DOUZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Le Christ, le bon Samaritain et le Moïse glorifié.
               
Pendant la semaine qui commence, nous serons accompagnés par l’image du bon Samaritain. Le bon Samaritain, c’est le Christ qui panse les plaies de l’Église. Nous méditerons aussi, pendant cette semaine. le commandement principal du Christ, l’amour de Dieu et du prochain. Ce sera donc la semaine de la charité. Les antiennes directrices du commencement et de la fin du jour nous font chanter des parties de l’Évangile. Ce que nous chantons, nous devons en pénétrer notre coeur et notre esprit. Le matin, la Sagesse éternelle répond à notre question sur la perfection : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, Alleluia ”. Le soir. nous entendons le commencement de la belle parabole. “ Un homme s’en allait de Jérusalem à Jéricho et il tomba sur des voleurs ; ceux-ci le dépouillèrent, le couvrirent de blessures, le laissèrent à demi-mort et s’en allèrent ”.
              
1. La messe (Deus in adjutorium). — Cette messe est loin d’être traversée par la jubilation pascale comme celle de dimanche dernier. C’est l’humanité assoiffée de Rédemption qui se présente suppliante dans le sanctuaire. L’Introït est depuis des siècles un cri de détresse (c’est par ces mots que commencent toutes les Heures ; le psaume entier est récité après les litanies des saints : “ Pour moi, je suis un indigent et un pauvre... ”) Nous récitons cette prière pour nous, mais aussi au nom de l’humanité non rachetée. L’Église nous fait étendre les main : ; pour l’oraison. Nous demandons de “ courir vers les biens promis, sans broncher”. Les deux lectures, ainsi que l’antienne de l’Offertoire, ont de commun qu’elles comparent l’Ancien Testament au Nouveau et qu’elles mettent le Nouveau bien au-dessus de l’Ancien. L’Epître, dans son sens littéral, est un peu difficile. Dans son interprétation liturgique, elle indique la gloire du nouveau Moïse, Jésus-Christ, qui, dans l’éclat de sa Résurrection, paraît maintenant au Saint-Sacrifice ; elle indique aussi la gloire du royaume de Dieu que nous ouvre l’Église et que le Saint-Esprit fonde dans notre âme. De nous-mêmes, nous sommes de pauvres créatures ; mais “ notre capacité vient de Dieu ”, du Christ. L’esprit, c’est-à-dire l’Esprit-Saint, vivifie. Après la messe du dimanche, nous devrions retourner à nos travaux quotidiens comme des enfants de Dieu, brillants et transfigurés. Dans le Graduel, nous remercions profondément le Seigneur pour la gloire que nous avons reçue. Le verset de l’Alleluia produit une impression toute particulière : C’est un chant de profonde tristesse qu’éclaire cependant l’Alleluia (le psaume, dans son entier, est le plus triste du psautier). Nous songeons à l’Église qui, dans la souffrance, attend sa résurrection. Peut-être que notre âme doit chanter, elle aussi, un tel Alleluia ! L’Évangile nous dédommage de l’Épître un peu difficile à comprendre. Il est riche de pensées. Nous sommes plus heureux que les Prophètes et les rois de l’Ancienne Alliance. Nous pouvons, aujourd’hui encore, voir dans le Saint-Sacrifice le renouvellement de l’œuvre de la RédemptIon. Nous voyons et nous entendons (cf. dimanche dernier : Ephpheta). Le bon Samaritain se tient devant nous. La parabole est devenue une vérité par sa vie de Rédempteur ; elle se réalise dans notre vie ; elle se réalise dans la messe d’aujourd’hui. Nous sommes rassemblés dans une véritable “ maison commune ”. Le bon Samaritain verse l’huile et le vin (sacrements et Eucharistie) sur nos blessures. Aujourd’hui, dans le Saint-Sacrifice, nous voyons le Sauveur qui, sur la Croix, a payé pour nous la“ rançon”, les “ frais de maladie ”. A l’Offertoire, nous voyons Moïse, l’intercesseur — une image du Christ sur la Croix. — La Secrète et la Postcommunion, conformément au caractère expiatoire de la messe, implorent l’indulgence et le pardon. L’antienne de la Communion est un beau texte de psaume qui évoque l’Eucharistie et fait songer en même temps à la moisson dans les champs. — Les trois pièces principales de la messe sont l’Épître, l’Évangile et l’Offertoire. Ces textes nous donnent une explication profonde de la messe : Le Christ est le Moïse intercesseur et en même temps le bon Samaritain ; il prie pour les hommes pécheurs, il les guérit des blessures de l’âme et les remplit de l’éclat de sa gloire.
            
2. L’Offertoire, dans son extension. — L’Offertoire d’aujourd’hui n’est qu’un verset de psaume. Ce — n’est qu’une petite partie du chant que l’Église faisait chanter aux fidèles pendant la procession de l’Offrande. Comme l’Offrande de toute la communauté durait assez longtemps, il fallait d’ordinaire chanter une grande partie d’un psaume. Mais peu à peu l’Offrande tomba en désuétude et on ne chanta plus que quelques versets. On trouve ces versets étendus de l’Offertoire dans les antiques antiphonaires. Finalement, on ne garda que le verset d’Offertoire qui se trouve dans le missel actuel. Les versets, dans toute leur extension, sont souvent importants pour l’intelligence de toute la messe. Qu’on observe dans ces versets ce qu’on appelle la repetenda (le refrain). La repetenda indique souvent sur quelle pensée il faut insister. Voici l’Offertoire développé de la messe d’aujourd’hui :
“ Moïse pria devant la face du Seigneur son Dieu et dit : Pourquoi, Seigneur, t’irrites-tu contre ton peuple ? Ménage la colère de ton âme. Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et de Jacob auxquels tu as promis de donner la terre où coulent le lait et le miel.
Et le Seigneur se laissa apaiser et détourner de faire le mal dont il avait menacé son peuple.
Le Seigneur dit à Moïse : Tu as trouvé grâce devant mes yeux. Je te connais avant tous. Et Moise se baissa rapidement vers la terre et dit : Je sais que tu es miséricordieux entre mille et que tu enlèves l’injustice et les péchés.
Et le Seigneur se laissa apaiser et détourner de faire le mal dont il avait menacé son peuple.
Et Moïse et Aaron dirent à toute l’Assemblée des enfants d’Israël : Présentez-vous devant Dieu. La Majesté du Seigneur est apparue dans les nuées et a entendu vos murmures en temps voulu.
Et le Seigneur se laissa apaiser et détourner de faire le mal dont il avait menacé son peuple ”.
Nous remarquerons que ce chant, dans son extension complète, prend un caractère dramatique et un sens plus profond. Moïse est la figure du Christ dans son sacrifice de propitiation.
               
3. La signification de la messe et son efficacité nous sont enseignées, de la manière la plus parfaite, dans le texte même de la messe. C’est dans ce texte que notre Mère l’Église a déposé ses pensées les plus profondes concernant la messe. Nous savons que le principal souci de l’Église, c’est que nous puissions bien comprendre et bien célébrer la sainte messe. A la messe, le flot de la grâce coule sans interruption et est dirigé vers notre âme afin qu’il jaillisse jusqu’à la vie éternelle. La Rédemption, qui a commencé au baptême comme un germe fécond, se perfectionne et s’achève par l’Eucharistie. N’allons pas croire que dans le baptême nous avons déjà tout reçu, que par le baptême nous sommes devenus des chrétiens complets. Dans le baptême, l’arbre de la vie surnaturelle est planté, mais, s’il grandit, s’il porte des fleurs et des fruits, c’est grâce au deuxième grand sacrement, à l’Eucharistie. Le baptême et l’Eucharistie sont les deux grandes sources de la vie divine qui nous communiquent les fruits de la Rédemption. Apprenons de la messe d’aujourd’hui ce que nous apporte le Saint Sacrifice. Examinons les trois images principales.
             
Première image. – L’Evangile nous raconte ce belle et inoubliable parabole du bon Samaritain. Le Christ voulait nous enseigner l’amour du prochain. Mais l’Église utilise cette parabole pour nous montrer l’action du Christ à la messe. L’homme tombé sous les coups des brigands, c’est la pauvre nature humaine. Privée des biens surnaturels, affaiblie dans les biens naturels, elle gît misérablement. La loi juive se présente à l’humanité, mais ne peut lui procurer la guérison. Alors vient le bon Samaritain, Jésus-Christ, revêtu du manteau de l’humilité ; il recueille le pauvre blessé, verse de l’huile et du vin sur ses plaies, le conduit à l’hôtellerie et prend soin de lui. C’est là l’œuvre de la Rédemption. C’est aussi celle de la messe. Considérons moins l’humanité que nous-mêmes. Depuis le baptême, le bon Samaritain se présente à chaque messe et nous recueille. Notre nature est toujours encline au mal ; nous avons toujours des blessures saignantes, nous gisons sans force, incapables, seuls, de “ courir vers les biens promis” (Or.). Dans l’Eucharistie, le bon Samaritain verse l’huile et le vin sur nos blessures ; l’huile est la douceur, le vin est la force de la doctrine chrétienne. Il bande nos plaies et prend soin de nous. Soyons-en assurés : à la messe, les blessures de notre âme sont guéries. La parabole du bon Samaritain est une belle image de l’efficacité de la messe.
            
Seconde image. — L’Évangile, d’une manière négative, et Epître, d’une manière positive, décrivent encore l’action de la messe. Epître compare l’Ancien Testament et le Nouveau. Dans l’Ancien règne la lettre, dans le Nouveau l’esprit. Saint Paul nous dit : Le visage de Moïse, après son entretien avec Dieu, était si brillant que les enfant ! ! d’Israël. ne pouvaient le regarder en face. Saint Paul tire cette conclusion : puisque le Nouveau Testament est plus parfait que l’Ancien, combien doit être plus brillant le visage du Christ qu’il nous est permis de contempler à la messe ! Combien doit être plus brillant le visage de l’enfant de Dieu après son entretien avec le Christ à la messe ! C’est l’effet de l’Eucharistie de nous illuminer. Sans doute, tant que nous vivons sur la terre, cette transfiguration est cachée, voilée. Mais cette transfiguration existe et nous ne pourrions pas soutenir la vue d’une âme illuminée des clartés de la grâce. Soyonsen persuadés, nous retournons de la messe à notre œuvre quotidienne avec un visage rayonnant, une âme rayonnante.
          
Troisième image. — La messe nous présente encore une troisième image à l’Offertoire. Moïse intercède pour les enfants d’Israël. Pendant que, sur le mont Sinaï, il s’entretenait avec Dieu, les Israélites, dans la plaine, se fabriquaient un veau d’or et l’adoraient. Dieu veut rompre l’alliance avec le peuple juif. Mais Moïse prie pour le peuple infidèle, et Dieu se laisse fléchir. Que signifie cela ? Moïse est la figure du Christ qui intercède sans cesse pour nous et nous réconcilie avec son Père. Chaque messe est la représentation du sacrifice de la Croix, et à chaque messe se réalise cette parole : “ Le Seigneur se laisse apaiser et remet le châtiment dont il menaçait son peuple ”

Ainsi, les trois images nous éclairent sur les effets du Saint-Sacrifice de la messe. Le bon Samaritain guérit les blessures de notre âme. Nous contemplons le visage transfiguré du Christ et nous participons à cet éclat de gloire. Dieu se laisse apaiser par l’intercession du divin Moïse.