O Christ, vous êtes le Roi de gloire
1. “ Fête de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Roi
” ; c’est ainsi qu’elle est annoncée en premier lieu par le Martyrologe.
Nous célébrons aujourd’hui cette fête, la plus récente de toutes les fêtes de
Notre-Seigneur, qui fut établie par le Pape Pie XI, le 11 décembre 1925. Le but
de la fête est de porter de plus en plus l’attention du peuple chrétien sur
l’image du Christ, tel que le représentait la primitive Église, du Divin Roi,
assis sur le trône à la droite du Père, et qui reviendra à la fin des temps
avec puissance et majesté. Cette image du Christ, la liturgie ne la laisse
jamais pâlir dans son sanctuaire, elle nous accompagne à travers toute l’année
liturgique ; elle se présente même à nous tous les jours au bréviaire et
dans le missel, mais le peuple catholique l’a souvent oubliée. La pensée
sérieuse de la royauté du Christ redonnera donc à la piété populaire, qui, sans
elle, fait prédominer trop facilement l’aspect sensible, quelque chose de fort
et de vigoureux. Le peuple est ramené à l’image liturgique du roi. Mais nous,
les amis de la liturgie, nous voyons dans la fête une confirmation par le Saint
Siège Apostolique de nos efforts dans le domaine liturgique.
2. L’image du Christ : a) Au cours
des"temps : Sous quel aspect la chrétienté a-t-elle considéré le
Sauveur ? Certainement ce fut toujours le même Seigneur, et cependant il
apparaît sous des aspects différents, selon que l’on met plus fortement en
relief sa nature divine ou sa nature humaine. Ceci est vrai déjà des premiers
temps apostoliques. Les Evangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc) font
prédominer, dans le portrait qu’ils nous donnent de Jésus, le fils de l’homme,
le Jésus de Nazareth qui parcourt la Palestine en guérissant et en prêchant.
Mais déjà saint Jean voit l’image du Christ à la lumière de la Divinité, et le
mystère de la révélation place devant son esprit le Divin Roi glorifié dans le
ciel, “ celui qui commande aux rois de la terre ”. La jeune Église
introduit cette grandiose image du Christ dans ses cimetières et dans ses
sanctuaires. Du haut de l’abside des basiliques primitives, cette image typique
de la “ Majestas Domini ” resplendissait sous les brillantes couleurs de
la mosaïque ; c’était l’expression imagée de sa foi à cette vérité que le
Divin Roi glorifié apparaît, dans le mystère de la messe, sur le trône de
l’autel, une anticipation de son second avènement. Cette image du Christ
demeura vivante jusqu’au début du Moyen Age au cœur de la chrétienté ; sur
les crucifix on voyait le triomphateur avec la couronne et les insignes
siégeant sur le trône royal. Pendant le haut Moyen Age, l’image du Christ prit
un aspect tout à fait différent. Les croisades reportèrent le souvenir sur la
vie terrestre et spécialement sur l’“ amère ” Passion du Seigneur ;
aussi voulut-on de nouveau voir et considérer dans le Christ surtout l’homme.
Alors parut un grand artiste qui peignit deux images de Jésus où les siècles
suivants jusqu’à nos jours puisèrent leur inspiration ; saint François
d’Assise présenta au monde l’aimable enfant de Bethléem et l’homme de douleur
sur la croix. Désormais, l’image du Roi pâlit à la voûte d’or des
absides ; les peuples germaniques, en particulier, avec leur âme toute de
sensibilité et de compassion, s’attachèrent, dans l’amour et l’enthousiasme, à
l’aspect humain du Seigneur, avant tout à sa Passion ; la dévotion
populaire, qui est la meilleure expression des sentiments religieux d’un
peuple, porte justement là ses plus belles fleurs. Il en fut ainsi jusqu’à nos
jours. A l’époque moderne, l’image du Christ a encore reçu une nouvelle
expression qui n’est à vrai dire, que le développement de celle qui était
connue depuis le Moyen Age, l’image du Sacré Cœur, l’expression de la bonté et
de l’amour de l’HommeDieu dont nous trouvons la réalisation dans la Passion et
dans le mystère eucharistique.
b) L’image du Christ dans la liturgie : Nous
avons vu l’image du Christ dans le peuple ; une question se pose
maintenant : quelle est l’image du Christ dans la liturgie ?
Certainement la liturgie, culte officiel de l’Eglise, a subi, elle aussi,
l’influence des courants religieux de chaque époque et ressemble à un livre de
famille dans lequel chaque période de l’histoire de l’Eglise se perpétue ;
nous y retrouverons donc toutes les images du Christ au cours des siècles. Dans
la cathédrale liturgique, nous voyons Jésus homme, Jésus souffrant ; nous
voyons le Divin Cœur de Jésus ; toutefois ce n’est pas l’image
caractéristique de la liturgie ; cela fait penser à une église gothique
dans laquelle on a placé des autels de style baroque. Le style classique de
la liturgie ne connaît qu’une image du Christ : le Roi Divin rayonnant et
plein de majesté. Ce serait un examen suggestif de suivre cette image
liturgique du Roi au cours de l’année ecclésiastique et dans les textes du
missel et du bréviaire. Contentons-nous de quelques indications : l’Avent
tout entier attend avec un désir croissant le “ Roi qui vient ” ; dans les
antiennes du bréviaire, les deux mots “ Rex ” et “ venit Il sont sans cesse répétés.
A Noël, l’Église ne célèbre pas tant l’enfant de Bethléem que le “ Rex
pacificus — le Roi de la paix” qui s’est glorifié. Ensuite vient une fête du
Roi, qui est l’une des plus grandes fêtes de l’année liturgique,
l’Épiphanie : Le Divin Roi a “ apparu” dans sa ville, l’Église, comme
jadis les souverains orientaux faisaient leur visite solennelle dans les villes
(Théophanie), et répand son éclat sur le monde. Les dimanches qui suivent
l’Épiphanie continuent d’exprimer, dans les parties propres de la messe, l’idée
de Roi sous une forme classique. A la fête qui clôt le cycle de Noël, à la
Chandeleur, aussi, l’Église se porte avec un amour d’épouse à la rencontre de
l’Époux royal : “ Orne ta chambre nuptiale, Sion, et reçois le Christ, ton
Roi... ” Nous pouvons résumer le cycle des fêtes d’hiver par cette
formule : Le Christ Roi a fondé sur terre son royaume de lumière. Si nous
pénétrons maintenant dans le cycle pascal, l’éclat de sa dignité royale se
cache sous le voile de la Passion ; pourtant, l’Église ne met pas tant
sous nos yeux le Christ souffrant que le héros et le combattant royal qui lutte
sur le champ de bataille du Golgotha contre le “ fort ” et qui meurt en
remportant la victoire. Même pendant le temps du Carême et de la Passion,
l’Église considère le Roi. Saisissant est l’hommage rendu au Roi, le dimanche
des Rameaux, quand la liturgie accompagne le Seigneur avec des palmes en une
procession solennelle et chante devant le portail fermé de l’église le “
Gloria, laus et honor tibi sit, Rex Christe ” — “ Gloire, louange et
honneur à toi, Christ Roi. ” — Au grand jour du vendredi-saint, l’Église
considère bien l’Homme de douleur sur la croix, mais aussi, et encore plus, le
Roi sur le trône de la croix ; l’hymne “ Vexilla Regis ”l’étendard du
Roi s’avance — est tout entière l’expression de cet état d’esprit où a pris
naissance la liturgie du vendredi-saint. Ce verset est lui aussi
caractéristique (ps. 95) : Dicite in gentibus, quia Dominus regnavit —
autrefois on ajoutait toujours : a ligno ; “ annoncez aux païens :
le Seigneur règne du haut de sa croix de bois. ” Pendant le temps pascal,
l’Église est si occupée du Maître et Vainqueur glorieux que la pensée du Roi
n’apparaît pas en traits aussi forts ; cependant, vers la fin de ce temps
d’allégresse, nous célébrons encore une grande fête royale, la fête de
l’avènement du Christ Roi au trône, le splendide triomphe du Seigneur pour son
œuvre de rédemption universelle, l’Ascension du Christ. Dans la dernière partie
de l’année liturgique, dans le temps après la Pentecôte, l’image du ChristRoi
ne nous quitte pas non plus ; la Fête-Dieu est une solennité royale, “
Adorons le Christ Roi, le Souverain des nations ” (Invit.) ; la
fête de la Transfiguration est, particulièrement dans l’Église grecque, la fête
royale qui domine tout le cycle d’été : “ Adorons le souverain Roi de
gloire, le Christ. Il Et quand l’année liturgique touche à sa fin, l’Église
attend avec un ardent désir le retour du Roi de majesté. — Sans parler du
reste, contentons-nous d’attirer l’attention sur l’office quotidien :
chaque jour, nous commençons les matines, à l’invitatoire, par un hommage au
Roi : “ Venez, adorons le Roi des apôtres, des Martyrs, des Confesseurs,
des Vierges ” ; chaque jour, nous commençons les laudes par un psaume
royal : “ Le Seigneur est Roi ” (chacun des premiers psaumes des
différents jours de la semaine, à laudes, a été choisi parmi les psaumes
royaux). C’est ainsi que, au seuil de chaque journée, l’image du Christ Roi se
présente aux yeux de l’Eglise. Chaque jour, nous renouvelons, à Prime, notre
serment de fidélité au Roi : “ Au Roi immortel, honneur et gloire.” Bref,
l’antique liturgie voit le Christ sous l’aspect d’un roi au centre de la
basilique (= la demeure du roi) sur le trône de l’autel,
c) L’image du Christ dans la Bible.. Le Christ est
Roi, disent déjà les prophètes. David voit en lui le Roi de la paix (ps. 71),
le Prêtre-Roi qui est assis à la droite de Dieu et qui fait de ses ennemis
l’escabeau de ses pieds (ps. 109) ; nous entendons proclamer la charte de
son institution royale : “ J’ai été établi Roi sur Sion, sa montagne
sainte ” (ps. 2). Nous le voyons sous les traits d’un roi sage et
pacifique, dans le cantique nuptial, à côté de la reine, l’Église (ps. 44). Le
prophète Isaïe voit souvent en lui un roi puissant ; de même les autres
prophètes. — En annonçant sa naissance, l’ange a expressément parlé de sa
royauté : “ Dieu, le Seigneur, lui donnera le trône de son père
David ; il régnera pour l’éternité sur la maison de Jacob et son royaume
n’aura pas de fin. ” Au cours de sa vie, même quand il se soumettait aux
abaissements et aux humiliations, il avait conscience d’être Roi. Cela est très
visible dans sa Passion. C’est le thème de l’Evangile d’aujourd’hui.
Devant Pilate, en présence de la mort, il affirme : “ Je suis Roi. ”
Et c’est sûrement en vertu d’une disposition divine que le titre de la croix
était ainsi rédigé : “ Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. ” Au jour de
son ascension, il prit possession de sa royauté dans la gloire. “ Il est
assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant ”, disons-nous dans notre
profession de foi. Maintenant il est le Roi de l’univers jusqu’à la fin des
temps ; alors il reviendra avec grande puissance et majesté, Il pour juger
les vivants et les morts ”. Après le jugement dernier seulement, il rendra au
Père le souverain pouvoir ” afin que Dieu soit tout en toutes choses” (1 Cor.,
XV, 28).
3. La Fête du jour. — Les textes de l’office
qui ont été publiés permettent à l’ami de la liturgie de célébrer la fête
liturgiquement avec l’Église dans toutes ses parties. Nous allons donc examiner
déjà l’annonce solennelle de la fête, dès la veille, par les premières vêpres.
Là se dresse, pour ainsi dire, devant nous l’image du Roi : le Christ, le
Roi de paix, dont le royaume est éternel et auquel tous les rois sont soumis. —
Le soir, pendant la veillée nocturne, nous récitons et chantons en commun ou,
du moins, en union d’esprit avec l’Église universelle les Matines, la
prière dramatique de la fête. L’on a choisi dans le psautier huit psaumes royaux
qui sont encadrés par des antiennes exprimant avec beauté et clarté le mystère
de la fête. Les leçons ont été choisies, elles aussi, avec à-propos :
celles du premier nocturne (il en est de même pour l’Epître) sont tirées
de la lettre christologique de saint Paul aux Colossiens : l’universelle
royauté du Christ sur le monde et sur l’Église y est magistralement exposée. Au
second nocturne, nous entendons l’Encyclique de Pie XI exposer officiellement
l’objet et la portée de la fête. Au troisième nocturne, la lecture la plus
importante, le commentaire de l’Evangile, est faite avec beaucoup de
pénétration par saint Augustin, le célèbre Père de l’Église. Nous n’en citerons
aucun extrait puisque le lecteur peut en avoir facilement le texte complet sous
la main. Les répons qui suivent les leçons offrent tout un parterre de passages
bibliques riches de pensées et de sentiments sar la royauté du Christ (les
quatre premiers sont empruntés à l’Ancien Testament ; les quatre derniers,
au Nouveau). Dès le matin du jour de la fête, nous saluons, à laudes, dans
le soleil levant, le Divin Soleil royal “ qui nous a arrachés à la puissance
des ténèbres et nous a rendus dignes de partager le sort de ses saints dans la
lumière ”. Ainsi préparés, nous nous rendons à la Messe. Au chant de
l’Introït, le regard prophétique de saint Jean nous conduit devant le trône
du Roi céleste ; celui-ci est le Divin Agneau immolé qui nous révèle
maintenant encore sa grandeur royale et qui doit être proclamé Roi par tous. Le
psaume 71 de l’Introït chante avec enthousiasme la royauté
pacifique du Christ. Après une prière d’action de grâces pour notre
incorporation au royaume et à la famille de Dieu, l’Apôtre des nations nous
présente, dans l’Épître, le portrait du Roi sublime et tout-puissant de
ce royaume et de cette famille. Le Christ est “ l’image du Dieu
invisible ” ; “ en lui tout a été créé ”, “ il est avant toutes
choses et toutes choses subsistent en lui ”, il est “ la tête de l’Église ”, “
il devrait avoir en toutes choses la première place. ” Un portrait fouillé et
magnifique de l’HommeDieu, notre Roi, adressé par l’Apôtre à la communauté qui
lui était si chère ! Les chants psalmodiques unissent leur richesse de
pensées et de sentiments aux lectures, comme un écho de l’Épître et une première
note de l’Evangile. Le Graduel est une acclamation enthousiaste à
l’adresse du Roi (ps. 51) ; le chant de l’Alleluia y ajoute un mot
pénétrant du prophète Daniel sur le Roi immortel de l’univers. A l’Evangile,
le Christ est debout, prisonnier, devant Pilate. Le représentant officiel
de l’empereur romain qui règne sur le monde est assis à son tribunal et il pose
au Christ cette question : “ Es-tu roi ? ” “ Je le suis. ” La réponse
ne pouvait être plus précise, plus claire ni plus vraie. Elle sortait de .la
bouche de celui qui allait bientôt, en signe de suprême dérision, être couronné
d’épines et nanti d’un manteau et d’un sceptre de roi, et qui règne à jamais
sur le trône céleste comme Roi du temps et de l’éternité. — La scène que nous
venons de rappeler, extraite de l’Evangile de saint Jean, le disciple
bien aimé, n’avait été chantée jusqu’ici, au cours de l’année liturgique, que
dans la Passion du vendredi-saint. Elle est désormais utilisée comme Evangile
dans tout le monde catholique à la grande fête royale de Notre Seigneur Jésus
Christ. C’est un point culminant dans la liturgie de cette nouvelle fête
solennelle. Les deux dernières processions sont accompagnées par deux chants
royaux : le psaume 2 (Off.) et le psaume 28 (Comm.). Au
Saint Sacrifice, le Christ paraît au milieu de nous : “ Le Seigneur règne
en Roi pour l’éternité et bénit son peuple dans la paix ” (Comm.), la
communion est aujourd’hui un festin royal. — Du dimanche on ne garde
aujourd’hui que l’Evangile et les oraisons ; nous célébrerons la
messe complète du dimanche à un jour libre de la semaine qui commence.