JEUDI DE LA SECONDE SEMAINE DE CARÊME

station à sainte marie du transtévère
     
Le riche, qui refusa à Lazare un morceau de pain, dut implorer une goutte d’eau.
     
La messe d’aujourd’hui est nettement une messe de pénitents. La pensée principale est claire et précise. L’Église montre les deux voies : la voie de la vie et la voie de la mort.
     
1. Le thème des pénitents. — Transportons-nous dans l’Église primitive. Nous apercevons une troupe de pénitents, vêtus d’habits en poil de chèvre, agenouillés, pleins de repentir et de componction. Jusqu’à l’Évangile, ils sont autorisés à demeurer dans la maison de Dieu, mais ensuite ils sont renvoyés. Ils n’ont pas droit de s’asseoir à la table du Père de famille. Devant la porte de l’église, ils implorent une goutte d’eau pour rafraîchir leur langue. C’est dans ce sens que nous entendons la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, c’est ainsi également qu’il faut entendre la double image de la leçon. L’Église, dans ces deux lectures, caractérise le ciel et l’enfer dans l’autre monde et le ciel et l’enfer ici-bas.
 
Le ciel et l’enfer dans l’autre monde. — L’image du ciel, c’est Lazare dans le sein d’Abraham. L’image de l’enfer, c’est le mauvais riche dans les tourments, la langue desséchée, implorant une goutte d’eau fraîche ; c’est aussi l’arbre du désert desséché et aride.
      
Le ciel et l’enfer ici-bas. — Le ciel sur la terre, c’est la filiation divine, la vie dans le sein de l’Église avec la consolation et le rafraîchissement mystérieux des sacrements. C’est le ciel, alors même que la vie extérieure serait aussi misérable que celle du mendiant Lazare. L’enfer sur la terre, c’est d’être exclu de l’Église, séparé de la source de la vie divine. L’âme de celui qui est dans cet enfer terrestre ressemble au mauvais riche tourmenté par la soif, à l’arbre desséché du désert. — C’est l’état actuel des pénitents.
      
L’Église chante les antiennes suivantes au commencement et à la fin du jour :
“ Songe, mon fils, que tu as eu du bonheur dans ta vie, mais que Lazare n’a eu que du malheur ” (Ant. Ben.).
“ Ce riche implorait une goutte d’eau, lui qui avait refusé à Lazare un morceau de pain” (Ant. Magn.).
Nous allons vivre, aujourd’hui, la parabole du mauvais riche. Remarquons que la liturgie dirige surtout nos pensées vers le mauvais riche. Dès le matin, il nous semble que nous sommes le mauvais riche dans l’enfer et que nous entendons les douces paroles de reproche du Christ. Le soir, on nous montre la dureté impitoyable du mauvais riche, mais, en même temps, son terrible châtiment. Ce passage nous présente une belle antithèse, comme le remarque le pape saint Grégoire dans son livre de Morale (1 Mor. l, 18, c. 19 et 30).
      
2. Thème de la station. — L’église de station, Sainte-Marie au-delà du Tibre, une des plus anciennes églises mariales de Rome, se trouvait dans le grand quartier juif de l’antique Rome. C’est cette circonstance qui a déterminé le choix de l’Évangile du mauvais riche et du pauvre Lazare. Dans l’Église primitive, on voyait volontiers dans le mauvais riche l’image du peuple juif, alors que le pauvre Lazare était le symbole du peuple chrétien formé de petites gens. Saint Grégoire donne la même interprétation dans l’homélie d’aujourd’hui. “ Que représente, mes frères, ce riche vêtu de pourpre et de soie... si ce n’est le peuple juif qui s’adonna au soin extérieur de la vie terrestre ?... Et que signifie le pauvre Lazare tout couvert d’ulcères, sinon le peuple des païens ? “ Les blessures purulentes signifient la confession des péchés. “ En confessant nos péchés, que faisons-nous autre chose que de découvrir le mal qui est en nous ? “
      
3. La messe (Deus in adjutorium). — Le psaume d’Introït (69) se récite, encore aujourd’hui, à la fin des litanies des saints. C’est donc la véritable conclusion d’une procession de station et, en même temps, une belle transition du monde pécheur au sanctuaire. Nous nous sentons, comme le pauvre Lazare, à la porte d’entrée du vrai et bon riche : le Christ. L’oraison demande que le jeûne et la prière triomphent des ennemis de l’âme et du corps. Les deux lectures forment un parallèle voulu, et nous montrent les deux camps : le bien et le mal. Dans la leçon nous entendons Jérémie, le prédicateur du Carême : “ Maudit soit le méchant qui met sa confiance dans le monde, il ressemble à l’arbre aride du désert ; béni soit le bon, il ressemble à l’arbre vert, planté sur les bords du ruisseau. ” L’image de l’arbre est une image très aimée. Sur les anciennes mosaïques, l’olivier et le palmier symbolisent les enfants de Dieu ; les textes liturgiques comparent souvent le juste au palmier, au cèdre, à l’olivier. Le Prophète gémit sur le cœur pervers et inconnaissable de l’homme. Mais ce cœur impénétrable, quelqu’un le pénètre, un seul, celui qui sonde les reins et les cœurs. Le Graduel est l’écho de la leçon : “ Aie pitié, ô Dieu 1” L’Évangile nous présente la même image dans la magnifique parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare. Cet Évangile peut nous enseigner beaucoup de choses : 1. La véritable valeur du malheur et du bonheur terrestres. N’est-ce pas précisément le bonheur et le malheur qui constituent pour beaucoup un terrible écueil ? Nous devons nous rendre compte de ceci : une vie remplie de joie terrestre, de richesse et de jouissance, quelle que soit sa durée et l’abondance de ses plaisirs, n’est qu’un bonheur apparent, si elle doit être suivie de l’enfer éternel ; une vie chargée de privations, de souffrances, de maladies, d’humiliations, est une vie heureuse, si elle conduit à l’éternel bonheur. Deux classes d’hommes, surtout, ont besoin de la protection de la foi : les fortunés et les infortunés du monde. (“ Ne me donne pas la richesse, ni la pauvreté, donne-moi juste autant qu’il me faut ”). Les premiers chrétiens ne pensaient pas comme les hommes d’aujourd’hui. Ils vivaient dans l’au-delà, ils étaient des étrangers, leur patrie était dans le ciel. Le martyre était la conclusion désirée d’une vie de privations. 2. Celui qui n’emploie pas les moyens ordinaires de la foi et de la piété n’a pas à espérer de conversion ; il ne doit pas attendre que Dieu fasse un miracle en sa faveur. “ Ils ne croient pas l’Église ; ils ne croiront pas, même si quelqu’un ressuscite des morts. ” 3. L’Église nous fait jeter un regard sur le triste séjour de l’enfer. Il y a un enfer et il nous menace tous, il me menace, il vous menace. Terrible vérité ! Le Christ ne veut pas nous effrayer, mais nous avertir. L’Offertoire n’est pas un psaume, mais une prière (comme lundi et mercredi, dans la leçon). Ici, Moïse est l’image du Christ ; Moïse prie pour le peuple infidèle et Dieu se laisse apaiser. Cela se réalise au Saint-Sacrifice : Dieu se laisse toujours apaiser par l’offrande présente de son Fils. A la communion, nous nous rappelons que c’est aujourd’hui le jour de l’institution de l’Eucharistie. Quelle consolation de réciter le psaume 691 “ Je suis indigent et pauvre ”, “ il demeure avec moi et moi en lui ” (même dans la tentation, toute la vie). La demande du pauvre Lazare est surabondamment exaucée. L’oraison sur le peuple est une belle prière de Carême : Que Dieu créateur et conducteur renouvelle, dans le temps de Carême, le bien de la foi et de la vertu, péniblement acquis au cours de notre vie précédente ; qu’il le renouvelle, mais aussi qu’il le conserve ; que notre travail de conversion soit une œuvre permanente !