Quels sont nos sentiments, quand, le soir du 31 décembre,
le soir de la Saint Silvestre, les grosses cloches sonnent dans la tour de
l’église paroissiale et nous appellent à l’office qui doit clôturer
l’année ? Les fidèles viennent en foule à l’église, même ceux qui, pendant
toute l’année, se sont tenus éloignés de la maison de Dieu. Il y a là un état
d’âme particulier, fait d’un mélange de reconnaissance, de mélancolie, de
repentir, d’incertitude. Quand le curé élève la voix en qualité de pasteur et
de père des âmes et jette un regard vers le passé et vers l’avenir, il y a
beaucoup d’yeux qui se mouillent de larmes ; alors monte, impressionnant,
vers le ciel, le chant du Te Deum : “ Mon Dieu, nous vous louons. ” Rarement
on trouve, dans l’année, une pareille émotion des cœurs. On prend congé de
l’année écoulée comme d’une amie très chère, et l’on salue la jeune année comme
une nouvelle venue que l’on conjure de ne pas être une messagère de malheur.
Cette célébration de la fin d’année est certainement
quelque chose de très beau ; nous voulons en entretenir et en développer
l’usage. Mais pourtant, à ce sujet, me vient une pensée bien triste ;
c’est que les hommes d’aujourd’hui se contentent de vivre l’année profane et civile,
tandis que l’année ecclésiastique et spirituelle ne fait pas sur eux la moindre
impression. La vieille année s’en va sans bruit dans l’éternité ; la
nouvelle année fait sans bruit son apparition avec le premier dimanche de
l’Avent, et nous, chrétiens, nous n’y pensons pas. Qu’est-ce que l’année civile
en comparaison de l’année ecclésiastique ? Le 31 décembre est un jour
comme le 1er janvier. Le 31 décembre, la vieille année ne prend pas
congé de nous comme un vieillard aux cheveux blancs et affaibli par
l’âge ; et, le 1er janvier, la nouvelle année n’arrive pas
comme un petit Jésus. C’est une simple image pour signifier que la nouvelle
année a pris la place de l’autre dans le cours du temps. Mais une année
ecclésiastique est un véritable chapitre de la vie de notre âme. L’année
ecclésiastique est une année de la vie du Christ mystique. Le Sauveur a vécu
environ 33 ans de vie terrestre ; le Christ mystique vivra je ne sais
combien de milliers d’années, il vivra dans notre vie spirituelle je ne sais
combien de dizaines d’années. Mais alors, une année ecclésiastique est quelque
chose d’important, quelque chose de saisissable, quelque chose de réel, une
période de vie que la Sainte Église, notre Mère spirituelle, nous trace ;
c’est une année d’apprentissage à l’école de Dieu. Nous devons estimer
l’année ecclésiastique plus que l’année civile.
A vrai dire, l’Église ne désire pas que nous célébrions
par une cérémonie spéciale la fin de l’année ecclésiastique ;
pourquoi ? Parce qu’elle vit déjà, sur la terre, la vie de l’éternité. Un
jour se joint aux autres comme les anneaux d’une chaîne ; le commencement
d’une année se réunit à la fin de l’année précédente comme les diverses parties
d’un cercle qui est sans fin. Les fêtes et les temps de l’Église n’ont pas de
fin, mais leur résonance se perd dans l’éternité. Voilà pourquoi l’Église ne
solennise pas le départ de la vieille année ecclésiastique.
Mais nous, chacun en ce qui le concerne, nous devons
profiter de la dernière semaine de l’année ecclésiastique pour jeter un regard
sur le passé et un regard sur l’avenir. Choisissons au cours de cette semaine
trois jours de calme, dont l’un sera un jour de repentir et de pénitence
“ pour nos innombrables péchés, offenses et négligences ” de
l’année écoulée (où disons-nous cela ?) ; le second, un jour
d’action de grâces pour tous les bienfaits reçus ; le
troisième, un regard sur la nouvelle année, un jour de demande.
1er Jour.. Ouvrons un peu le
“ livre de notre vie ”, et parcourons les pages de l’année ecclésiastique.
Qu’y lisons-nous ? Nous devons y voir plus d’un passage obscur et plus
d’un point sombre. Nous avons été si négligents au service de Dieu !
Pourtant, combien de fois le Divin Semeur n’a-t-il pas jeté le bon grain de la
grâce dans notre cœur ? Mais souvent la semence est tombée sur un sol
piétiné, sur le chemin, ou sur un terrain rocheux, ou parmi les épines ;
et elle n’a pas levé. Nos passions se sont pendues à notre âme comme des poids
de plomb et ont paralysé son ardeur et son essor vers le ciel. Nous n’avons pas
fidèlement tenu les serments de notre baptême : Renoncez-vous au
démon ? et à toutes ses œuvres ? et à toutes ses pompes ? Nous
n’avons pas fait passer notre serment entièrement en action. Nous avons cloché
des deux côtés. Nous avons voulu nous distraire un peu avec le démon et aussi
nous réjouir avec le Christ. Nous n’avons pas tracé une ligne bien tranchée
entre le royaume de Dieu et le royaume du monde. Le vêtement blanc que nous
avons reçu au baptême est-il demeuré propre et immaculé pendant toute
l’année ? La lampe que nous avons allumée au cierge pascal ne s’est-elle
jamais éteinte ? Avons-nous toujours tenu en réserve l’huile de l’amour de
Dieu pour la remplir ? Oh ! avec quelle humilité devons-nous en ce
moment nous tenir devant le Seigneur ! Pendant cette année, il nous a
donné une fois de plus cinq talents ; il vient aujourd’hui et réclame les
comptes. Pouvons-nous répondre avec le serviteur fidèle : Voici cinq
autres talents que nous leur avons fait produire ? Combien est minime le
bien que nous avons fait ! Combien grand le mal que nous avons
commis ! Et maintenant nous nous tenons en esprit devant le Juge éternel.
C’est maintenant comme un grand Confiteor. Tous les saints sont devant
nous ; ils sont nos accusateurs. Combien ils ont prié pour nous, offert
leurs mérites pour nous ! Leur vie fut pour nous une constante
prédication. Et pourtant nous avons produit si peu de fruits. Un mauvais arbre
dans le jardin de Dieu. C’est notre faute, c’est notre faute, c’est notre très grande
faute ! Telle est la prière que nous voulons souvent redire aujourd’hui. “
Pardonnez-nous nos péchés. ” Puissions-nous passer sans fautes la nouvelle
année ecclésiastique !
2e Jour : Qu’a été l’année
ecclésiastique écoulée ? Ce fut une année de vie divine, de vie de grâce,
de la vie du Christ en nous. Savons-nous ce que cela veut dire ?
Représentons-nous un arbre au printemps. Comme les bourgeons se gonflent
alors ! La sève ne veut plus demeurer dans les racines et dans le tronc,
elle cherche à s’échapper ; avec quelle rapidité s’ouvrent alors feuilles
et fleurs ! C’est ainsi que la vie de la grâce a fait aussi sa poussée
dans notre âme. Oh ! si nous pouvions voir de nos yeux toutes les grâces
qui nous ont été données en cette année ! Contentons-nous de dire que nous
sommes les hommes vraiment favorisés. Ces hommes-là, ce ne sont pas ceux qui
font bruire le velours et la soie, ceux qui retournent l’or à pleines
mains ; non, c’est nous. Même si nous portons de vêtements râpés, même si
dame inquiétude regarde à notre fenêtre, nous sommes les hommes vraiment
privilégiés puisque nous possédons la foi et la grâce. Nous sommes enfants du
Roi, enfants de Dieu, enfants du ciel. Aujourd’hui, nous devons en prendre de
nouveau conscience. Si, au cours de cette année, Dieu nous a taillé une dure et
lourde croix et nous l’a placée sur les épaules, ce fut un signe de son
amour ; ce fut une décoration pour ses vaillants héros.
Dieu récompense avec équité. Aucune bonne œuvre qui
échappe à sa vue et tombe à terre. Les anges ont recueilli chaque soupir,
chaque prière, chaque bonne pensée, chaque bonne résolution et les ont portés
sur la coupe d’or des parfums devant la face de Dieu. Ce sont justement ces
œuvres invisibles, que personne n’estime ni ne loue, qui sont précieuses aux
yeux du Seigneur. Braves et vertueux enfants des. homme, vos larmes, vos
sueurs, tout cela est recueilli goutte à goutte dans un petit flacon et
brillera un jour comme des diamants et des pierres précieuses au ciel. Pour
tout cela, nous voulons dire aujourd’hui un cordial merci. Aussi chantons-nous
à pleine poitrine, d’une âme émue, de tout cœur : “ Mon Dieu, nous vous
louons ! ” “ Nous vous rendons grâces à cause de votre grande gloire.
” “ Il est convenable et juste que nous vous rendions grâces -toujours et
partout. ”
3e Jour : Maintenant, jetons un
regard sur la nouvelle année. Que va-t-elle nous apporter ? Tout est en
puissance dans le sein d’une année : vie et mort, ciel et enfer, péché et
vertu, bonheur et malheur. Que va-t-elle nous apporter ? Cependant, nous
n’allons pas au-devant d’un destin aveugle et perfide. Non, nous, chrétiens,
nous avons une perspective plus joyeuse : Notre sort est entre les mains
de Dieu. Un bon Père veille avec sollicitude sur nous. Il nous protège comme la
prunelle de ses yeux ; il nous met en sécurité à l’ombre de ses ailes,
comme une poule ses poussins. Il a, pour nous, livré à la mort son Fils unique
et bien aimé. N’est-ce pas là une garantie de son amour paternel sans
borne ? Oui Seigneur nous remettons notre âme et notre corps entre vos
mains pour l’année qui commence. Continuez à agir et à opérer en nous, afin que
nous soyons mûrs et parfaits pour le jour du Christ, quand il viendra nous
prendre. Conservez-nous seulement la grâce ; ne permettez pas que nous soyons
jamais sépares de vous. Tout le reste nous est indifférent. Votre volonté
est-elle que nous mourions pendant cette année ? Que votre volonté soit
faite ! Nous visiterez-vous par la souffrance, la pauvreté,
l’épreuve ? Que votre volonté soit faite ! Donnez-nous seulement la
grâce de supporter cela. Nous donnerez-vous bonheur et prospérité
temporelle ? Que votre volonté soit faite ! Donnez-nous seulement
deux fois plus de grâces, afin que nous persévérions dans le bien. Faites de
nous ce que vous voulez ; nous ne vous adressons qu’une seule
demande : que nous demeurions dans votre amour.
C’est donc avec une entière confiance que nous entrons et
que nous avançons dans la nouvelle année.