1. Actuellement les Quatre-Temps tombent dans la troisième
semaine du mois de septembre ; nous devons donc les insérer ici. Les
Quatre-Temps du “ septième mois ” (Septembre, de septem = sept, était
primitivement le septième mois, mars étant le premier) ont conservé, encore
plus que tous les autres, leur caractère primitif d’action de grâces pour la
moisson et de renouvellement spirituel, alors que les autres se font dans leur
temps liturgique. Trois thèmes apparaissent dans les trois messes : la
vendange, les fêtes juives du septième mois et le renouvellement spirituel.
Primitivement, les Quatre-Temps d’automne étaient la fête de la vendange, d’où
les nombreuses allusions au vin. Plus tard, les fêtes juives du septième mois
sont le type de nos Quatre-Temps. A cette époque, les Juifs célébraient trois
fêtes : la nouvelle année civile au début du mois, la fête de l’Expiation,
jour de pénitence rigoureuse pour les Juifs, où le Grand-Prêtre pénétrait avec
le sang des victimes dans le Saint des saints, et enfin la fête des
Tabernacles, la joyeuse fête d’action de grâces pour la moisson, en même temps
que commémoraison du campement des Juifs sous la tente pendant la traversée du
désert. Les Quatre-Temps furent considérés comme la réalisation de cette fête
juive des ombres. Enfin, les Quatre-Temps sont une grave époque de
renouvellement spirituel pendant laquelle nous prions, nous jeûnons et nous
devons faire pénitence. Donc, objet : action de grâces et pénitence.
Comme préparation à la semaine des QuatreTemps, le pape
Léon 1er nous adresse l’un de ses beaux sermons de carême : “
La pratique du jeûne a donc été assignée aux quatre époques de l’année afin
que, chaque fois qu’elles reviennent au cours de l’année, nous nous souvenions
que nous avons un besoin incessant de purification et que, pendant toute la
durée de cette vie sujette au changement, il faut nous efforcer d’expier par
les jeûnes et les aumônes les péchés auxquels nous ont entraînés la faiblesse
de la chair et la souillure des passions. Éprouvons donc un peu, mes bien
aimés, la faim de nous soustraire, pendant un court moment, à notre besoin
habituel, de telle sorte que nous puissions faire servir cela au soulagement
des pauvres. Que le cœur des personnes charitables se réjouisse des fruits de
leur bienfaisance ; alors, ayant semé de la joie, vous récolterez de quoi
vous rendre heureux. L’amour du prochain, c’est l’amour de Dieu qui a mis la
plénitude de la loi et des prophètes dans l’unité de ce double amour, afin que
personne n’hésite à donner à Dieu ce qu’il a offert aux hommes. C’est pourquoi
notre Maître et Sauveur a dit : Ce que vous aurez fait à l’un d’entre eux,
c’est à moi que vous l’aurez fait. ”
2. Symboles des temps de l’année.
— Les féries des Quatre-Temps étaient, dans la primitive Église, de véritables
fêtes de la nature ; elles nous montrent à quel point la liturgie des
premiers âges prenait racine dans la ,nature. L’année liturgique est une
véritable année de la nature ; de même, le jour liturgique est un
véritable jour de la nature. Il nous est donc facile de comprendre que les
quatre saisons de l’année aient également joué un rôle dans le symbolisme de l’ancienne
Église.
Les premiers chrétiens ont emprunté ce symbolisme aux
païens qui aimaient à personnifier les quatre saisons ; mais les chrétiens
ont donné à ces saisons une signification plus profonde. Si, pour l’antiquité
païenne, les saisons n’étaient que la personnification des forces de la nature,
peut-être aussi le symbole de la vie terrestre, de l’abondance et de la
croissance de la nature, elles devinrent pour les chrétiens l’image de la vie
future, exprimée par cette formule concrète : le symbole de la
résurrection de la chair ; car la mort et le renouvellement de la vie
dans la nature étaient pour les chrétiens une image expressive de la mort et de
la résurrection future. Aussi trouvons-nous ce symbolisme traduit tout
particulièrement et, à l’époque la plus antique, exclusivement par l’art
funéraire, dans les sépultures des catacombes et sur les sarcophages. Ce n’est
probablement que plus tard, vers le Ve siècle, que ce symbolisme se
développa et fut étendu à la vie du culte, à la vie d’union avec l’Église ;
on s’en rend compte quand on remarque qu’à cette époque le regard des chrétiens
se détourne un peu de la mort (martyre) pour se tourner de préférence vers la
vie considérée comme le service de Dieu. C’est aussi à cette époque que Rome
mit en honneur les QuatreTemps, en leur donnant le sens d’une consécration des
quatre saisons, temps où l’on offrait justement les fruits caractéristiques de
ces saisons (froment, vin, huile). Ces produits sont d’ailleurs les symboles
expressifs de l’Église, en même temps que la matière des principaux sacrements
(Eucharistie, Baptême, Confirmation, Ordre, Extrême Onction). Nous comprenons
donc que les chrétiens aient vu dans la quadruple couronne de fleurs, d’épis,
de raisins et d’olives, tressée autour de l’Agneau divin, une image de l’année
liturgique avec l’Eucharistie et les autres sacrements, -c’est-à-dire de la vie
du culte, bref de la sanctification de l’année naturelle, du travail et de la
nature. N’oublions pas que les fleurs printanières, les roses et les lis, tenaient
une place d’honneur dans la vie liturgique des anciens chrétiens (la
bénédiction de la rose d’or, le quatrième dimanche de carême, en est un
vénérable souvenir. Dans la liturgie égyptienne, les roses et les lis étaient
aussi employés comme offrandes : “ On apportera des fleurs, on prendra des
roses et des lis ” XXIV, 3).
Nous voyons donc que le symbolisme des temps de l’année
réunit les deux pensées fondamentales de l’art chrétien primitif, auxquelles
nous pouvons ramener presque toutes les images et tous les symboles :
espérance de la vie future et vie du culte. En premier lieu et dans les temps
les plus reculés, il désigne donc la vie éternelle, la résurrection de la
chair ; plus tard et dans un emploi plus restreint, il est le type de la
vie en union avec l’Église.
Nous allons décrire maintenant les principales formes
d’expression de ce symbole. Nous distinguerons deux périodes : l’art
funéraire des quatre premiers siècles et l’art postérieur à partir du Ve
siècle. Dans l’art funéraire, les saisons de l’année se présentent :
1. Sous l’image de têtes ou bustes, portant une couronne
formée d’attributs des saisons.
2. Sous forme de scènes dans lesquelles des génies
exécutent les travaux de la saison correspondante : tels des fleuristes
(printemps), des moissonneurs (été), des vendangeurs (automne), et des
cueilleurs d’olives ou des chasseurs (hiver).
3. Sous forme d’ornements : guirlandes, couronnes,
bouquets, composés des produits de la saison.
Dans l’art du Ve siècle, le motif de la saison
apparaît plusieurs fois sous la forme d’une couronne qui entoure l’image du
Divin Agneau.
Sur tous les monuments, le motif se présentant comme
d’ordinaire, les ornements empruntés aux plantes de la saison demeurent les
mêmes : des fleurs (roses et lis) pour le printemps, des épis (mêlés
également de fleurs) pour l’été, des pampres et des grappes (ainsi que d’autres
fruits) pour l’automne, des rameaux d’olivier pour l’hiver.
Quelques exemples seulement ; Le plus beau et le plus
classique se trouve à la crypte de Saint-Janvier, dans la catacombe de
Saint-Prétextat, datant de l’époque de Septime-Sévère (IIIe siècle).
La crypte est surmontée d’une voûte à quatre pans, dans laquelle a été
pratiquée une large ouverture pour l’éclairage. Sur chacun des quatre pans, se déploient,
en forme de cintre jusqu’à la fenêtre centrale, des guirlandes à quatre
parties ; dans la première, elles sont formées de roses ; dans la
seconde d’épis ; dans la troisième, de pampres ; dans la quatrième,
de rameaux d’oliviers ; l’ensemble constitue une sorte de berceau de
feuillage qui se noue aux quatre coins à de larges gerbes de fleurs et de
fruits. Aux rameaux sont suspendus des nids d’où l’on voit sortir des becs
entr’ouverts ; partout des oiseaux qui volent ou sont posés sur les branches.
Le panneau de branches d’olivier, qui symbolise la froide saison d’hiver, est
le seul à ne pas avoir d’oiseaux. Si ces panneaux témoignent déjà d’un grand
amour de la nature, les peintures inférieures produisent le plus charmant
effet. Au-dessous de ces quatre pans de la voûte, court une frise circulaire où
sont représentés de nombreux enfants. Ici, jeunes garçons et jeunes filles
cueillent des roses ; c’est le printemps. Là, ils coupent la moisson, la
rentrent et la battent ; c’est l’été. Dans la troisième image, nous voyons
la vendange en automne. Dans la quatrième, c’est la récolte des olives ;
les échelles sont appuyées aux oliviers ; on rassemble les olives ;
c’est l’hiver. Malgré les dégâts subis par la magnifique composition, on peut
admirer ici la vie de la nature et l’amour de la nature ; les yeux se
reposent avec plaisir sur tant de fraîcheur et tant d’innocence. Maintenant,
rappelons-nous que le lieu où ces fraîches images de la nature dominent
l’espace est un lieu de sépulture. Elles affirment bien haut et joyeusement la
foi à la résurrection de la chair, et il nous semble entendre les anciens
chrétiens chanter l’Alleluia devant la tombe de leur ami.
Le motif : On rencontre souvent le Bon Pasteur
entouré des quatre génies des saisons, par exemple dans la catacombe “ ad duas
lauros ”, sur un sarcophage au musée du Latran (le Bon Pasteur porte la
brebis ; à ses côtés, deux génies des saisons avec les attributs
correspondants).
Pour la deuxième période, dans
laquelle l’Agneau Divin est entouré de la couronne des saisons, nous trouvons
un beau specimen dans une mosaique de voûte de la chapelle de Saint-Jean
l’evangéliste, au Latran (du Ve siècle) : nous voyons l’Agneau
de Dieuavec un nimbe ; tout autour, une couronne à quatre parties, formée
de roses et d’autres fleurs, d’épis, de grappes de raisins et d’olives. Ici, le
symbolisme n’est plus aussi expressif, car nous n’avons pas affaire à une
crypte funéraire. Nous pouvons penser à la résurrection du Christ, mais aussi à
la sanctification de la nature par le Christ et, enfin, à tous ces motifs de la
vie du culte qui ont été cités plus haut.
Si nous considérons la portée de ce symbole, nous pouvons
dire que l’examen de l’époque moderne présente lui aussi son utilité. La joie
de la nature et le sentiment élevé de la nature conviennent donc bien à
l’antique Église qui a créé ce symbolisme et qui le perpétue aujourd’hui encore
dans sa liturgie. A ce point de vue, la célébration des Quatre-Temps, tombée en
désuétude, reprend toute sa valeur de sanctification et de consécration des
saisons. Suivons toutes les indications que notre mère, l’Église, nous a
laissées dans sa liturgie et approfondissons davantage le rôle de la nature
dans le culte divin. Tressons réellement la couronne des quatre saisons autour
du Divin Agneau eucharistique. Chantons et récitons avec une plus parfaite
intelligence le Benedicite et tous les psaumes de la nature. Entretenons la
coutume de faire bénir les produits de la nature au cours de l’année : le
vin de la Saint Jean, la rose d’or, le pain, les raisins, les plantes, la
moisson. Mais honorons spécialement ceux que l’Église a empruntés aux
saisons : le pain, le vin et l’huile. Faisons-les apporter par les fidèles
à l’offrande. Nous pouvons aussi employer les fleurs, particulièrement les
roses, pour l’ornementation de l’église. Dans certaines régions, on a
l’habitude, le dernier dimanche d’octobre, de décorer l’église avec des
couronnes et des fruits. C’est une sorte d’offrande. Les pauvres ont ensuite le
droit d’emporter les fruits offerts.
De l’abondance des textes liturgiques qui intéressent
notre sujet, retenons seulement deux passages : la Communion du XIIe
dimanche après la Pentecôte unit le souvenir de la récolte à la vie
liturgique : “ Des fruits -de tes mains, Seigneur, la terre sera comblée à
satiété ; fais croître sur la terre le pain et le vin qui
réjouit le cœur de l’homme. Que l’huile fasse resplendir de joie le visage de
l’homme) que son cœur trouve sa force dans le pain.” La liturgie pense donc
aussi bien aux produits de la terre qu’à l’Eucharistie. Ainsi, comme dans
l’antique Église, à la vue des symboles des saisons, les pensées de la nature
peuvent être appliquées au surnaturel et au culte. Mais la messe de Requiem
conserve un souvenir particulièrement vénérable de notre symbole quand elle
nous fait chanter, à l’Introït, devant le cercueil, le joyeux psaume 64,
un psaume de moisson. Rappelons-nous que le premier verset tient lieu du psaume
tout entier et chantons entre autres : “ Tu couronnes l’année de la
couronne de tes biens, tes champs ruissellent de graisse. Les campagnes
rassasiées regorgent dans l’abondance, les collines se ceignent d’allégresse,
se couvrent de troupeaux de brebis... ” Le Bon Pasteur n’est-il pas là, en
quelque sorte, avec sa brebis, devant le cercueil de la messe des morts,
entouré des quatre génies des saisons ? Ici, le symbole des saisons se
présente donc, à travers les siècles, comme l’image de la résurrection de la
chair dont il dresse le monument. Nous voyons comment la liturgie nous a conservé
les pensées de la primitive Église ; nous n’avons qu’à les réveiller de
leur long sommeil.