DIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

L’âme du publicain dans la maison de Dieu.
                  
Dimanche dernier était grave et sombre. L’Église a entr’ouvert la porte de l’enfer et nous a fait jeter un coup d’œil sur ce lieu de tourment. Elle nous a montré le Seigneur pleurant sur Jérusalem ; elle nous a fait voir aussi l’âme humaine pécheresse. Aujourd’hui, notre Mère nous apporte la consolation. Elle nous montre comment Dieu accueille avec miséricorde cette pauvre âme quand elle se repent humblement et revient à lui.
            
1. La messe (Cum clamarem). — L’Introït est particulièrement triste. Le psaume 54 est un des psaumes de prière les plus désolés. C’est ce psaume qui contient la prédiction de la trahison de Judas. Ces sombres accents du psaume s’éclairent par la parole consolante de notre Mère l’Église dans l’antienne. L’Église a l’expérience des siècles. Songeons à tous les pays où l’on persécute la religion. Quelle n’est pas la supplication angoissée des chrétiens de ces pays ! Ils s’écrient, eux aussi : “ Écoute ma prière, Seigneur, ne me repousse pas... ” L’Église tranquillise les chrétiens : Dieu se penchera vers vous, lui qui vit éternellement ; jetez vos soucis sur le Seigneur ! — L’Église se représente le Christ comme le Roi assis sur le trône éternel ; il “ nourrira” les enfants des hommes. — L’oraison dit : Dieu manifeste sa toute-puissance surtout par le pardon et la miséricorde. L’oraison est une illustration de la prière du publicain. — L’Epitre nous décrit la vie commune de la primitive Église à Corinthe. C’est d’une manière merveilleuse que l’Esprit-Saint dirigeait alors l’Église. Chacun avait un don de grâce spécial. Personne n’a le droit de s’exalter ; tous forment un grand corps ; chaque chrétien est membre de ce corps avec une tâche déterminée. Si nous nous appliquons ces paroles, nous dirons : chacun a sa vocation dans l’Église comme dans la vie. Voyons dans cette vocation notre service de membre du corps mystique du Christ ; cette vocation alors sera grande. — Graduel. Nous sommes venus à l’Église. Or Dieu nous couvre de ses ailes pour nous protéger ; nous sommes chers au Seigneur, comme la prunelle de son oeil. — Le grand enseignement de l’Évangile est renfermé dans ces deux mots : humilité — orgueil. Nous sommes des enfants de Dieu quand nous sommes petits devant Dieu, devant les hommes et devant nous-mêmes. Nous sommes des enfants de l’enfer si nous sommes orgueilleux et fiers. Au Saint-Sacrifice se renouvelle la parabole. Nous sommes entrés à l’Église comme d’humbles publicains ; pendant la prière graduelle, nous nous sommes frappé la poitrine ; nous avons crié miséricorde, au Kyrie : nous avons fait notre pèlerinage vers Sion (Ali.). Maintenant nous recevons du Seigneur la bienheureuse assurance du pardon. L’Offertoire est une prière d’Avent : elle respire l’accablement et l’ardent désir. LaCommunion est d’une grande beauté. Pendant que les fidèles s’approchent de la table sainte, on chante le psaume 50, le psaume de penitence. Le drame de la parabole du publicain s’achève ici. Le choeur chante avec confiance le Miserere, et le publicain reçoit à la table sainte le gage de la rémission des péchés. Ite missa est — “ il descendit justifié dans sa maison ”.
            
2. L’âme du publicain en nous. — Pendant ces derniers dimanches, l’Église s’est plue à représenter la vie chrétienne sous l’aspect d’antithèses. Rappelons nous : nous avons vu l’esclave du péché et l’esclave de Dieu, l’homme spirituel et l’homme charnel, le bon arbre et le mauvais arbre, les enfants de lumière et les enfants du monde. Nous nous trouvons aujourd’hui encore en face d’une pareille antithèse : la parabole si vivante de l’humble publicain et de l’orgueilleux pharisien. Assurément, l’Église notre Mère ne nous laisse pas le choix entre ces images opposées. Non ; nous nous sommes déjà prononcés pour le Christ au moment de notre baptême. Mais, quand nous regardons jusqu’au fond de notre cœur, nous découvrons qu’il y a toujours deux âmes en nous, l’âme inférieure qui veut nous entraîner en bas, et l’âme supérieure qui tend vers Dieu, l’âme païenne et l’âme chrétienne. Ces deux âmes se disputent la possession de notre coeur. La tâche de notre vie est de vaincre de plus en plus notre âme païenne et d’établir la puissance exclusive de notre âme chrétienne. Aujourd’hui, l’Église porte la lumière dans notre intérieur et nous fait découvrir l’âme petite et humble du publicain d’une part et, d’autre part, l’âme orgueilleuse et fière du pharisien. Elle s’unit avec l’âme du publicain et la conduit à la maison de Dieu. Apprenons à connaître davantage ces deux âmes que nous portons en nous.
            
L’âme inférieure est naturellement indépendante, fière, rebelle ; elle veut être son propre dieu. L’orgueil est un triste héritage qui lui vient de notre premier père. Il lui vient aussi de Lucifer qui osa crier à Dieu : “ Je ne servirai pas ”. “ Je veux élever mon trône au-dessus du trône du Très-Haut ”. Satan insinua à Adam : “ Vous serez, comme Dieu, connaissant le bien et le mal ”. L’orgueil est le masque du royaume infernal. Alors est venu sur la terre le second Adam, le Christ, revêtu du manteau de l’humilité. Son oeuvre rédemptrice est un grand acte d’humilité. Saint Paul le dit magnifiquement : “ Il s’est dépouillé lui-même, il a pris l’aspect d’un esclave... il a été obéissant jusqu’à la mort, jusqu’à la mort de la Croix” (Phil. II, 7 sq.). L’humilité est la grande loi fondamentale du royaume de Dieu. Chaque soir, l’Église formule cette loi dans son cantique d’action de grâces pour la Rédemption (Magnificat), en empruntant les paroles de la Mère de Dieu. “ Il fait descendre de leur trône les puissants et il exalte les humbles... ”
              
Or l’Église prend aujourd’hui par la main cette âme petite et humble ; elle la conduit au Saint-Sacrifice de la Messe et lui donne le gage de la rémission des ? : péchés. Comment nous rendons-nous à l’église ? L’âme du publicain monte au temple (c’est aujourd’hui l’église). Elle s’avance, chargée de ses péchés et de ses faiblesses, consciente de n’avoir rien de bon en elle. Elle ne balbutie qu’un mot : “ Seigneur, aie pitié de moi qui suis pécheur ! ” C’est aujourd’hui l’Introït, le Confiteor, le Kyrie. Cependant, cette conscience de notre incapacité n’écrase pas notre âme. Au pauvre publicain, notre ; Mère l’Église montre l’autel sur lequel le Christ est présent : “ Jette tes soucis sur le Seigneur ; c’est lui qui te nourrira ! ” Et comme cette âme a l’impression qu’elle est un vase vide, Dieu, le Seigneur, se plaît à y verser d’abord, à l’avant-messe, l’eau de la sainte doctrine, dans l’Épître et l’Évangile ; il y verse surtout le vin de la grâce, au Saint-Sacrifice. — L’âme du publicain fait un pas de plus, elle va à l’Offrande. Jusqu’ici elle en était restée à l’Introït, elle s’avance maintenant vers l’autel. Ah ! s’écrie-t-elle, toute honteuse, que puis-je offrir ? Je n’ai que mes misères et mes péchés. Notre Mère l’Église vient encore à son secours ; elle lui montre l’autel, le Christ dans sa gloire : “ Élève ton regard vers lui, aie confiance en lui ; personne n’a été confondu après avoir espéré en lui ” (Offertoire.). Humilité et confiance profonde, tels sont aujourd’hui les dons que nous déposerons sur l’autel. Le Seigneur Jésus se présente réellement devant nous au moment de la Consécration, comme il apparut à Thomas l’incrédule après sa Résurrection. A la Communion, il vient à nous, pauvres publicains, et nous dit : “ Va en paix, tu es justifié ”. L’âme tombe comme Thomas aux pieds du Seigneur et chante avec confiance le Miserere, le psaume de pénitence (ps. 50) (antienne de communion). L’âme du publicain est venue à l’église, accablée du poids de ses péchés, avec un profond besoin de rédemption ; elle s’en retourne avec la certitude joyeuse d’avoir été pardonnée.