier, la Mer rouge de la Passion. Et maintenant, il nous guide à travers le désert de la vie, nous nourrit et nous abreuve de la manne et de la source vivifiante de l’Eucharistie. C’est avec une patience indicible qu’il nous conduit vers la terre promise du ciel. Chrétiens, la fête de Pâques approche, le divin Moïse nous fait sortir de l’Égypte.
      
b) Or, avant de pouvoir entrer dans la terre promise du ciel, nous avons besoin, sur la terre, d’une patrie, d’une mère. Cette patrie, c’est notre Jérusalem ; cette mère, c’est la sainte Église. Quelle importance a pour nous la Jérusalem sainte, l’Église ? L’Église n’est pas une simple société, une organisation. Si nous voulons saisir sa réalité profonde, voyons en elle le corps du Christ, le Christ mystique. Ce corps croît dans ses membres. Ces membres, ce sont les chrétiens, ce sont aussi les saints du ciel. A travers ces membres, circule la sève vitale divine, comme la sève de la vigne circule dans les sarments. Chacun d’entre nous est donc membre du Christ.
     
Voyons encore, dans l’Église, l’Épouse du Christ. La synagogue était aussi l’épouse de Dieu, mais c’était une esclave, comme Agar, la femme esclave d’Abraham. L’Église est une princesse, une reine de noble naissance, qui porte sur son front une brillante couronne. C’est pourquoi ses enfants sont des princes, et nous sommes ces enfants. Voyons, enfin, en elle le vestibule du ciel, la sainte Jérusalem “ descendue du ciel “. L’image de cette Jérusalem, de cette Église, c’est la maison de Dieu, aujourd’hui plus que jamais. Aujourd’hui, notre église paroissiale est, dans le sens le plus élevé, la sainte Jérusalem. Dès notre réveil, que notre première pensée soit : “ Je me suis réjoui de la bonne nouvelle, nous allons nous rendre à la maison de Dieu. ” disaient autrefois les Juifs exilés s’applique aussi à l’Église : “ Si jamais je t’oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche, que ma langue se colle à mon palais... ” Chrétiens, la fête de Pâques approche. Pénitents et catéchumènes, nous allons retrouver une mère aimante, la sainte Église.

c) Ce que la liturgie nous a dit sous la figure de Moïse, elle nous le présente sous un jour nouveau dans l’Évangile de la multiplication des pains. Le Christ, nouveau Moïse, nous donne, dans le désert terrestre, la véritable manne, la sainte Eucharistie. Lui-même se réfère à la figure dans le discours qu’il fit, peu de temps après la multiplication des pains, dans la synagogue de Capharnaüm : “ Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le vrai pain du ciel ; le vrai pain du ciel, c’est mon Père qui vous le donne... Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Voici le pain descendu du ciel afin qu’on en mange et qu’on ne meure point. ” L’Évangile d’aujourd’hui veut nous indiquer le troisième don de Pâques, que nous offre le Seigneur. Il lui a coûté tant de souffrances et de douleurs ! Recevons-le de nouveau à Pâques et bénissons la main qui nous le donne.