Le Livre de Job
Samedi soir : Aux
premières vêpres du dimanche, nous chantons déjà une antienne directrice tirée
du livre de Job : “ Lorsque Job entendit les paroles des messagers, il ne
se départit pas de, sa patience et dit : Si nous avons reçu les biens de
la main du Seigneur, pourquoi ne supporterions-nous pas aussi les maux ?
En toute chose, Job ne commit aucun péché de lèvres et ne prononça contre Dieu
aucune parole insensée. ”
Dimanche (Job, I, 11 2) :
Pendant les deux premières semaines, nous lisons le livre de Job, livre riche
en enseignements et d’une haute valeur poétique. Il traite la question qui s’est
posée de tout temps : comment le règne de la justice divine permet-il que
le juste soit souvent éprouvé, tandis que le criminel est heureux ? La
solution se trouve dans l’introduction et dans la conclusion : Dieu envoie
des souffrances aux justes pour les mettre à l’épreuve, pour affermir leur
vertu et pour leur procurer des mérites. Seul le christianisme apporte une
solution pleinement satisfaisante au problème ; les saints l’ont mise en
action : souffrir avec le Christ et pour le Christ !
Il y avait dans le pays de Hus un homme nommé Job ;
cet homme était intègre, droit, craignant Dieu et éloigné de tout mal. Sept
fils et trois filles lui étaient nés. Ses possessions se montaient à 7.000
brebis, 3.000 chameaux, 500 paires de bœufs, 500 ânesses et à un très grand
nombre de serviteurs, si bien que cet homme était le plus grand parmi tous les
orientaux. Ses fils avaient coutume de se donner un festin, chacun à son jour,
et ils envoyaient inviter aussi leurs trois sœurs à manger et à boire avec eux.
Quand le cycle des jours de festin était terminé, Job les faisait venir et les
purifiait ; puis, se levant de bon matin, il offrait un holocauste pour
chacun d’eux, car il disait : “ Peut-être mes fils ont-ils péché et
offensé Dieu dans leur cœur. ” Ainsi faisait Job pour chaque jour de
festin. Or il arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus se présenter
devant le Seigneur, Satan vint aussi au milieu d’eux. Dieu dit à Satan :
“ D’où viens-tu ? ” Satan répondit au Seigneur et dit : “
De faire le tour de la terre et d’y accomplir une promenade. ” Dieu dit à
Satan : “ As-tu remarqué mon serviteur Job et qu’il n’y a pas sur terre un
homme comme lui, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal ? ”
Satan répondit au Seigneur et dit : “ Est-ce gratuitement que Job
craint Dieu ? Ne l’as-tu pas entouré d’une barrière, lui, sa maison et
tous ses biens ? N’as-tu pas béni l’œuvre de ses mains et étendu ses
possessions dans le pays ? Mais étends un peu ta main et touche à ses
biens pour voir s’il ne te maudira pas en pleine face. ” Alors Dieu dit à
Satan : “ Eh bien ! tout ce qu’il possède, je le livre à ta
main ; seulement n’étends pas cette main sur lui. ” Alors Satan se retira
de devant Dieu.
Lundi (Job, 1, 13-22) : Un
jour, ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de
leur frère aîné, lorsque se présenta à Job un messager qui lui dit :
“ Les bœufs étaient au labour et les ânesses paissaient autour
d’eux ; alors une bande tomba sur eux, les enleva et passa es serviteurs au
fil de l’épée ; je suis le seul qui ait échappé pour te l’annoncer. ”
Il parlait encore lorsqu’un autre arriva et dit : “ Le feu de Dieu
est tombé du ciel, a embrasé le petit bétail et les domestiques et les a
dévorés ; je suis le seul qui ait échappé pour te l’annoncer. ” Il parlait
encore lorsqu’un autre arriva et dit : “ Des Chaldéens, formant trois
bandes, se sont jetés sur les chameaux et les ont emmenés ; ils ont passé
les serviteurs au fil de l’épée et je suis le seul qui ait échappé pour te
l’annoncer. ” Il parlait encore lorsqu’un autre arriva et dit : “ Tes
fils et tes filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de leur frère
aîné, et voilà qu’un grand vent s’est élevé du désert et a ébranlé la maison
aux quatre coins ; celle-ci s’est écroulée sur les jeunes gens et ils sont
morts ; je suis le seul qui ait échappé pour te l’annoncer. ” Alors
Job se leva, déchira son manteau, se rasa la tête et, se jetant à terre, adora.
Puis il dit : “ Nu je suis sorti du sein de ma mère et nu j’y retournerai ;
Dieu a donné, Dieu a repris ; que le nom de Dieu
soit béni. Il En tout cela, Job ne pécha pas et n’accusa
pas Dieu de folie.
Mardi (Job, II, 1-13) : Il
arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus pour se présenter devant le
Seigneur, Satan vint aussi au milieu d’eux pour se présenter au Seigneur. Dieu
dit à Satan : “ D’où viens-tu ? ” Satan répondit au Seigneur et
dit : “ De faire le tour de la terre et d’y accomplir une promenade. ”
Dieu dit à Satan : “ As-tu remarqué mon serviteur Job ; il n’y a pas
sur la terre un homme comme lui, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du
mal. Il se tient ferme dans la justice, bien que tu m’aies inutilement provoqué
à le perdre. ” Satan répondit au Seigneur et dit : “ Peau pour
peau ! Tout ce que l’homme possède, il le donnera pour conserver sa vie.
Mais étends seulement ta main et touche à ses os et à sa chair, pour voir s’il
ne te maudira pas en pleine face. ” Alors Dieu dit à Satan : “ Eh
bien ! qu’il soit livré à tes mains ; toutefois épargne sa vie. ”
Satan se retira de devant Dieu et frappa Job d’une
mauvaise lèpre de la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête. Job prit un
tesson pour se gratter et s’assit sur la cendre. Sa femme lui dit : “
Vas-tu persévérer dans ta piété ? Bénis Dieu et meurs. ” Il lui répondit :
“ Tu parles comme une femme insensée. Devons-nous ne recevoir de Dieu que le
bien et ne pas recevoir le mal ? ” En toute chose, Job ne commit aucun
péché de lèvres.
Trois voisins de Job apprirent tout le malheur qui était
venu sur lui et ils partirent chacun de son pays, Éliphaz de Théman, Baldad de
Suhé, et Sophar de Naama ; ils s’étaient concertés pour venir lui rendre
visite et le consoler. Ils levèrent de loin les yeux, mais ils ne le
reconnurent pas. Alors, ayant élevé la voix, ils pleurèrent ; chacun d’eux
déchira son manteau et ils jetèrent de la poussière vers le ciel au-dessus de
leurs têtes. Et ils demeurèrent assis auprès de lui sur la terre pendant sept
jours et sept nuits et ne lui adressèrent pas un mot, parce qu’ils voyaient que
sa douleur dépassait toute limite.
Mercredi (Job, III,
1-26) : Alors Job ouvrit la bouche et maudit son jour. Job prit la parole
et dit :
Périsse le jour où je suis né
Et la nuit où l’on a dit : un homme a été
conçu.
Ce jour, qu’il devienne ténèbres,
Que Dieu ne s’en occupe pas de là-haut,
Que la lumière ne resplendisse pas sur
lui !
Qu’il ait pour parrains les ténèbres et l’ombre
de la mort,
Qu’un nuage épais s’étende sur lui.
Puissent les amertumes de ce jour
l’épouvanter !
Cette nuit, puisse l’obscurité s’en
emparer ;
Qu’elle ne se réjouisse pas parmi les jours de
l’année,
Qu’elle n’entre pas dans la computation des
mois !
Que cette nuit soit stérile,
Qu’on ne l’entende pas retentir de cris
d’allégresse !
Que ceux-là la maudissent, qui maudissent le
jour,
Qui sont aptes à évoquer Léviathan !
Que les étoiles de son crépuscule
s’obscurcissent,
Qu’elle espère la lumière et que celle-ci ne
vienne pas,
Qu’elle ne voie point les cils de l’aurore,
Car elle ne m’a pas fermé les portes du sein
maternel,
Et n’a pas caché la souffrance à mes regards.
Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma
mère ?
Pourquoi n’ai-je pas expiré au sortir des
entrailles maternelles ?
Pourquoi des genoux m’ont-ils reçu ?
Pourquoi al-je trouvé des mamelles à
sucer ?
Je serais maintenant étendu dans la tombe et en
repos,
Je dormirais, je n’aurais plus à souffrir,
Je serais avec des rois et des grands de la
terre,
Qui se sont construit des lieux de
repos,
Ou avec des princes qui possédaient de
l’or ;
Et remplissaient d’argent leurs maIsons.
Ou bien, comme un avorton enfoui, j’échapperais
à la vie,
Semblable aux petits enfants qui n’ont pas vu
le jour.
Là, les pécheurs ont quitté leur fureur,
Là se reposent ceux qui se sont épuisés au
combat.
Les captifs y sont tous en paix,
Ils n’entendent plus la voix de l’exacteur.
Petits et grands sont là ensemble,
Et l’esclave est affranchi de son maître.
Pourquoi donne-t-il la lumière aux malheureux,
Et la vie à ceux dont l’âme n’est qu’amertume ?
Ils aspirent à la mort et elle ne vient pas,
Ils la cherchent plus ardemment qu’un trésor.
Ils sont dans la joie et l’allégresse,
Ils sont dans la jubilation quand ils
trouvent le tombeau.
Pourquoi la vie à l’homme dont la route est
sombre
Et que Dieu tient étroitement enfermé ?
Car, avant de manger du pain, j’exhale mon
soupir,
Et mes gémissements s’échappent, comme l’eau,
en torrents.
Car, ce que je crains, c’est ce qui
m’arrive ;
Ce qui me fait trembler fond sur moi.
Je n’ai pas d’arrêt, je n’ai pas de silence,
Je n’ai pas de repos, et le tortionnaire est
là.
Jeudi (Job, IV-V) :
Eliphaz répondit en disant :
Si l’on t’adresse un mot, en seras-tu
importuné ?
Pourtant qui pourrait retenir ses paroles ?
Quoi ? tu as enseigné la sagesse à
beaucoup,
Et tu as fortifié les mains qui
faiblissaient ;
Tes paroles ont soutenu ceux qui chancelaient,
Tu as raffermi les genoux fatigués.
Et maintenant qu’il s’agit de toi, tu
faiblis !
Tu es touché et tu désespères !
Ta crainte de Dieu n’est-elle pas ton motif de
confiance,
La pureté de tes voies, ton espoir ?
Réfléchis ; quel est l’innocent qui a
péri ?
Où les justes ont-ils succombé ?
Voici bien plutôt ce que j’ai vu : ceux
qui labourent l’iniquité !
Et qui sèment le mal, en récoltent aussi les
fruits.
Au souffle de Dieu ils succombent, :
A l’haleine de sa colère ils périssent.
Y a-t-il un homme plus juste que Dieu ?
Ou un homme plus pur que son Créateur ?
Vois ! Il ne se fie pas à ses serviteurs,
Et il refuse la louange même à ses anges.
A plus forte raison, ceux qui habitent des
maisons d’argile,
Qui ont établi leurs fondations sur la
poussière,
Seront-ils anéantis par la teigne.
Du matin au soir ils sont abattus,
Et comme personne ne s’en rend compte, ils
périssent a jamais.
Tout ne leur est-il pas arraché, jusqu’à leur
dernier reste ?
Ils meurent, mais non dans la sagesse.
Fais donc appel à quelqu’un, s’il existe, qui
te réponde !
Vers quel saint veux-tu donc te tourner ?
Le dépit étrangle l’Insensé,
Et la jalousie fait mourir le sot.
J’ai vu un insensé qui avait poussé de
profondes racines,
Et soudain sa demeure a été consumée,
Et il n’y a plus de salut pour ses
enfants ;
On les foule aux pieds à la porte, et il n’y a
pas de libérateur.
Sa moisson, un homme affamé la dévore,
Et on la prend pour les écuyers ;
Les garnements s’emparent de ses richesses.
Le péché. sort de la fange,
Et les peines ne germent pas du sol.
Car l’homme est né pour la peine,
Mais les fils de la flamme élèvent leur vol
Je me tournerais au contraire vers Dieu,
J’adresserais à Dieu mes paroles.
Il accomplit de grandes choses que
personne ne sonde,
Des prodiges sans nombre.
Ah ! heureux l’homme que Dieu
châtie ;
Ne méprise donc pas les enseignements du
Tout-Puissant,
Car il blesse et il panse. :
Il écrase et
ses mains guérissent ;
Six fois il t’arrachera au malheur,
Et, la septième, le mal ne t’atteindra pas.
Dans la famine, Il t arrachera à la mort,
Et dans la guerre, à la main du glaive.
Tu seras à l’abri du fouet de la langue,
Et tu n’auras pas à craindre quand viendra le
démon,
Tu pourras te rire du démon et de la contagion.
Des bêtes de la terre tu n’auras rien à
craindre,
Car tu auras une alliance avec les pierres des
champs,
Et pour toi la bête des champs sera domptée.
Tu sauras par expérience que la paix te servira
de tente,
Et, si tu viens à visiter tes propriétés, rien
n’y manquera.
Tu verras de tes yeux ta descendance se
multiplier,
Et tes rejetons nombreux comme l’herbe des
champs.
Tu entreras au tombeau en pleine maturité,
Comme la gerbe qui s’élève en son temps.
Voilà ce que nous avons observé ; ainsi en
est-il ;
Écoute-le, fais-en aussi l’expérience pour ton
bien.
Vendredi (Job,
VI) : Alors Job répondit en disant :
Oh ! si l’on pouvait peser mon affliction,
Et mettre ensemble toutes mes calamités dans la
balance,
Tout cela serait plus lourd que le sable de la
mer ;
C’est pourquoi mes paroles sont désordonnées.
Car les flèches du Tout-Puissant sont sur moi,
Mon esprit a bu leur poison,
Les terreurs de Dieu combattent contre moi.
L’âne se plaint-il sur la pâture ?
Et le petit de l’animal devant son
fourrage ?
Peut-on manger sans sel un mets insipide ?
Prend-on goût à la crème qui donne la
mort ?
Ce que mon âme s’est refusée à toucher,
C’est cela qui est maintenant mon pain dans la
maladie.
Oh ! qu’arrive donc ce que je désire,
Et que Dieu me donne ce que j’espère !
Qu’il plaise à Dieu de m’écraser,
Qu’il laisse aller sa main pour
m’anéantir !
Que ce soit du moins ma consolation
De jubiler dans la douleur sans
ménagement,
Parce que je n’ai pas contredit aux paroles du
Saint.
Qui me donnera la force de supporter
cela ?
Quelle est ma fin, pour rendre mon âme
patiente ?
Est-ce la force des pierres qui est ma
force ? Ma chair est-elle d’airain ?
N’y a-t-il donc plus de secours pour moi ?
Toute délivrance m’est-elle refusée ?
Que celui qui tremble ait la pitié de son ami,
Sans quoi il a abandonné la crainte du
Tout-Puissant.
Samedi
(Job, VII) :
N’est-ce pas un temps de guerre pour l’homme
que la vie sur terre ?
Ses jours ne sont-ils pas comme les jours du
mercenaire ?
Comme l’esclave soupire après l’ombre,
Comme le tâcheron attend son salaire,
Ainsi j’ai eu en partage des mois vides,
Et pour mon lot, des nuits de souffrance ;
Quand je me couche, je dis : Quand
pourrai-je me lever ?
Mais le soir traîne en longueur,
Je suis rassasié d’angoisses jusqu’au lever du
jour,
Ma chair se revêt de pourriture et d’ordure
fangeuse.
Ma peau tantôt se dessèche, tantôt se met à
couler.
Mes jours courent plus vite que la navette,
Ils disparaissent sans espérance.
Souviens-toi que ma vie est un souffle,
Que mes yeux ne peuvent plus rien voir de bon.
Il ne m’épiera plus, l’œil de celui qui me
regarde ;
Tes yeux se poseront sur moi et je ne serai
plus.
Le nuage se dissipe et passe,
Ainsi quiconque descend aux enfers n’en
remontera plus ;
Il ne reviendra plus dans sa maison ;
C’est pourquoi je ne fermerai pas ma bouche,
Je veux parler dans l’angoisse de mon cœur,
Je veux gémir dans l’amertume de mon âme.
Suis-je la mer, suis-je une bête sauvage,
Pour que tu veuilles me charger de
chaînes ?
Quand j’ai dit : Puisse mon lit être un
soulagement,
Puisse ma couche partager mes plaintes,
Alors tu m’effraies dans des songes,
Et par des visions tu me jettes dans
l’angoisse.
Aussi mon âme préférerait l’étranglement,
Et mes os, la mort, à tout cela.
Je suis désespéré, la vie m’est à jamais
impossible ;
Laisse-moi, car mes jours sont réduits à un
souffle.
Qu’est-ce que l’homme, pour que tu le tiennes
en si grande estime ?
Que tu le visites chaque matin,
Et que tu portes ta pensée sur lui ?
Et qu’à chaque instant tu l’éprouves ?
Pourquoi n’éloignes-tu pas ton regard de
moi ?
Ne me laisseras-tu pas le temps d’avaler ma
salive ?
Si j’ai péché, que puis-je te faire, à toi, le
Gardien des hommes ?
Pourquoi fais-tu de moi ta cible ?
Je me suis véritablement une charge à moi-même.
Pourquoi ne supportes-tu pas mes péchés
Et ne laisses-tu pas s’éteindre ma dette ?
Car, bientôt, je me coucherai dans la
poussière ;
Tu me chercheras, mais je ne serai plus.