LA SEMAINE DE LA QUINQUAGÉSIME

1. Le troisième dimanche est le point culminant de l’avant-Carême. Nous trouvons une progression par rapport aux dimanches précédents : dans la série des Patriarches, dans l’église de station, dans le contenu de la liturgie. C’est le troisième et dernier appel de l’Église nous invitant à nous préparer au Carême, c’est le sommet de la préparation. Il y a de nouveau trois hommes qui nous parlent. C’est d’abord Abraham, le rocher de l’Ancienne Alliance, le héros de l’obéissance dans la foi, sur le mont Moria (celui où mourut le Christ), le père héroïque qui fut sur le point d’offrir le sacrifice de son fils. Puis vient saint Pierre, le rocher de la Nouvelle Alliance ; c’est sur son tombeau que nous offrons aujourd’hui le sacrifice de la messe ; par la bouche de son frère dans l’apostolat, saint Paul, il nous enseigne aujourd’hui le but de notre travail de Carême, la charité. Enfin, devant nous, se tient le Christ, l’“ Illuminateur “, qui nous guérit de la cécité spirituelle ; il nous conduit à Jérusalem pour la Passion. L’Église a soulevé le rideau. Nos regards s’étendent jusqu’à la Semaine Sainte et à Pâques. Nous sommes dans la semaine que commence déjà le temps de Carême, dont la porte d’entrée est le mercredi des Cendres.
     
2. Le catéchuménat. — Nous comprendrons mieux les trois dimanches de l’avant-Carême si nous les examinons du point de vue du catéchuménat de l’ancienne Église. Ils sont comme d’une seule coulée, d’une grande beauté et d’une grande harmonie ; c’est un magnifique triptyque.
     
Les trois Évangiles nous montrent les progrès du catéchumène (candidat au baptême). Ces progrès comprennent trois degrés : la vocation — l’instruction — l’illumination. Ce qui vient en premier lieu, c’est l’appel de Dieu. Une foule de païens se tenaient oisifs sur la place. Alors vint à passer le divin Père de famille et il invita l’un ou l’autre à se rendre dans la vigne de l’Église. Pourquoi celui-ci et non pas celui-là ? C’est le mystère de la vocation divine. Et comment s’est-il fait que celui-ci, précisément, a été appelé ? Ce fut apparemment un hasard qui lui fit acheter une esclave chrétienne ou apercevoir sur le chevalet un chrétien courageux. C’était en réalité l’appel de Dieu. C’est ainsi qu’agit le bon Dieu dans tous les temps. Il appelle les hommes sans aucun mérite de leur part, souvent même malgré leur démérite. Il saisit quelqu’un parmi des centaines et des milliers et il l’appelle. Vous qui lisez ces lignes, vous êtes peut-être du nombre des appelés. Pourquoi restez-vous oisifs sur la place du monde ? Allez dans la vigne de Dieu. 
     
La vocation est le commencement, mais elle est loin d’être tout. Le bon Dieu envoie ensuite l’homme à l’école. C’était, dans les temps antiques, le catéchuménat. On imposait aux candidats au baptême un sérieux travail. L’antique ordonnance ecclésiastique de saint Hippolyte (vers 216) prescrit trois ans pour cette instruction et cette éducation du futur chrétien.
     
Aujourd’hui les circonstances ont changé, mais le principe reste essentiellement le même. Même pour nous, l’appel est suivi de l’instruction et de l’éducation chrétiennes. Je n’entends pas par là l’instruction chrétienne à l’école, mais l’école de Dieu dans notre vie.
     
Nous sommes tous des catéchumènes, et nous pouvons dire que ce catéchuménat dure jusque vers la trentième année. Vers cette époque, le caractère chrétien est substantiellement formé en nous. Cela ne veut pas dire que nous n’ayons pas encore besoin plus tard d’instruction et d’éducation. L’école de Dieu dure jusqu’à la fin de notre vie. Il importe, pour se servir de la parabole du semeur, d’être une terre apte à recevoir la semence, afin que le grain divin ne soit pas gaspillé et qu’il ne reste pas sans fruit. Chrétiens, usons des grâces que Dieu nous offre si abondamment. Je crois que, nous autres, chrétiens éveillés, qui voulons vivre avec l’Église, nous avons reçu une abondance extraordinaire de grâces. Nous disposons de toute la richesse de la vie ecclésiastique et liturgique. Nous pouvons dire avec le psalmiste : “ Le cordeau a mesuré pour moi une portion délicieuse ; un splendide héritage m’est échu. “
     
Quand les catéchumènes étaient assez avancés pour finir leur école (le temps de Carême), alors venait le grand jour du baptême. Ils avaient le droit d’entrer dans le “ royaume du ciel” sur la terre, dans la “ terre promise où coulent le lait et le miel ”. C’était l’illumination. C’est le troisième et le plus haut degré. On ne peut même pas le comparer avec les deux degrés précédents. La vocation et l’éducation sont la poussée de Dieu, une invitation et une semence du bon grain ; l’illumination est une transformation, une nouvelle création.
     
Mais l’illumination n’a pas seulement lieu pour les catéchumènes ; elle se produit aussi pour nous. Car l’illumination n’est pas seulement le baptême, elle progresse jusqu’au jour clair du Christ, jusqu’à ce que “ la lumière éternelle brille” à nos yeux, au ciel. C’est pourquoi ce stade nous concerne nous aussi. “ Réveille toi, toi qui dors, et lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera” (Eph. V, 14). C’est ce que chante une antique hymne chrétienne. Le Carême doit nous préparer, nous aussi, à recevoir du Christ une illumination plus grande. La nuit de Pâques, avec la colonne de feu, doit être l’aurore d’un nouveau jour de lumière dans notre âme.
      
Comprenons-nous maintenant la belle ordonnance des trois dimanches de l’avant-Carême : vocation — instruction — illumination ? Mais nous ne sommes pas encore à la fin. Les Épîtres elles-mêmes donnent, aux catéchumènes et à nous, un beau programme : combat — travail — amour. C’est encore une image tripartite (triptyque). “ Tel est l’aspect de la vie chrétienne “, veut dire l’Église aux futurs chrétiens : c’est un combat, une course, une lutte pour la couronne ; c’est un dur combat, il faut en sortir vainqueur. La vie chrétienne n’est pas une vie paresseuse ; c’est un dur labeur, rempli de souffrances et d’efforts, de renoncements et de tentations. L’Église ne pouvait pas en donner une plus belle image qu’en nous présentant le portrait de saint Paul fait par lui-même. Mais ce n’est pas encore le point culminant. Le combat et le travail sont quelque chose de grand dans le christianisme, mais l’amour les domine, il est plus grand et plus noble. Le combat, la souffrance et le travail ne seraient que de u l’airain sonnant et des cymbales retentissantes” si l’amour faisait défaut. N’y a-t-il pas encore là une merveilleuse progression ?
      
Enfin l’Église place encore trois modèles devant nos yeux, trois puissantes statues, qui semblent faites de pierre et d’airain et qui se dressent à l’entrée du Carême : Adam, Noé et Abraham. Adam, l’ancêtre du genre humain, dont nous tenons tous notre chair et notre sang, mais dont nous avons reçu aussi la souillure originelle ; Noé, l’homme juste au sein de l’impiété, et Abraham, le père des croyants, l’homme de l’obéissance dans la foi. Et ces trois hommes sont les symboles des biens futurs. Adam est l’image du Christ, le second chef de l’humanité ; l’arche représente l’Église qui nous sauve du déluge du jugement ; le sacrifice d’Abraham annonce le sacrifice du Christ. Ô sainte Mère Église, comme tu es donc sage et sublime dans ta liturgie !