LUNDI DE LA SECONDE SEMAINE DE CARÊME

Station à Saint Clément
     
Je m’en vais.
     
La journée d’aujourd’hui nous permet de signaler une petite évolution dans la liturgie du Carême. Assurément, on ne peut pas parler d’une construction systématique des messes du Carême, car elles ne datent pas de la même époque. Nous découvrons cependant, dans les grandes lignes, un mouvement en avant. Les quatre premiers jours forment une unité ; ils veulent nous conduire à une pratique du jeûne agréable à Dieu. La première semaine, elle aussi, peut être considérée comme formant un tout. La pensée directrice est celle-ci : Le Christ, Moïse, Élie nous enseignent à voir, dans le jeûne de quarante jours, une arme contre le diable et le chemin qui nous mènera à la transfiguration pascale. Aujourd’hui, nous voyons apparaître au premier plan le thème de la Passion. Le Seigneur se dispose à mourir. Les Évangiles annoncent sa Passion. D’autres pièces (Leçon, Offertoire) nous montrent le Seigneur comme médiateur et rédempteur. Les leçons préfèrent les récits.
      
1. Le thème de la Passion. — Aujourd’hui, pour la première fois, nous voyons le Seigneur en lutte contre le judaïsme. Il parle aussi de sa mort. L’Évangile commence par cette parole significative : Je m’en vais. Le Christ parle de son “ élévation “ sur la Croix. La leçon est la prière de Daniel qui est, ici, la figure du Christ ; c’est la prière du Seigneur mourant pour les péchés. Qu’est donc le Sauveur dans la messe d’aujourd’hui ? Il est le Daniel priant, qui prend sur lui la dette des péchés d’Israël (de l’Église), qui prend aussi nos péchés. Il est animé, aujourd’hui, des mêmes sentiments d’offrande et d’abandon qu’il avait durant sa vie, des sentiments dont il parle dans l’Évangile et qu’il a manifestés dans sa mort sur la Croix.
     
2. La messe (Redime me). — Le saint de station, le pape saint Clément, est le troisième successeur de saint Pierre sur la chaire épiscopale de Rome. Ce pape très vénéré (90-101) fut exilé dans la presqu’île de Crimée et y mourut martyr. La basilique élevée en son honneur remonte au Ive siècle, mais la tradition rapporte que c’est dans cette maison que Clément réunissait les chrétiens avant la persécution sanglante de Trajan. Cette église serait donc un des plus anciens sanctuaires chrétiens de Rome. Les ossements de saint Clément furent rapportés à Rome par les apôtres des Slaves, saint Cyrille et saint Méthode, et déposés dans cette église ; c’est là que repose le corps de saint Cyrille. Cette église a conservé intacte la décoration des anciennes églises romaines, telle qu’elle servait, dans l’antiquité finissante, pour la célébration de l’office de station.
      
L’Introït est un cantique de voyage : “ Mon pied se tient sur la voie droite, je m’avance dans l’innocence. “ Cette parole est-elle mise dans la bouche des catéchumènes qui implorent la Rédemption et sont heureux d’avoir trouvé le vrai chemin ? Ou bien mettons-nous ces paroles dans la bouche du saint de station qui nous accueille dans sa maison ? L’oraison est une des oraisons typiques des stations de Carême, qui font du jeûne corporel le symbole du “ jeûne du péché “. La leçon est une prière saisissante du Prophète Daniel en exil. Daniel est l’image du Christ qui prend sur lui les péchés de l’humanité, les expie, souffre pour eux et prie pour sa ville, l’Église, et pour son peuple. Jérusalem détruite est le symbole de l’Église dans son humiliation du Carême : “ A cause de nos péchés, Jérusalem est dans la honte. “ L’Église pense, en premier lieu, aux pénitents. Ceux-ci ont été tirés de l’Egypte (baptisés), mais ils sont dans l’exil (excommuniés). Toute la leçon est une belle prière de pénitence. L’Église veut maintenant se purifier, elle veut restaurer bien des temples spirituels détruits : “ Montre ta face sur ton sanctuaire “ (thème pascal). Toute messe est une prière rédemptrice efficace du divin Daniel. “ Ne tarde pas ”, supplie la leçon ; nous insistons à notre tour : “ Ne tarde pas ” (Graduel). L’Évangile nous transporte dans le combat du Christ contre les ténèbres. C’est au moment de la fête des Tabernacles, les vagues de la haine se soulèvent. Le Seigneur annonce sa mort : “ Je m’en vais ” ; “ quand vous aurez élevé le Fils de l’Homme... ”. Il creuse le fossé entre l’Église et le monde : “ Vous êtes d’en bas je suis d’en haut. ” Il annonce aux Juifs la mort éternelle. La conclusion est d’une beauté particulière : “ Quand vous aurez élevé le Fils de l’Homme”, alors ses ennemis reconnaîtront qu’il est Dieu. Nous aussi, nous devons lever les yeux vers le Christ élevé en Croix ; c’est précisément dans ses souffrances que nous apprendrons à le connaître. (A ce passage, les regards des chrétiens s’élevaient, sans doute, vers la magnifique croix de l’abside de Saint-Clément). Il y a comme un écho de la voix divine au moment de la Transfiguration dans ces paroles : “ Celui qui m’a envoyé est avec moi et ne me laisse pas seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît ” (“ en lui j’ai mis ma complaisance ”). — L’obéissance, pour moi aussi, est le chemin qui mène à la gloire. Les dernières paroles du Seigneur, dans l’Évangile, résonnent encore aux oreilles des fidèles au moment de l’Offertoire ; c’est pourquoi nous chantons presque les mêmes paroles : dans notre procession vers l’autel, nous regardons vers le Golgotha mystique : “ J’ai toujours le Seigneur devant les yeux, il se tient à ma droite afin que je ne chancelle pas. ” Certes “ il ne me laisse pas seul ”, quand je m’en vais au combat du Carême. A la Communion, nous chantons le cantique de l’abaissement de Dieu vers l’homme et de l’élévation de l’homme jusqu’à la hauteur de Dieu (Ps. 8). Comme ce cantique a une signification profonde à la communion !
      
A la chute du jour, à Magnificat, nous chantons : “ Celui qui m’a envoyé est avec moi et il ne me laisse pas seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît. ” Ah ! si ces paroles pouvaient sortir de notre bouche ! Quelle belle oraison jaculatoire !
       
3. Le psaume 8. — L’homme est semblable à Dieu et roi.
Seigneur, notre Seigneur,
Que ton nom est admirable sur toute la terre ! Tu as revêtu les cieux de ta majesté.
De la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle, tu t’es préparé une louange pour confondre tes ennemis, pour imposer silence aux adversaires et aux blasphémateurs.
Quand je contemple les cieux, l’ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as créées, (je m’écrie) : Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui et le fils de l’homme pour que tu en prennes soin ?
Tu ne l’as placé que peu au-dessous de Dieu, tu l’as couronné de gloire et d’honneur, tu l’as établi roi de tes œuvres, tu as mis toutes choses sous ses pieds : les brebis et les bœufs, tous ensemble, et tous les animaux des champs ; les oiseaux du ciel et les poissons de la mer et tout ce qui parcourt les sentiers des mers.
Seigneur, notre Seigneur, que ton nom est admirable sur toute la terre !
Plan : Introduction : grandeur de Dieu, (verset refrain).
I.1. Gloire de Dieu dans la nature (ciel nocturne) 2-4.
2. Condescendance de Dieu pour l’homme, 5.
II. Élévation de l’homme.
1. Jusqu’à la hauteur de Dieu, 6.
2. L’homme, roi de la création, 7-9.
Conclusion : la grandeur de Dieu (verset refrain).
Le cardinal Faulhaber résume ainsi le contenu. Le nom de Dieu brille merveilleusement sur le front de l’enfant, dans les étoiles du ciel, sur le front de l’homme, du roi de la création.
       
Le psaume est un cantique d’action de grâces pour remercier Dieu, le Créateur éternel, d’avoir accordé une grâce si élevée à l’homme misérable et d’en avoir fait le roi de la création. Remarquons qu’au v. 6 il est dit, dans le texte hébreu : tu ne l’as placé que peu au-dessous de Dieu (dans la vulgate : au-dessous des anges). Le texte hébreu donne une pensée bien plus puissante : l’homme est élevé presque jusqu’à la hauteur de Dieu ; le point de comparaison est la royauté sur la création. Le psaume est simple, mais d’une grande solennité.