MARDI DE LA PREMIÈRE SEMAINE DE CARÊME

Station à Saint-Anastasie
     
Les voies de Dieu et les voies des hommes.
     
1. Premières impressions. — Les messes de Carême ne sont pas d’une même coulée et n’appartiennent pas à la même époque. Les plus anciennes sont, sans doute celles des trois “ feriae legitimae ” du lundi, du mercredi et du vendredi. Ces messes envisagent presque toujours les catéchumènes. Les messes des mardi, jeudi et samedi sont d’une époque postérieure et ont un caractère plus doctrinal. On y remarque plusieurs thèmes : le thème de la Passion, le thème de la pénitence, le thème de la vie chrétienne. Cela s’applique à la messe d’aujourd’hui. La pensée que l’Église veut nous proposer aujourd’hui est, sans doute, l’efficacité de la grâce. Dieu nous offre la grâce, nous devons l’utiliser ; il y a pourtant des époques où la grâce agit plus fortement qu’à d’autres moments. C’est comme dans la nature : on ne peut pas semer tous les jours et on ne peut pas moissonner tous les jours : le printemps convient aux semailles et l’automne à la récolte. Or il s’agit, pour nous de préparer le terrain et de le rendre apte à recevoir la semence (cf. Sexagésime). La messe d’aujourd’hui part de cette pensée. L’ordre des idées est sans doute celui-ci : Utilisez le temps de Carême, pénitents et fidèles, car Dieu est maintenant disposé à donner sa grâce. Et la grâce agit soit par la sanctification, soit par l’endurcissement ; elle ne revient jamais sans effet. L’efficacité de la grâce nous apparaît d’une manière sensible dans l’Évangile. La venue du Christ à Jérusalem était aussi un temps de grâce. Pour les uns, ce fut une bénédiction ; pour les autres, ce fut la perdition. Les Pharisiens décidèrent sa mort, les aveugles et les paralytiques se groupèrent autour de lui et crièrent : Hosannah. En outre, le Seigneur chasse les vendeurs du temple et, d’une caverne de voleurs, il fait une maison de prière. Ce que la leçon nous exprime d’une manière doctrinale et l’Évangile, d’une manière imagée, doit trouver, dans l’Eucharistie du Carême, sa réalisation par la grâce. Le temps de Carême est un temps de grâce, dans lequel Dieu “ est tout prêt à pardonner “). L’Eucharistie est la pluie de grâce qui, dans ce saint temps, tombe abondamment du ciel. Maintenant, le Christ entre dans la ville pour mourir ; maintenant, il purifie son temple, l’Église ; il faut que ce soit une maison de prière, un lieu de sacrifice. Nous, les enfants et les aveugles, nous nous groupons autour du Seigneur et nous crions avec enthousiasme : Hosannah !
      
2. Le thème de la station. — La station est à Sainte-Anastasie. Au sujet de cette sainte de station dont on fait mémoire le 25 décembre, le martyrologe nous dit : “ Elle subit de la part de son mari, Publius, des traitements durs et cruels, mais elle fut maintes fois consolée et encouragée par saint Chrysogone. Enfin, on l’attacha, pieds et mains liés, à un pieu et on alluma du feu autour. C’est ainsi qu’elle mourut de la mort du martyre. “ L’église de station est un des plus anciens titres (Ive siècle) et c’est le seul qui se trouve au milieu de l’antique Rome païenne, là où les grands monuments du forum dominent tout. Devant l’église, s’étend une grande place, où se tenaient deux marchés ; c’est là, aussi que se trouvaient les boutiques des changeurs. La procession traversait cette place pour se rendre à l’église de station. C’est, sans doute, cette circonstance qui a déterminé le choix de l’Évangile du nettoyage du temple, peut-être aussi celui de la leçon des voies de Dieu et des voies des hommes.
      
3. La messe (Domine refugium). — La messe commence par un véritable Introït : le psaume 89 chante les aspirations de l’homme non racheté. L’homme marqué de la croix de cendres s’adresse au Dieu éternel et implore ardemment la lumière du jour de Pâques (il convient de réciter le psaume entier). La réponse à l’introït est la leçon de notre prédicateur de Carême, Isaïe : “ Cherchez le Seigneur tant qu’on peut le trouver ; que l’impie abandonne sa voie, car le Seigneur est tout prêt à pardonner. “ Le Père miséricordieux attend, les bras ouverts, prêt à nous donner le baiser de paix et de réconciliation. Il ne s’agit pas d’une faible exhortation de la grâce ; non, son attrait est puissant ; elle ne vient pas en vain du ciel. La merveilleuse mélodie du Graduel peint réellement la montée des nuages d’encens et l’élévation des mains suppliantes. A l’Évangile, nous voyons clairement apparaître les voies de Dieu et les voies des hommes : le Christ — les profanateurs du temple ; les enfants qui chantent — les Juifs qui murmurent. A l’Offertoire, nous mettons nos voies, “ mon sort ”, dans les mains de Dieu, afin qu’elles soient illuminées par le rayonnement de la face divine (le Christ sur l’autel), qu’elles soient élevées et deviennent des voies de Dieu. La Communion (qui était d’abord tout le psaume 4) décrit, en traits accusés, la transformation de nos voies et ce qui les distingue des actions et des pensées des enfants des hommes. C’est là, en effet, le but du Carême : faire, de nos voies humaines pécheresses, des voies droites, des voies divines.
     
4. Dans la prière des Heures, nous pensons, le matin et le soir, au nettoyage du temple. Cela nous montre que l’Église tient, par-dessus tout, à la sainteté de la maison de Dieu, mais aussi à celle des âmes.
“ Jésus entra dans le temple de Dieu et il chassa les vendeurs et les acheteurs ; il renversa les tables des changeurs et les chaises des marchands de colombes” (Ant. Benedictus).
“ Il est écrit : ma maison est une maison de prière pour tous les peuples, mais vous en avez fait une caverne de voleurs ; et il enseignait tous les jours dans le temple” (Ant. Magnificat).
“ Que l’impie abandonne sa voie, l’injuste ses desseins, qu’il revienne au Seigneur qui aura pitié de lui.
Car le Seigneur notre Dieu est bon et miséricordieux et très prêt à pardonner.
Le Seigneur ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive” (Rép.).
5. Le psaume 4. — Prière nocturne. Le psaume 4 est une prière remplie de sentiments profonds. De l’avis des exégètes, il faut l’attribuer au roi David. Le contenu suppose encore une grave situation dans la vie du roi. Le peuple d’Israël a pris parti pour son fils rebelle, Absalon. On en veut à la vie du roi. Il a fui de la ville sainte. Dans la plaine de Jéricho, aura lieu la rencontre entre le père et le fils. Mais David ne se décourage pas et ne perd pas l’espoir. Il exprime son assurance, sa confiance inébranlable en Dieu, dans un cantique. Ce chant apaise la douleur de son âme. Mais pour nous, c’est une magnifique méditation, dont le thème est à peu près le suivant : Quelle est l’attitude du fidèle dans la détresse : envers Dieu, envers ses ennemis, envers ses amis ? Les trois parties, dans lesquelles se divise logiquement ce psaume, peuvent être considérées comme trois strophes. De ces trois strophes, la seconde et la troisième sont sensiblement égales, la première est nettement plus courte. On peut y voir surtout un prélude.
Quand je t’invoque, exauce-moi, Dieu de ma justice, j’étais opprimé et tu m’as mis au large.
Aie pitié de moi et entends ma prière.
Vous tous, fils des hommes, jusque à quand aurez-vous le cœur endurci, jusque à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge ?
Sachez que le Seigneur s’est choisi un homme pieux ; le Seigneur m’exauce quand je l’invoque.
Irritez-vous, mais ne péchez point ; les projets que vous formez dans votre cœur, regrettez-les sur votre couche.
Offrez des sacrifices de justice et espérez dans le Seigneur.
Beaucoup disent : Qui nous fera voir le bonheur ? “
La lumière de ta face brille sur nous, Seigneur, et tu m’as mis la joie dans le cœur, plus qu’au temps où abondent le froment, le vin et l’huile.
En paix je me coucherai et je m’endormirai aussitôt,
Car toi, mon Dieu, toi seul, tu me fais habiter en sécurité.