JEUDI APRES LE MERCREDI DES CENDRES

Station à Saint Georges
     
Triomphons du dragon.
     
Le Christ nous a enrôlés, hier, dans l’armée chrétienne ; aujourd’hui, l’Église veut nous inspirer du courage en nous faisant parcourir une galerie de héros.
     
1. La galerie de héros. — a) Le premier héros est le chevalier saint Georges, dans l’église duquel a lieu l’office de station. Cette église est une des plus récentes églises de station : elle fut fondée par saint Léon Il (682-683). Le pape saint Zacharie (741-752) fit transporter, dans cette église, le chef du martyr saint Georges qu’il avait découvert au Latran. Le texte de la messe s’inspire entièrement de la station. Au point central, se tient le chevalier Saint Georges, le vainqueur du dragon. C’est un magnifique symbole du travail du Carême : le Christ s’avance au combat contre les ténèbres, il lui faut combattre le dragon infernal et il doit lui écraser la tête. C’est aussi le devoir du Christ mystique de l’Église. Les catéchumènes, les pénitents, les fidèles doivent combattre le dragon. C’est mon devoir à moi aussi, c’est mon travail de Carême ; je dois conquérir un peu de terre sainte en l’arrachant à la terre ennemie. Puissions-nous nous rappeler souvent que nous sommes les soldats de Dieu. Aujourd’hui, nous combattons sous les drapeaux et sous la conduite du chevalier saint Georges.
     
b) Le second héros est le roi Ézéchias, un des meilleurs rois juifs. C’est déjà quelque chose que de pouvoir se présenter devant Dieu et dire : je marche dans la vérité et d’une manière parfaite, avec un cœur pur. Quand ce roi pleure si amèrement à la pensée de quitter la vie, il ne faut pas trop lui en vouloir, car les Juifs ne connaissaient pas encore l’éternité bienheureuse. L’Église ne veut d’ailleurs pas le proposer à notre imitation ; son intention est de nous montrer, dans sa maladie corporelle, une image de la maladie spirituelle du pénitent. Nous devons, nous aussi, pleurer sur la santé perdue de notre âme et implorer la guérison. La victoire d’Ézéchias est une victoire de la prière. Il nous indique, comme arme spéciale, la prière. Or, durant le temps de Carême, nous devons faire usage de cette arme avec ardeur et persévérance.
     
c) Le troisième héros est le centurion de Capharnaüm. Il nous est incomparablement plus sympathique. Il est le porte-bannière des Gentils ; ses vertus sont pour nous un modèle merveilleux : sa charité pour ses esclaves, son humilité envers le Christ, sa foi, son sens du devoir. Le Sauveur voit même en lui le conducteur de l’Église des Gentils. Sa victoire est une victoire de l’humilité. Il a véritablement “ rejeté sur le Seigneur le souci “ de son serviteur et il a été exaucé. Or que veut nous enseigner la liturgie ? Ce que le centurion a fait pour son serviteur, faisons-le pour notre âme. — La liturgie lui consacre, dans le bréviaire, un répons spécial ; c’est un cas exceptionnel qui ne se reproduit que trois fois dans tout le Carême. Ce répons est très dramatique ; il contient trois discours directs : la prière du centurion, la réponse du Christ, la parole d’humilité du centurion :
“ Seigneur, mon serviteur est couché, paralysé, et souffre beaucoup “ — “ En vérité, je te le dis, j’irai et je le guérirai “ — “ Seigneur, je ne suis pas digne que tu viennes sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. “
d) Le quatrième héros est le Roi de tous les héros, le Christ. Pendant le Carême, nous nous armons pour prendre part à sa grande victoire pascale ; aussi nous assistons chaque jour au Saint-Sacrifice qui est la représentation de son combat héroïque sur le Golgotha. Sa victoire renferme celle dès trois héros ; bien plus, dans sa victoire, se trouve compris aussi le combat de Carême de toute l’Église et de tous les chrétiens. Unissons-nous à lui et puisons, dans le prix de sa victoire, le courage et la force.
    
2. La messe (Dum clamarem). — La messe comprend deux motifs : celui de la station et celui de la pénitence. Dans l’Introït, le chevalier saint Georges s’adresse à chacun de nous, personnellement ; il nous raconte sa victoire sur le dragon ; ce fut une victoire de la prière. Dieu, l’éternel et l’immuable, a abaissé ses ennemis. C’est pourquoi il se tourne vers nous et nous dit : faites de même, jetez vos soucis sur le Seigneur. Ces paroles doivent s’entendre précisément des soucis angoissants, dans le sens du Sermon sur la montagne ; il faut plutôt comprendre, ici, que notre travail de Carême n’est pas un travail humain, mais un travail divin. Dieu nous “ nourrira “ ; ici, la liturgie pense sans doute à l’Eucharistie. Tout le psaume 54 nous fait jeter un regard sur les combats spirituels des catéchumènes, des pénitents et des chrétiens ; sans doute aussi sur ceux du Christ. La liturgie met alors sous nos yeux un triptyque : au milieu, nous voyons saint Georges ; à gauche et à droite, deux figures bibliques chevaleresques : le roi Ézéchias et le centurion païen de , Capharnaüm. Tous les deux ont remporté une victoire de la prière ; le premier, pour sa propre vie le second, pour celle de son serviteur. Le Graduel reprend les pensées de l’Introït et nous exhorte à la confiance en Dieu qui nous exauce comme il a exaucé Ézéchias.
     
Remarquons cependant que la messe s’adresse surtout aux pénitents. Elle est une consolation pour eux ; elle leur crie : combattez comme saint Georges, priez comme Ézéchias, humiliez-vous comme le centurion ; alors viendra la victoire pascale : vous serez exaucés et relevés. Les pénitents ont perdu la vie divine ; maintenant, ils pleurent comme Ézéchias : “ Il pleura abondamment “ ; ils se tiennent devant la porte de l’église et disent : Seigneur, je ne suis pas digne d’entrer sous ton toit. (Quand nous récitons ces paroles avant fi la communion, mettons-nous à la place des pénitents, comme nous l’avons fait hier en recevant les cendres). Nous comprenons à présent pourquoi cette messe contient des prières instantes de pénitence : l’oraison qui est devenue l’oraison classique de la pénitence,. l’oraison finale sur le peuple (“ Épargne, Seigneur, épargne ton peuple ”), ainsi que l’antienne de communion qui est le psaume de pénitence 50. C’est avec les sentiments d’humilité du centurion et la contrition du pénitent que nous approchons aujourd’hui de la Table sainte. L’offertoire, avec le psaume d’Avent 24, est rempli de graves sentiments de pénitence[1].
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[1] Les jeudis, du temps de Saint Grégoire le Grand, étaient encore dépourvus de liturgie, c’est pourquoi la communion de ces jeudis ne rentre pas dans la succession des psaumes.