L’AUTOMNE ECCLÉSIASTIQUE

Dans le Missel la succession des dimanches après la Pentecôte est interrompue par l’insertion entre le XVIIe et le XVIIIe dimanches, de la messe des QuatreTemps. Cette coupure est pleine de sens : l’Église veut nous dire : Maintenant nous entrons dans la dernière période de l’année liturgique que nous pouvons appeler l’automne ecclésiastique. Mais les Quatre-Temps ne sont plus célébrés actuellement entre ces deux dimanches, puisque la date de ceux-ci varie sensiblement avec les différentes années ; ils tombent toujours dans la troisième semaine du mois de septembre (le mercredi qui suit l’Exaltation de la Sainte Croix). Au cours des trois dimanches précédents (XVe-XVIIe), le thème de la parousie se faisait déjà sentir fortement ; dans les dimanches qui suivent, l’attente du second avènement du Seigneur sera le thème exclusif. Examinons brièvement ce temps qui va commencer.
A cette époque, l’aspect extérieur de la nature change : les feuilles des arbres se décolorent et tombent, les soirées deviennent plus longues, le froid fait son apparition et les brouillards d’automne étendent leur voile sur la campagne. L’Église célèbre, elle aussi, l’automne ecclésiastique. Ce sont les dernières semaines de l’année liturgique avec leurs pensées et leur caractère nettement définis. Nous pouvons parler de la mystique et du symbolisme propres de l’automne ecclésiastique que la liturgie s’ingénie à exprimer. Ce temps doit être pour nous une préparation aux fins dernières, ou bien, selon l’esprit de la primitive Église, au second avènement du Christ. (L’avènement du Christ à la mort de chacun et son avènement au dernier jour sont pour la liturgie une seule et même chose). On remarquera que l’antique liturgie n’envisage pas tant le jugement dernier, avec ses circonstances effrayantes, que le retour du Seigneur dans tout l’éclat de sa majesté, mettant le point final à la Rédemption. L’Église veut nous inspirer moins des sentiments de crainte que des dispositions et des motifs positifs d’ardent désir, de détachement de la terre et d’empressement pour le bien. C’est donc la vertu théologale d’espérance que la liturgie nous fait exercer et cultiver sous des formes extraordinairement variées pendant ces semaines-ci. Dans la pensée de l’Église primitive, il s’agit de l’attente du retour du Christ (la parousie). C’était l’un des grands arguments de la primitive Église pour encouragerà la sainteté, au martyre et au mépris du monde. Les premiers chrétiens ne vivaient pas seulement dans la foi du Christ et dans son amour, mais aussi et beaucoup dans l’attente de son retour. Dans ce sens, l’espérance a deux aspects ; l’un négatif : il s’agit alors de se détacher des biens et des jouissances de la vie, de se considérer comme un étranger sur terre, de ne pas river son cœur aux choses de ce monde ; c’est l’affranchissement de la matière. L’aspect positif : le désir du ciel, l’attente du Christ, la pratique de la vertu pour être parfait “ au jour du Christ ”. – Toutefois l’Église ne veut pas faire de nous des utopistes ; elle ne nous transporte pas dans l’autre monde, mais elle nous laisse sur la terre et nous enseigne à considérer et à mener la vie terrestre à la lumière de la parousie. Quand nous lisons les textes liturgiques de ce temps, nous y trouvons en abondance le dogme, la morale, l’ascétique et la mystique.
La liturgie nous brosse, dans ses textes, de magnifiques images : Elle nous conduit dans la salle de festin de l’Église, brillamment illuminée ; nous sommes vêtus de la robe blanche du baptême et nous attendons que le roi vienne rendre visite à ses hôtes (parousie) ; c’est la plus belle image de ce temps (XIXe dimanche). Ensuite elle nous conduit dans l’exil babylonien de la vie terrestre, nous fait supporter les épreuves de l’exil en esprit de pénitence, nous fait chanter : “ Nous étions assis auprès des fleuves de Babylone et nous pleurions... ” (XXe dimanche). Ensuite elle nous équipe d’une armure pour le combat spirituel et nous fait combattre “ au mauvais jour ” ; ou bien elle nous conduit devant le tribunal du Juge éternel (XXIe dimanche). Elle nous montre la prison de la Vie terrestre, mais fait aspirer à la patrie céleste (XXIIIe dimanche). Nous voyons comment le Divin Moissonneur rentre les gerbes mûres dans la grange céleste, mais aussi comment Satan brûle dans les flammes de l’enfer les bottes toutes prêtes de mauvaise herbe (cf. l’image bien connue de l’ivraie) (ve dimanche après l’Épiphanie). Enfin nous voyons la grandiose image du jugement dernier.
Ce sont surtout les messes du dimanche qui reflètent le caractère et les pensées d’un temps ; c’est encore le cas ici ; c’est donc à elles, en premier lieu, que nous demanderons de nous faire entendre les enseignements de l’automne ecclésiastique. Il y a cependant une foule d’autres sources et textes qui complètent ces enseignements. Ce sont, en second lieu, les fêtes de ce temps qui se mettent fréquemment au service de l’automne ecclésiastique. La première place appartient ici à l’Assomption (15 août), une vraie fête de moisson ; Marie est le fruit le plus mûr du jardin de l’Église. – Un peu plus loin se place la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix (14 septembre) : la croix s’élève en se détachant sur le ciel obscur d’automne qui symbolise la puissance de l’enfer ; nous voyons déjà “ le signe du Fils de l’homme Il qui apparaîtra dans le ciel à son second avènement. – Vient ensuite la fête de l’archange saint Michel, le chef des milices célestes dans le combat contre Lucifer et ses suppôts ; ce combat atteindra précisément sa phase culminante à la fin des temps. – Tout à la fin du temps d’automne, arrivent les deux fêtes de la Toussaint et de la Commémoration de tous les fidèles trépassés : à la Toussaint, l’Église écarte le voile du ciel et nous montre l’Église triomphante ; à la fête des morts, elle nous place devant la tombe et nous conduit dans les sombres régions de l’Église souffrante. La fête du Christ Roi se trouve également à la fin au temps d’automne. – En novembre, l’Église célèbre deux fêtes de la Dédicace dans lesquelles elle nous montre la Jérusalem céleste dans sa splendeur, mais aussi l’Épouse du Roi qui se pare pour son Époux. – Enfin, à cette pensée des fins dernières appartiennent encore les quatre fêtes de vierges tombant chacune dans l’un des quatre mois d’hiver : sainte Cécile (l’Aveugle), sainte Lucie (la Brillante), sainte Agnès (la Pure), sainte Agathe (la Bonne) !
Les lectures d’Écriture de ce temps se situent, elles aussi, dans le cycle des pensées caractéristiques de l’automne ecclésiastique. Comme on le sait, l’Église a établi un plan de lectures liturgiques propres qui s’adaptent dans la mesure du possible à l’année ecclésiastique. Le mois de septembre est le premier mois d’automne ; le développement progressif des ténèbres est l’image expressive du combat des ténèbres, qui montreront justement leur puissance dans les derniers temps. Pendant ce mois, l’Église nous présente les livres de la souffrance et de l’héroïsme : Job, Tobie, Judith et Esther, images du chrétien et de l’Église qui doivent persévérer jusqu’à la fin pour obtenir la couronne. Le mois d’octobre tout entier nous fait admirer les luttes héroïques des Macchabées ; c’est en quelque sorte l’illustration de l’Épître du XXIe dimanche sur l’armement en vue du combat spirituel. Le mois de novembre est réservé à la lecture des livres prophétiques qui ont rapport à la fin des temps : ils nous annoncent l’établissement définitif du royaume du Christ ; ils parlent des derniers temps, du passage du royaume terrestre de Dieu au royaume céleste.
Enfin la liturgie nous fournit encore une dernière source d’enseignement pour le temps de l’automne ecclésiastique ; ce sont les messes du commun des saints. Dans l’esprit de l’Église, ces messes, tout en gardant toujours le même texte, doivent très certainement subir l’influence caractéristique du temps ecclésiastique. A la lumière de Noël, elles apparaîtront tout autres que dans le rayonnement de Pâques et aussi que dans le crépuscule des derniers temps. C’est pourquoi nous découvrons sans surprise que la plupart des messes du commun portent l’empreinte des derniers temps. Presque toujours il y est question de la venue et du retour du Seigneur. Dans sa mort, le saint connaît par expérience le retour du Christ, et nous le vivons avec lui au Saint-Sacrifice ; c’est là le sens profond d’une messe de saint. C’est la raison pour laquelle nous comprenons peut-être mieux que jamais, pendant l’automne ecclésiastique, le sens d’une telle messe. Ainsi les saints nous préparent chaque jour à la parousie. Tantôt nous sommes le serviteur vigilant qui, les reins ceints, se porte à la rencontre de son maître quand celui-ci frappe à la porte ; tantôt l’homme qui a fait produire aux cinq talents reçus cinq autres talents. Puis nous prenons place parmi les jeunes compagnes de la fiancée qui ont su tenir leurs lampes garnies d’huile pour recevoir l’époux.

Ainsi l’âme chrétienne, qui vit avec l’Église, trouve dans l’automne ecclésiastique un riche champ à labourer ; elle est vraiment, comme l’Église, l’Épouse du Christ ; elle lève vers son Époux des yeux et un cœur chargés d’ardents désirs.