Nous sommes des invités dans la salle de festin de
l’Église
Ce dimanche nous présente une magnifique image de
l’automne liturgique : Nous voyons une salle de festin brillamment
éclairée, où sont assis de nombreux invités, revêtus d’habits d’une blancheur
éclatante. Dans l’attente, tous portent leurs regards vers la porte qui doit
s’ouvrir à tout instant pour laisser entrer le Roi venant rendre visite aux
invités ; les invités, c’est nous, chrétiens ; la blanche robe
nuptiale, c’est le vêtement baptismal de la filiation divine ; le roi qui
arrive, c’est le Seigneur dont le retour est attendu. La grande préoccupation
de notre vie doit être de posséder la blanche robe nuptiale ; c’est
l’homme nouveau que nous devons revêtir dans la vraie justice et sainteté (Épître) ;
c’est l’accomplissement de la volonté de Dieu (Oraison).
1. La Messe (Salus populi). —
Dans cette messe souffle bien l’esprit de l’Église antique : dans les
souffrances et les afflictions extérieures, sous les blancs vêtements de la
pureté, elle attend avec impatience le retour du Seigneur. Cette fois-ci, l’Introït
présente une scène toute différente : A l’entrée dans l’église, le
Christ vient à notre rencontre et nous adresse une parole de consolation, mais
aussi l’avertissement suivant : “ Ne soyez pas tristes si vous avez
encore actuellement beaucoup à souffrir ; je suis avec vous, je suis votre
Dieu et bientôt votre suprême bonheur. ” Puis il lève le doigt en signe
d’avertissement : “ n’ayez qu’un souci ; gardez mes
commandements ! ” L’Oraison est une prière de pèlerins :
nous nous élançons d’un coup d’aile léger vers la céleste patrie ; et
pourtant le démon et la mauvaise nature se pendent, comme des poids de plomb, à
notre âme et à notre corps ; nous prions pour être délivrés des obstacles
afin de “ pouvoir accomplir d’un cœur libre la volonté de Dieu ”. L’Épître
nous trace le devoir le plus important de notre vie : “ revêtir
l’homme nouveau dans la justice et la sainteté ”, c’est-à-dire “ la robe
nuptiale ” dont il est question dans l’Evangile ; nous devons
dépouiller le vêtement du péché, le vieil homme, avant le “ coucher du soleil ”
(avant que se couche le soleil de la vie) ; nous devons pratiquer la
charité, “ car nous sommes membres ” du corps du Christ. — Le nuage
d’encens qui s’élève à l’Evangile et nos mains tendues vers le ciel
symbolisent, au Graduel, l’ardent désir du ciel. Le chant de
l’Alleluia est la glorification pascale du Divin Roi qui fait son entrée à l’Evangile.
Maintenant le Christ nous parle dans l’Evangile. L’allégorie de la
robe nuptiale est avant tout un enseignement : Il ne suffit pas
d’appartenir par la foi à l’Église (de prendre place dans la salle du festin),
nous devons encore mener une vie conforme à la volonté de Dieu, revêtir par
conséquent la robe nuptiale de la grâce. Les noces désignent l’œuvre du
salut ; le Christ est l’Époux, l’Église est l’Épouse ; nous,
chrétiens, nous sommes les invités. La visite du roi désigne le retour du
Christ ; la robe nuptiale, la grâce sanctifiante. Il n’y a guère d’autre
image qui puisse mieux que celle-ci caractériser notre vie chrétienne. Mais l’Evangile
est aussi l’image de la messe du dimanche : la salle du festin
brillamment éclairée, c’est la maison de Dieu dans laquelle l’assemblée des “
invités aux noces ” est maintenant réunie. La Sainte Eucharistie est le festin
nuptial, à la fois image et gage du festin nuptial du ciel. Ici encore, le Roi
apparaît et rend visite aux invités ; c’est la préfiguration de son futur
retour. C’est ainsi que la parabole se réalise dans notre messe du dimanche.
Toutes nos préoccupations doivent tendre à ne pas être des invités dépourvus de
la robe nuptiale. — L’Offertoire est aujourd’hui un chant de route et
l’image du triste pèlerinage de la vie : “ si j’avance parmi les
tribulations... ” ; l’Église primitive pouvait adresser en toute vérité
cette prière au milieu de ses persécutions ; mais c’était alors aussi que
les offrandes étaient agréables ; c’est ici qu’elle puisait toute sa
force. La Communion est, elle aussi, l’image de notre pèlerinage
terrestre accompli selon les commandements de Dieu. La Postcommunion réunit
brièvement les pensées de la messe en deux supplications : délivrance du
péché, accomplissement des commandements. Une très belle messe !
Remarquons que de nombreux passages (Intr., Or., Comm., Postc.) insistent
sur l’accomplissement des commandements. C’est pour nous une obligation. De la
sorte seulement nous pourrons aller, avec la robe blanche du baptême, au-devant
du Roi qui vient.
2. Notre parabole dans l’année
liturgique : Nous comprendrons mieux la messe d’aujourd’hui
si nous replaçons la parabole de la robe nuptiale dans la vie liturgique du chrétien
et dans l’année liturgique. La parabole décrit un arc d’or sur toute l’année
liturgique et réunit Noël, Pâques et le temps après la Pentecôte.
a) Dans la parabole, il est question d’une noce que
le roi célèbre pour son fils. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est l’œuvre
du salut que Jésus-Christ a accomplie sur terre. Pourquoi est-elle comparée à
une noce ? C’est une antique comparaison, déjà chère à l’Ancien Testament,
qui est employée tout particulièrement dans le Nouveau Testament par saint Jean-Baptiste
(il se nomme le héraut de l’Époux), par saint Jean l’Evangéliste (dans
sa mystérieuse Apocalypse : l’Épouse de l’Agneau) et par saint Paul (le
mariage, un grand sacrement dans le Christ et l’Église). De plus, le Christ se
nomme lui-même l’Époux de l’Église (Matth., IX, 15). Où est le nœud de la
comparaison ? Le péché a séparé l’homme de Dieu, mais la rédemption devait
l’unir de nouveau à Dieu. Cette union serait la plus intime que l’on puisse
concevoir, non point celle de l’esclave et du maître, non point celle de l’ami
avec l’ami, mais aussi intime que celle de l’épouse et de l’époux. Nous pouvons
distinguer trois étapes de cette union du Christ avec l’humanité : la
première est son incarnation et sa naissance ; l’humanité s’est alors unie
à la divinité dans la personne du Verbe Divin ; la seconde suivit sa mort
sur la croix ; par elle le Christ a objectivement racheté l’humanité
et l’a ainsi unie à Dieu ; la rédemption s’applique subjectivement à
chacun par le baptême et le pardon de ses fautes. Par la grâce de la filiation
divine, le Verbe s’unit avec l’âme de l’enfant de Dieu. La troisième étape,
c’est l’union définitive de l’Église et de l’âme avec l’Époux divin dans le
ciel, celle que saint Jean a dépeinte de façon saisissante dans l’Apocalypse
(c. 21, 2) : “ Je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville
sainte, la nouvelle Jérusalem..., vêtue comme une épouse qui est parée pour son
époux. ”
Nous pouvons donc comparer tout le cycle de Noël, qui a
pour objet l’incarnation et la naissance du Christ, à la célébration d’un
mariage. La liturgie nous aide à-établir cette comparaison. Pendant l’Avent,
nous entendons l’ardent appel que l’Épouse adresse à son divin Époux ;
l’Épouse se prépare à sa venue. A Noël, nous voyons l’Époux sortir de la chambre
nuptiale (ps. 18). C’est à l’Épiphanie seulement que l’Église célèbre ses
noces. Il suffit de penser à la fameuse antienne : “ C’est aujourd’hui que
l’Église est unie à son céleste Époux, car le Christ a lavé ses péchés dans le
Jourdain ; les Mages accourent avec leurs présents aux noces royales et
les convives se réjouissent du changement de l’eau en vin. ” Nous avons là
l’image la plus haute du mariage. A la fête qui termine le cycle de Noël, à la
Chandeleur, nous chantons : “ Orne ta chambre nuptiale, Sion, reçois le
Christ, ton Roi... ” Tout le cycle de Noël est donc une célébration des noces
du Christ avec l’Église.
b) Lorsque les citoyens de la ville eurent
dédaigneusement décliné l’invitation, le roi envoya chercher tous ceux qui se
trouvaient aux carrefours, les mauvais comme les bons ; et la salle fut
remplie. Nous savons que c’est là le symbole de la réprobation des Juifs et de
la vocation des païens.
Après la conclusion du cycle de Noël, commence, Jans
l’Église, un temps empreint de gravité. Pendant l’avant-carême, ses messagers
et ses gardes se tiennent aux carrefours des chemins et adressent l’invitation
aux noces. C’est la signification des trois dimanches de l’avant-carême (les
ouvriers de la vigne) ; l’Église appelle au catéchuménat et à la
pénitence. Le carême commence, qui est exclusivement consacré au souci de la
robe nuptiale. Pour une partie des invités, elle doit être tissée (enfants à
baptiser) ; pour les autres, elle doit être lavée (pénitents). Que ce
temps soit très importantpour l’Église, on le voit à sa durée, à sa liturgie, à
son caractère de gravité : c’est dans les larmes de la pénitence, dans le
jeûne et l’aumône, dans la prière, que la robe doit être lavée et tissée. Alors
arrivent deux jours importants dans la vie de l’Église : le jeudi saint et
la veillée de Pâques. Le jeudi saint, nous quittons avec les pénitents les
vêtements de pénitence et nous recevons de nouveau la robe nuptiale ; à la
veillée de Pâques, les catéchumènes reçoivent la robe nuptiale immaculée et
nous la recevons avec eux. Le prêtre dit : Reçois la robe blanche et
porte-la sans tache au tribunal de Dieu. A Pâques, la salle du festin est
remplie ; les invités sont tous assis là, revêtus de la blanche robe
nuptiale.
c) Mais le roi arrive pour rendre visite aux invités.
C’est une figure du retour du Seigneur, pour chacun à l’heure de la mort, pour
tous au jugement dernier. Seul, alors, sera reçu celui qui sera trouvé revêtu
de la robe nuptiale de la grâce baptismale ; quiconque en sera dépourvu
entendra de la bouche de l’éternel Juge l’arrêt de condamnation. Le temps
pascal jusqu’à la Pentecôte est l’heureux temps de la filiation divine ;
la blanche robe nuptiale est alors dans tout son éclat et préservée de toute
atteinte. A la Pentecôte, les baptisés sont déclarés majeurs et envoyés dans le
monde extérieur. Puis commence la dernière partie de l’année liturgique, le
temps après la Pentecôte ; celui-ci peut être brièvement caractérisé comme
ceci : le temps où l’Eglise se préoccupe de sauvegarder la pureté de la
robe nuptiale. Chaque dimanche, l’Eglise évoque le baptême et la fête de
Pâques ; chaque dimanche, elle purifie, à l’Asperges, la robe
nuptiale ; et, à la messe du dimanche, l’Eucharistie est le grand moyen de
préservation et de purification de la robe nuptiale (mundet et muniat).
Inlassablement l’Eglise avertit les chrétiens d’avoir à dépouiller le vieil
homme et à se revêtir de l’homme nouveau dans la justice et la sainteté, et
prie à cette intention. Mais, à partir du XVIIe dimanche après la
Pentecôte, l’Église porte un regard de désir et d’attente sur le retour du
Seigneur. Elle va, en habit de pèlerin, comme une étrangère, à travers le monde
et veille à ce que la lampe soit garnie d’huile pour attendre le moment où le
Seigneur viendra aux noces. Actuellement, le grand souci de notre mère l’Eglise
est que ses enfants se présentent sans faute et sans châtiment à la venue du
Seigneur.
Nous avons donc retrouvé l’année liturgique dans notre
parabole. Mais nous pouvons voir aussi dans les trois phases principales
l’essentiel de la vie du chrétien : les noces sont l’œuvre de la
rédemption q nous voulons nous appliquer ; la robe blanche est la grâce de
la filiation divine que nous voulons garder en observant les commandements, et
notre fin est le retour du Seigneur qui se présente à nos yeux comme le but
essentiel de notre vie, et que nous pouvons, par la miséricorde divine,
anticiper à chaque messe.