NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Le Christ pleure sur Jérusalem.
           
L’Église nous présente, aujourd’hui, une image sinistre. C’est comme un phare dans la mer sombre de la vie, et ce phare doit nous préserver des écueils. Cette image offre une leçon, une idée directrice : il y a un enfer : l’âme élue, elle-même, peut être rejetée si elle ne vit pas de la foi. Les deux lectures ont ce trait commun qu’elles parlent toutes les deux de l’infidélité et de la réprobation du peuple élu que Dieu voulait sauver. Méditons pendant toute la semaine cette image saisissante : le Christ se tient debout et pleure devant les portes de la ville élue. La semaine a quelque chose de grave. Excitons en nous l’esprit de pénitence et répétons chaque jour la prière du Canon : “ Arrache-nous à la damnation éternelle ”.
            
1. La messe (Ecce Deus). — La messe a aujourd’hui — des textes instructifs ; elle contient — ce qui est une exception, le dimanche — un avertissement. Le psaume d’Introït (ps. 53) décrit la vie chrétienne. Même après la conversion pascale, cette vie est un combat qui se terminera, il faut l’espérer, par la victoire, comme dans le psaume. Puisse le dimanche ressembler à l’antienne et sceller la victoire pascale ! La semaine, avec ses combats, ressemble au verset. — Nous sommes des enfants imprudents. Bien souvent nous demandons des choses qui nous seraient funestes. C’est pourquoi l’Église nous fait prier pour obtenir la grâce de ne demander que ce qui est agréable à Dieu (Or.). L’Église nous donne aujourd’hui un grave avertissement. Le baptême, la vocation, l’Eucharistie ne suffisent pas à nous assurer le salut. Toute l’histoire juive nous invite à nous tenir sur nos gardes. Le peuple élu a été rejeté, réprouvé. Saint Paul nous donne deux paroles qui doivent pendant toute la semaine nous avertir et nous consoler : pas de présomption, mais pas de découragement. “ Que celui qui est debout prenne garde de tomber. Aucune tentation ne vous est survenue qui n’ait été humaine. Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais, avec la tentation, il vous ménagera aussi une heureuse issue afin que vous puissiez la supporter ”. — Le Graduel et le chant de l’Alleluia ont interverti leurs rôles. Le Graduel voit le Seigneur sur son trône ; quant à l’Alleluia (surtout si on lit le psaume en entier)j il montre le violent combat de l’enfer pour conquérir l’âme humaine, il implore ardemment le secours, mais cette prière se voile sous l’Alleluia pascal. — L’Évangile nous montre une scène impressionnante tirée de l’entrée de Jésus à Jérusalem, le dimanche des Rameaux. Jérusalem est l’image de l’âme baptisée qui repousse la grâce. Quel avertissement ! Jésus pleure ; le Créateur, le Juge pleure sur le péché et l’infidélité de sa créature ! Purifions donc le temple de notre âme. A l’Offertoire, l’âme chante la seconde partie du psaume du dimanche (ps. 18) ; elle exprime ainsi ses impressions sur les graves lectures : je reconnais le temps de la “ visite ” ; “ ton esclave veut garder les commandements ”. C’est notre offrande, aujourd’hui. La Secrète est une prière dogmatique. Elle nous apprend à comprendre et à estimer le sacrifice de la messe : “ Toutes les fois que se célèbre la mémoire de ce sacrifice, s’accomplit l’œuvre de notre Rédemption. ” L’antienne de Communion est un véritable cantique de communion : “ Celui qui mange ma chair... demeure en moi ”. Cette image. fait contraste avec celle qu’évoque l’Évangile. Le fruit du sacrifice doit être la pureté et l’unité (Post.)"
             
2. Quelle est l’attitude de la liturgie par rapport à l’enfer ? — Il nous faut distinguer dans l’histoire de la liturgie deux périodes. a) L’ancienne liturgie parle peu de l’enfer. L’Église des martyrs est toute remplie de pensées de lumière, elle aspire au retour du Seigneur ; la virginité et le martyre sont son idéal de vie ; elle est environnée de persécuteurs. A cette, époque, la menace de l’enfer était à peu près inutile. C’est pourquoi, dans l’antique liturgie, il est rarement question de jugement et de damnation. b) Il n’en fut plus de même à l’époque suivante. L’Église reçoit la liberté ; elle est protégée par les souverains séculiers. Des éléments tièdes et indignes pénètrent dans son sein ; la messe et les sacrements ne rencontrent plus le même respect. La haute moralité de l’époque des martyrs décline. L’Église. est obligée de recourir à des moyens plus énergiques ; il lui faut inspirer aux chrétiens la crainte des châtiments. C’est de cette époque du Moyen Age que datent les textes liturgiques qui parlent du jugement, de la réprobation et de l’enfer. C’est sans doute alors que fut composé l’office de notre dimanche. C’est dans la messe des morts que cette transformation est le plus sensible. Les parties antiques de cette messe sont encore toutes remplies des joyeuses pensées de la résurrection. Nous demandons, pour ceux qui sont “ endormis ”, la “ lumière éternelle ” et “ la paix ”. C’est la conception religieuse du Moyen Age qui a fait naître le “ Libera ” après la messe, lequel nous donne une représentation dramatique du jugement. — C’est au Moyen Age aussi que sont apparus tous les textes, inspirés par la crainte, de l’ordinaire de la messe, comme le Confiteor, le passage concernant la damnation dans le Canon et avant la Communion, ainsi que le Domine non sum dignus.
            
Quelle attitude devons-nous donc prendre, dans notre piété, par rapport à l’enfer ? Mettons-nous autant que possible dans les dispositions de l’Eglise ancienne. Travaillons plutôt d’une manière positive ; considérons le christianisme par son côté lumineux. Ne faisons pas du péché et de l’enfer le thème principal de notre méditation. Soyons un peuple saint qui aime le Père céleste et tend de toutes ses forces vers la maison paternelle. Cependant, à ce joyeux amour de Dieu, ajoutons une goutte de crainte respectueuse. La pensée de l’enfer doit de temps en temps se présenter à notre esprit et contribuer à nous faire chercher notre salut avec zèle. “ Que celui qui est debout veille à ne pas tomber ”.