HUITIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Enfants de lumière.
           
1. La messe (Suscepimus). — Le dimanche est un jour pascal, le jour du Seigneur. C’est avec cette impression que nous entrons dans le “ temple” (Intr.).
         
Nous voyons devant nous la “ Majesté du Seigneur ”, le Seigneur rayonnant de gloire ; nous nous rappelons avec reconnaissance la grâce pascale, Il la miséricorde” ; nous louons la “ grandeur du Seigneur” dans la “ ville de Dieu ”, sur la “ montagne” mystique de l’autel. L’Introït est donc une fois encore une véritable “ entrée ” dans le drame de la messe. L’oraison est entièrement dans la ligne des pensées principales. Elle nous montre, dans la rectitude de la foi et de l’action, la vie des enfants de Dieu. Elle nous fait avouer notre incapacité personnelle et nous propose, comme but, la vie selon la volonté de Dieu. C’est une oraison suggestive et pleine de pensées. Saint Paul est notre prédicateur dans l’Épître. Le chapitre VIII est le point culminant de l’Épître aux Romains. Il y traite de la transformation de notre âme par le Saint-Esprit. Il montre cette transformation en opposant l’homme charnel et l’homme spirituel. L’homme charnel est celui qui est attaché aux biens d’ici-bas, dont toutes les tendances sont dirigées vers ce qui est terrestre — l’intendant infidèle est un homme charnel. Le chrétien, par contre, est un homme spirituel ; le Saint-Esprit demeure en lui et le guide. Celui en qui habite le Saint-Esprit est enfant et héritier de Dieu, frère et co-héritier du Christ. La vie divine exige donc d’abord la mort de l’homme charnel en nous ; c’est alors la vie sous la conduite du Saint-Esprit. C’est là encore un joyeux message qui doit retentir à nos oreilles pendant toute la semaine. Les quelques phrases de l’Épître résument toute notre grandeur, toute notre richesse : le Saint-Esprit demeure en nous Dieu est notre Père, le Christ est notre frère, le ciel et sa béatitude sont notre héritage. Que pouvons-nous désirer de plus ? — Au Graduel, nous mettons toute notre confiance dans le Christ. Le verset de l’Alleluia nous présente encore une véritable image pascale : le Seigneur ressuscité et glorifié. L’Évangile (la parabole de l’intendant infidèle) présente des difficultés aux exégètes. Il faut avoir devant les yeux le point de comparaison. Le Christ loue l’intendant infidèle non pas de sa fraude, mais de sa prudence et de l’activité qu’il met à assurer son avenir terrestre. Cette activité des enfants du monde (l’intendant infidèle est le type des enfants du monde) dans leurs plans terrestres doit nous servir de modèle quand il s’agit pour nous d’atteindre notre fin éternelle. Nous portons en nous des forces puissantes que nous devons employer pour l’éternité. Imitons la prudence des enfants du siècle. — Comme pour faire écho à l’avant-messe, nous mettons encore une fois face à face les deux images opposées : le Seigneur exauce le peuple qui s’humilie — et il abaisse les yeux orgueilleux (Offert.). C’est avec ces pensées d’humilité que nous nous rendons à l’Offrande. La secrète, par exception, est assez longue. Que doit être la messe pour nous ? Elle doit sanctifier notre conduite actuelle et nous guider vers les joies éternelles. — L’antienne de communion est un morceau vénérable. Dans les premiers siècles, les fidèles, en se rendant à la table sainte, chantaient toujours le psaume 33. Ce psaume avait été choisi à cause du verset : Goûtez et voyez comme le Seigneur est doux... (En grec, doux se dit chrestos, qui se prononce comme Christos, Christ. D’où le jeu de mot qui permettait de donner au verset le sens suivant : “ Voyez que c’est le Christ (Chrestos), le Seigneur ! ”). Nous demandons encore une fois le “ renouvellement du corps et de l’âme ” (Postc.) afin que, cessant d’être des hommes charnels, nous devenions des hommes spirituels. 
             
2. Les chants. — Les chants psalmodiques ne prennent vie et ne deviennent pleinement intelligibles que lorsqu’ils sont mis en liaison avec l’action qui les accompagne. Quand retentit l’Introït, le prêtre fait son entrée, revêtu de ses ornements de fête, accompagné des acolytes ; il traverse l’Église pour se rendre à l’autel Il est le symbole du “ Seigneur très grand ” qui entre “ dans la ville de notre Dieu” (l’Église), s’avance vers “ sa sainte montagne ” (l’autel) et nous fait “ recevoir sa miséricorde” (la grâce du sacrifice). Quelle puissante impression ne fait pas alors l’Introït, qui ne serait, autrement, qu’un assemblage de versets inintelligibles ! — Comme nous distinguons ensuite nettement les deux chants intermédiaires ! Le Graduel est une supplication ardente et pleine de confiance (Le ps. 30 fut la prière du Christ mourant). Dans le symbolisme liturgique, le Graduel est une prière sans joie, un écho de l’Épître. Quant au verset de l’Alleluia, il annonce de nouveau le “ Seigneur très grand ” alors que le diacre se rend processionnellement à l’ambon pour chanter l’Évangile. Le diacre et l’Évangile symbolisent l’apparition du Christ et cela nous fait mieux comprendre le verset de l’Alleluia. Enfin, au moment de la communion, les fidèles s’avancent en longues rangées vers la table sainte pendant que le chœur chante le ps. 33, le cantique de communion de la primitive Église, et que la communauté tout entière répète après chaque verset l’antienne : “ Goûtez et voyez comme le Seigneur est doux ”, Cette antienne, répétée peut-être dix ou quinze fois par la communauté, fait une profonde impression. Cela me semble de plus en plus évident, nous ne comprendrons bien le missel que lorsque nous en viendrons à la participation active du peuple à la célébration de la messe. 
           
3. Le pont d’or. — La liturgie traite trois grands thèmes pendant les dimanches après la Pentecôte. Le premier est la grâce baptismale ; nous sommes des baptisés et nous devons renouveler sans cesse la grâce du baptême ; chaque dimanche est un jour de baptême, une petite fête de Pâques. Le second thème occupe l’Église dans les derniers dimanches après la Pentecôte : c’est la préparation au retour du Seigneur. Le troisième thème se trouve précisément au stade actuel de l’évolution, c’est-à-dire au milieu du temps après la Pentecôte. Nous pouvons le désigner brièvement ainsi : le combat des deux mondes, Nous sommes établis dans le royaume de Dieu, mais nous sommes toujours combattus par le royaume du monde. Dans notre âme le triste héritage d’Adam continue son action dans notre nature corrompue. Nous hésitons, tant que nous sommes vivants, entre les deux royaumes. 
             
Ces trois thèmes caractérisent assez bien toute la vie chrétienne et nous montrent le chrétien réel. Au baptême, il a reçu un précieux trésor. L’Épître d’aujourd’hui nous l’indique en peu de mots : nous sommes les enfants de Dieu ; nous avons le droit d’appeler Dieu notre Père ; le Saint-Esprit a fait de nous ses temples et nous sommes les cohéritiers et les frères de Jésus-Christ. Cependant, le baptême ne nous pas fait entrer dans un pays de cocagne où nous pourrions vivre sans peine ni souci. Non ; l’Église nous envoi dans la vie rude, elle nous envoie au combat. Il nous faut défendre la terre sainte de notre âme contre l’ennemi, il nous faut apprendre à connaître l’ennemi pour le vaincre. Ce combat dure toute la vie. Notre Mère l’Église est, pour ainsi dire, notre maîtresse d’armes qui nous apprend les règles du combat ; elle est en même temps notre forteresse et notre bouclier dans le combat contre la nature inférieure. La messe du dimanche nous donne la force qui vient à notre secours dans les combats de la vie ; cette force nous délivre des embûches de l’ennemi, nous rend courage et persévérance dans le combat. Que produit, en effet, la messe ? Elle nous encourage au combat en nous faisant entendre la parole de Dieu dans l’avant-messe ; elle nous confère la force même de Dieu dans le sacrifice proprement dit. Nous ne sommes, par nous-mêmes, que de pauvres créatures et nous ne pourrions pas soutenir le combat. Mais, au Saint-Sacrifice, un autre combat pour nous, et le plus fort (le Christ) est vainqueur du fort. Tel est le sens du sacrifice de la messe : nous nous unissons au divin héros, au Christ ; sa victoire est notre victoire, son triomphe est notre triomphe. Telle est la force merveilleuse qui nous rend invincibles. 
          
Alors, nous sommes mûrs pour entrer dans la suite du divin héros, du divin Roi, Jésus-Christ. Pendant les derniers dimanches après la Pentecôte, l’Église nous fait contempler avec espérance et désir notre fin dernière. Tel est le pont d’or qui étend ses arches au-dessus de notre vie.