LE TEMPS APRÈS LA PENTECOTE

1. Les Dimanches après la Pentecôte. — L’octave de la Pentecôte et, par là-même, le temps pascal se termine avec le samedi après la Pentecôte (plus précisément, avec None de ce jour). Nous entrons dans un nouveau temps qu’on peut appeler : le temps après la Pentecôte. Mais ce temps n’est pas, comme on aimait à l’enseigner jadis, un cycle festival propre. La Pentecôte appartient elle-même au temps pascal, dont elle est la conclusion et le second point culminant. Les dimanches après la Pentecôte nous font entendre les derniers échos du cycle pascal. Néanmoins, on peut dire que les 24 semaines et plus qui suivent la Pentecôte constituent un groupe à part. Ils se distinguent du temps pascal par la limitation de l’Alleluia. Leur contenu ne les relie que d’une manière vague avec Pâques. Les chrétiens, qui, à Pâques, ont reçu, dans le baptême et la rénovation de la grâce du baptême, la vie divine, ont le devoir, au cours de l’année et particulièrement les dimanches, de nourrir cette vie divine dans l’Eucharistie et de la conduire à maturité ; ils ont le devoir d’écarter le profane et le mondain qui ont pu pénétrer en eux ; ils ont surtout le devoir d’attendre, avec d’ardentes aspirations, le Seigneur à son retour. Le dimanche, le jour du Seigneur, doit être pour eux comme une petite fête de Pâques et leur rappeler, tout le bonheur de Pâques, avec le baptême, la Confirmation et l’Eucharistie ; il doit les affermir contre le monde, l’égoïsme et l’enfer. Tel était le sens de la célébration du dimanche dans l’ancienne Église ; c’est aussi le sens des dimanches après la Pentecôte.
           
Ces dimanches, dans leur forme primitive, remontent sûrement assez loin dans l’antiquité chrétienne. Dans leur forme actuelle, ils datent de saint Grégoire le Grand. Au reste, au cours du Moyen Age, il y a eu de nombreuses modifications et transformations qui n’ont pas eu pour résultat le perfectionnement des textes.
             
Nous autres, modernes, nous cherchons volontiers dans ces 24 dimanches un ordre d’idées, un système, une unité. C’est pourquoi on a souvent tenté d’introduire dans ces dimanches une progression harmonieuse et une riche évolution de pensées. Ce n’était pas le genre de l’ancienne Église. Elle voulait seulement donner à ses fidèles de petites fêtes de Pâques et des jours de parousie. Elle leur présentait, dimanche après dimanche, dans une succession variée de scènes dramatiques, l’image de la Rédemption. Ces scènes se rattachaient d’ordinaire au baptême, ou bien avaient pour but de préparer au retour du Seigneur. Dans ces messes, plus encore que dans les messes du temporal du Carême et de Pâques, il serait difficile de trouver un thème logique et une idée générale. Les lectures elles-mêmes (Ép. et Évang.) qui, dans les autres messes, concordent souvent sont rarement en relation l’une avec l’autre.
            
Il faut ajouter que la place originaire des pièces dans les messes des différents dimanches a été brouillée. Voici comment cela s’est produit. Dans l’antiquité, il n’y avait pas de missel unique, contenant les textes d’une messe ; ces textes étaient dispersé dans quelques livres. Les chants psalmodiques se trouvaient dans l’antiphonaire ; les Épîtres, dans le lectionnaire ; les Évangiles, dans l’évangéliaire ; les oraisons, dans le sacramentaire. Or quand, par exemple, dans le lectionnaire ou dans l’évangéliaire, il y avait un dérangement dans l’ordre des lectures, soit qu’une lecture fut omise ou qu’une autre fut ajoutée, comme cela arrivait parfois, la lecture omise étant reportée, celles de tous les dimanches suivants étaient déplacées. En fait, il nous est difficile aujourd’hui de dire quels chants, quelles oraisons, quelles Épîtres et quels Évangiles faisaient partie primitivement de la même messe. Il est vrai que ces déplacements dans ces dimanches n’ont pas une très grande importance, parce que les formulaires particuliers n’ont pas d’unité spécifique et parce que le contenu de chaque dimanche est très apparenté à celui des autres. Peu importe que, par exemple, les oraisons et les chants psalmodiques aient été déplacés, car les pensées et les sentiments des uns et des autres sont plus ou moins semblables.
             
Si nous examinons ces dimanches dans leur ensemble, nous découvrons trois thèmes qui sont plus ou moins accentués dans chaque messe. Le premier regarde vers le passé ; c’est le thème pascal. Il se rattache à la fête de Pâques et veut la renouveler tous les dimanches. C’est pourquoi nous aimons considérer le Christ comme le thaumaturge qui ressuscite les morts, comme notre médecin, notre “ Sauveur”. Le second thème regarde vers l’avenir ; c’est le thème de la parousie. Ce thème considère le Christ dans la “ Majestas Domini ” et nous prépare à son retour. L’Eglise antique s’avance en vêtements d’exil sur la terre, le cœur rempli de nostalgie. Le “ Maranatha ” — Viens, Seigneur, viens — de la primitive Église a son écho dans les tex es sacrés de la liturgie. Ce motif donne surtout aux derniers dimanches (18-24) une particulière beauté. Le troisième thème regarde le présent ; c’est le thème de la souffrance et du combat. Ce thème se fait plus puissant à mesure que la nuit augmente et que le jour diminue dans la nature. Il occupe une place dominatrice à l’arrière-plan de nos dimanches.
D’après leur contenu, nous pouvons ramener les messes du temps après la Pentecôte à trois types. Le premier type nous montre des guérisons miraculeuses accomplies par le Seigneur. Ces récits miraculeux ont moins l’intention de nous instruire que de nous donner une image des effets salutaires de la messe. C’est là ; d’ailleurs, le sens profond et le but des miracles du Seigneur. De même que, dans les jours de sa vie terrestre, il a guéri les maladies corporelles, il veut, dans sa vie mystique, devenir le médecin des maladies de l’âme par le moyen de son Église, principalement dans le baptême et l’Eucharistie. Les miracles de guérisons : nous montrent donc, d’une manière imagée, l’efficacité de la messe du dimanche. Ce sont des “ mystères”.
             
Le second type contient des antithèses : le royaume de Dieu et le royaume du monde. Ces antithèses se trouvent, surtout, dans les messes du 7e au 4e dimanche. Il est évident que l’Église ne nous donne pas le choix entre ces deux royaumes. Elle veut seulement nous faire comprendre que cette opposition nous oblige à rechercher avec d’autant plus d’ardeur le royaume de Dieu et à bannir de notre âme les dernières influences du royaume du inonde. Je crois que ce dualisme correspond à la piété des anciens chrétiens (cf. la doctrine des deux voies, des plus anciens Pères).
          
Le troisième type nous présente des images de l’attente de la parousie, et on trouve ce type à partir du 15e dimanche. Ce sont justement ces messes qui se distinguent par une grande richesse de sentiments et par une grande variété.
            
Tels sont les dimanches après la Pentecôte. N’allons pas croire qu’ils sont dépourvus de beauté esthétique. Précisément sous leur extérieur simple et modeste, ils cachent une richesse extraordinaire de beauté, de vie, d’esprit et de sentiments. Ils permettent à ceux qui savent les pénétrer de comprendre plus profondément l’amour et les ardentes aspirations de l’âme de l’Église, et les font s’unir de plus en plus à cette âme.
              
2. La lecture d’Écriture dans le temps après la Pentecôte. — Le chrétien liturgiste doit se faire une habitude de lire, régulièrement chaque jour, un passage de la Bible correspondant au temps. Il est très important, aussi, de bien comprendre les relations entre la Bible et la liturgie. Nous nous demandons si, dans la lecture des livres de l’Ancien Testament, l’Église, outre le but d’édification, ne recherche pas des pensées symboliques plus profondes ? Dom Herwegen nous donne la réponse : “Alors que la mystique de la liturgie dans l’année ecclésiastique se rattache à la vie de Jésus et, par conséquent, dans la célébration des événements historiques en renouvelle la grâce, elle s’appuie (pendant le temps après la Pentecôte), pour représenter le royaume du Christ, sur une image typique empruntée aux annales du royaume de Dieu dans l’Ancien Testament. L’histoire du royaume de Dieu, de la civitas Dei, telle que la liturgie la déroule, est donc une vision prophétique que l’Église du Christ réalise à travers les siècles ”. On peut, dans cette évolution mystique, distinguer trois périodes. La première concerne l’affermissement et l’extension du royaume du Christ. Samuel, l’unificateur du peuple, prépare la royauté (1er au 3e dimanche). David (4e au 7e dimanche) et Salomon (8e dimanche) sont les instruments du développement progressif ; ils sont, en même temps, les types du souverain aimé de Dieu. Même dans le temps de la décadence, Dieu exerça la puissance de son bras sur les rois et le peuple par l’intermédiaire de ses envoyés, Élie (3e au 10e dimanche) et Isaïe (11e dimanche).
            
Avec le premier dimanche d’août commence la seconde époque dans l’histoire du royaume du Christ. Dans la lecture des livres de la Sagesse, l’attention se détourne de l’histoire extérieure pour s’attacher à l’organisation interne. Les Proverbes de Salomon (1er dimanche), l’Ecclésiaste (2e dimanche), le livre de la Sagesse (3e dimanche) et l’Ecclésiastique (4e et 5e dimanches) approfondissent la connaissance de Dieu et, par suite, font mieux connaître les fondements de la vie. morale. On trouve un contenu doctrinal sous un revêtement historique dans les livres de Job (1er et 2e dimanches de septembre) et de Tobie (3e dimanche). La lecture de ces livres forme transition entre la méditation spéculative des livres sapientiaux et les figures idéales, mais concrètes, de Judith (4e dimanche) et d’Esther (5e dimanche) dont l’amour héroïque pour Dieu et pour leur peuple est d’autant plus impressionnant qu’il s’agit de femmes. La protection du royaume de Dieu et de ses biens spirituels est l’objet des combats héroïques que décrivent les deux livres des Macchabées (octobre).
             
Le Prophète Ézéchiel nous introduit dans la troisième période, l’achèvement du royaume du Christ, et lui donne son caractère eschatologique. Ses visions et les prédictions des autres Prophètes, jusqu’à Malachie qui clôt la série, nous annoncent les derniers temps, le passage de la cité terrestre à la cité céleste, et la souveraineté éternelle de Dieu.