LUNDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE DE CARÊME

Station aux Quatre saints Couronnés
     
Croix et Résurrection.
      
Pâques est proche ; les Juifs se préparent à détruire le temple du Christ. Quant à lui, il annonce sa Résurrection.
      
Nous chantons au lever et au coucher du soleil :
“Enlevez tout cela et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce” (Ant. Bened.). “Renversez ce temple et, en trois jours, je le rebâtirai ; or il disait cela du temple de son corps “ (Ant. Magn.).
Ces deux antiennes renferment les pensées principales du Carême. La première indique le travail de purification de l’âme ; la seconde parle de la Croix et de la Résurrection.
      
Au troisième siècle, c’est aujourd’hui que commençait le Carême pascal. Cela est encore nettement visible dans la liturgie. Le thème de la Passion passe décidément au premier plan. Il y a, dans les textes, un changement de ton. Désormais, tous les Évangiles (sauf jeudi) sont tirés de saint Jean. Saint Jean va nous raconter l’histoire intérieure de la Passion : le combat des ténèbres contre la lumière. C’est là tout le thème du quatrième évangile : “ La lumière a brillé dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas reçue “ (elles l’ont même combattue avec acharnement). C’est ce que saint Jean va nous expliquer dans les jours suivants. Les lectures montrent d’ordinaire des images du Messie souffrant. Même dans les chants, on voit nettement le changement. Jusqu’ici, c’était l’effusion de l’âme pénitente, pleine d’ardents désirs et de joie, le chant de la communauté fidèle ou bien celui des pénitents et des catéchumènes ; désormais, nous voyons le Christ souffrir et nous entendons ses plaintes. En ce qui concerne la messe d’aujourd’hui, on a l’impression que, dans ses pensées principales, elle a été copiée sur celle d’hier. Dans l’Épître, il est également question de deux femmes dont une seule est la véritable mère (l’Église). L’Évangile commence de même avec insistance : La Pâque des Juifs était proche.
     
1. La station est, aujourd’hui, l’église des quatre saints couronnés. Le martyrologe raconte, à leur sujet, le 8 novembre : “ A Rome, sur la Via Lavicana, la mort de quatre saints martyrs, les frères Sévère, Sévérien, Carpophore et Victorin. Sous l’empereur Dioclétien, ils furent battus de verges plombées, jusqu’à la mort. Leurs noms ne furent connus que plusieurs années plus tard par révélation divine. Comme, précédemment, on ne pouvait découvrir leurs noms, on décida de les célébrer tous les ans sous ce titre : les quatre saints couronnés. “ Cette manière de les désigner fut conservée même après qu’on eut découvert leurs noms. L’église dans laquelle, depuis Léon.IV (847-855), se trouvent leurs reliques qui reposent sous l’autel, est une très antique église titulaire. C’est dans cette église aussi qu’on conserve le chef de saint Sébastien. Cette église a été plusieurs fois restaurée au cours des âges. Cependant, c’est “ une des plus intéressantes et des plus impressionnantes parmi les antiques églises de la ville éternelle. On peut suivre son histoire dans la construction même, grâce aux nombreux vestiges qui ont été conservés soit dans l’intérieur de l’église, soit dans le transept. C’est un sanctuaire très pieux, rempli de souffle religieux, et qui porte à la prière ; elle convient parfaitement aux solennités liturgiques ”[1].
     
2. La messe (Deus in nomine). - Après le dimanche joyeux que nous venons de célébrer, les chants d’aujourd’hui nous frapperont par la mobilité des sentiments et des impressions. Alors que les premiers font entendre deux plaintes sorties de la bouche du Christ, nous chantons, à l’Offertoire, un joyeux cantique de Résurrection. Cette union de la Croix et de la Résurrection se retrouve aussi dans l’Évangile. Le Seigneur parle de la destruction et, en même temps, de la reconstruction du temple de son corps. La Croix et la Résurrection nous accompagnent constamment ; la sainte compassion et la sainte joie se complètent mutuellement. Dans la semaine qui commence, nous verrons le thème de la Passion grandir sans cesse, sans que pour cela diminue la joie de la Résurrection. Cette disposition de l’Église doit être aussi celle de l’âme. Notre âme doit se lamenter avec le Sauveur souffrant et pleurer avec lui, mais, en même temps, elle doit tressaillir de joie à la pensée de son exaltation et de sa Résurrection. Bien plus, l’âme doit être à la fois crucifiée et glorifiée. “ Avec le Christ, je suis attaché à la Croix. “ C’est précisément par cette Passion terrestre que l’âme est glorifiée et participe à la Résurrection du Christ. Plus le temple terrestre de notre vie est détruit, plus s’élève le temple spirituel de l’âme. Le corps frémit et se plaint : “ Ô Dieu, à cause de ton nom, donne-moi le salut, délivre-moi dans ta force, les ennemis se sont soulevés contre moi… ” (Intr.). Mais !’âme glorifiée chante : “ Tressaillez d’allégresse en Dieu, tressaille, terre entière, servez Dieu dans la joie” (Off.). Nous pensons à la Croix et à la Résurrection pendant chaque messe, pensons-y pendant toute notre vie. La leçon nous raconte le jugement de Salomon concernant les deux femmes ; ces femmes représentent, comme hier, l’Église et la synagogue. Le Christ, le sage Salomon, tranche le différend entre les deux femmes, l’Église et la synagogue, sauve l’enfant, l’âme humaine, et l’attribue à la vraie mère, à l’Église. Il est vrai que le Christ doit payer ce jugement de la haine des Juifs et, plus tard, de sa mort. Dans l’Évangile, la liturgie souligne intentionnellement, comme hier, l’approche de la fête de Pâques : “ La Pâque des Juifs approchait ”. (Il s’agit sans doute de la première fête de Pâque pendant le ministère public de Jésus, mais il suffit à la liturgie d’attirer l’attention sur la proximité de Pâques). L’Évangile décrit le premier conflit de Jésus avec le judaïsme. Jésus chasse les vendeurs du temple (nous pensons aux exorcismes des catéchumènes, à notre travail de Carême par lequel nous devons faire de notre âme non pas une place de marché, mais la maison du Père céleste). Les princes des prêtres se sentent touchés ; ils exigent, de Jésus, une légitimation de sa mission. Il leur propose un signe de sa mort et de sa Résurrection : “ Détruisez ce temple... “ Il prédit, dès son premier conflit avec le judaïsme officiel, l’issue du combat : le Vendredi Saint et le dimanche de Pâques. Jésus ne se fait pas de disciples à Jérusalem, “car il les connaissait tous “. (Nous avons donc ici le thème de la Passion, de Pâques, de la pénitence). On a l’impression que la liturgie veut choisir, en partant du commencement, tous les passages de saint Jean qui décrivent l’évolution de la haine des Juifs, qui amena finalement la Passion. Maintenant, “ Jésus se fie à nous” (alors qu’il ne se fia pas aux Juifs). A la Communion, nous chantons le cantique du soleil (psaume 18) avec, il est vrai, une antienne de pénitence.
     
3. Psaume 18 — Le Christ, le vrai Soleil et l’Époux divin. - Ce psaume est l’un des chants les plus souvent utilisés par la liturgie. Il se divise en deux parties distinctes. La première est un hymne au soleil ; la seconde, une louange de la loi divine. Ce qui fait peut-être l’union entre ces deux parties, c’est que la première est une parabole du soleil, et l’autre, l’explication de cette parabole et son application à la loi.
     
Ce chant est d’une poésie puissante. Dans un beau mouvement, le psalmiste part du symbole de la loi, le soleil terrestre. Il lève son regard vers le ciel et célèbre la voûte azurée dont l’éclat annonce la gloire de Dieu, la nuit, par la magnificence des étoiles, le jour, par la clarté éblouissante du soleil. Dans une alternance sans repos, le jour et la nuit annoncent les louanges de Dieu et les portent au-delà des frontières du globe. Le psalmiste chante surtout le soleil, le chef-d’œuvre de la création. Comme un jeune héros, ardent et joyeux, il sort, dès l’aurore, de sa couche nuptiale et, dans la conscience de sa force, il parcourt avec allégresse sa route gigantesque, répandant partout les bienfaits de sa vertu vivifiante. Le poète pense alors à un autre soleil et il passe sans transition à la louange de la loi.
     
Dans la liturgie du cycle de Noël, on utilise surtout la première partie de ce psaume ; à présent, pendant le Carême, nous pouvons nous attacher davantage à la seconde partie, l’éloge de la loi.
Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament annonce l’œuvre de ses mains.
Le jour crie au jour le message, la nuit le transmet à la nuit.
Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles, dont la voix ne soit pas entendue, —
Leur son parcourt toute la terre, leurs accents vont jusqu’aux extrémités du monde.
   
C’est là qu’il a dressé une tente pour le soleil, et lui, semblable à l’époux qui sort de la chambre nuptiale,
Et comme un héros qui s’élance joyeux, il parcourt sa carrière.
Il part d’une extrémité du ciel et sa course s’achève à l’autre extrémité, rien ne se dérobe à sa chaleur.
   
La loi du Seigneur est droite, elle réjouit le cœur ;
Le précepte du Seigneur est pur, il éclaire les yeux.
La parole du Seigneur est sainte, elle demeure éternellement ; les décrets du Seigneur sont vrais, ils sont tous justes.
Ils sont plus précieux que l’or et les pierres précieuses, plus doux que le miel et que les rayons de miel.
     
Voici que ton serviteur les observe, celui qui les observe reçoit une grande récompense.
Qui connaît ses égarements ? purifie-moi de ceux que j’ignore, préserve ton serviteur des orgueilleux:
Qu’ils ne dominent pas sur moi, alors je serai sans faute et pur des grands péchés.
   
Accueille avec faveur les paroles de ma bouche, et que les sentiments de mon cœur soient devant toi !
Seigneur. tu es mon recours et mon libérateur.
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[1] Kirsch, Les églises de station du missel romain, p. 173 sq.