DIX-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

Nous sommes des invités dans la salle de festin de l’Église
Ce dimanche nous présente une magnifique image de l’automne liturgique : Nous voyons une salle de festin brillamment éclairée, où sont assis de nombreux invités, revêtus d’habits d’une blancheur éclatante. Dans l’attente, tous portent leurs regards vers la porte qui doit s’ouvrir à tout instant pour laisser entrer le Roi venant rendre visite aux invités ; les invités, c’est nous, chrétiens ; la blanche robe nuptiale, c’est le vêtement baptismal de la filiation divine ; le roi qui arrive, c’est le Seigneur dont le retour est attendu. La grande préoccupation de notre vie doit être de posséder la blanche robe nuptiale ; c’est l’homme nouveau que nous devons revêtir dans la vraie justice et sainteté (Épître) ; c’est l’accomplissement de la volonté de Dieu (Oraison).
1. La Messe (Salus populi). — Dans cette messe souffle bien l’esprit de l’Église antique : dans les souffrances et les afflictions extérieures, sous les blancs vêtements de la pureté, elle attend avec impatience le retour du Seigneur. Cette fois-ci, l’Introït présente une scène toute différente : A l’entrée dans l’église, le Christ vient à notre rencontre et nous adresse une parole de consolation, mais aussi l’avertissement suivant : “ Ne soyez pas tristes si vous avez encore actuellement beaucoup à souffrir ; je suis avec vous, je suis votre Dieu et bientôt votre suprême bonheur. ” Puis il lève le doigt en signe d’avertissement : “ n’ayez qu’un souci ; gardez mes commandements ! ” L’Oraison est une prière de pèlerins : nous nous élançons d’un coup d’aile léger vers la céleste patrie ; et pourtant le démon et la mauvaise nature se pendent, comme des poids de plomb, à notre âme et à notre corps ; nous prions pour être délivrés des obstacles afin de “ pouvoir accomplir d’un cœur libre la volonté de Dieu ”. L’Épître nous trace le devoir le plus important de notre vie : “ revêtir l’homme nouveau dans la justice et la sainteté ”, c’est-à-dire “ la robe nuptiale ” dont il est question dans l’Evangile ; nous devons dépouiller le vêtement du péché, le vieil homme, avant le “ coucher du soleil ” (avant que se couche le soleil de la vie) ; nous devons pratiquer la charité, “ car nous sommes membres ” du corps du Christ. — Le nuage d’encens qui s’élève à l’Evangile et nos mains tendues vers le ciel symbolisent, au Graduel, l’ardent désir du ciel. Le chant de l’Alleluia est la glorification pascale du Divin Roi qui fait son entrée à l’Evangile. Maintenant le Christ nous parle dans l’Evangile. L’allégorie de la robe nuptiale est avant tout un enseignement : Il ne suffit pas d’appartenir par la foi à l’Église (de prendre place dans la salle du festin), nous devons encore mener une vie conforme à la volonté de Dieu, revêtir par conséquent la robe nuptiale de la grâce. Les noces désignent l’œuvre du salut ; le Christ est l’Époux, l’Église est l’Épouse ; nous, chrétiens, nous sommes les invités. La visite du roi désigne le retour du Christ ; la robe nuptiale, la grâce sanctifiante. Il n’y a guère d’autre image qui puisse mieux que celle-ci caractériser notre vie chrétienne. Mais l’Evangile est aussi l’image de la messe du dimanche : la salle du festin brillamment éclairée, c’est la maison de Dieu dans laquelle l’assemblée des “ invités aux noces ” est maintenant réunie. La Sainte Eucharistie est le festin nuptial, à la fois image et gage du festin nuptial du ciel. Ici encore, le Roi apparaît et rend visite aux invités ; c’est la préfiguration de son futur retour. C’est ainsi que la parabole se réalise dans notre messe du dimanche. Toutes nos préoccupations doivent tendre à ne pas être des invités dépourvus de la robe nuptiale. — L’Offertoire est aujourd’hui un chant de route et l’image du triste pèlerinage de la vie : “ si j’avance parmi les tribulations... ” ; l’Église primitive pouvait adresser en toute vérité cette prière au milieu de ses persécutions ; mais c’était alors aussi que les offrandes étaient agréables ; c’est ici qu’elle puisait toute sa force. La Communion est, elle aussi, l’image de notre pèlerinage terrestre accompli selon les commandements de Dieu. La Postcommunion réunit brièvement les pensées de la messe en deux supplications : délivrance du péché, accomplissement des commandements. Une très belle messe ! Remarquons que de nombreux passages (Intr., Or., Comm., Postc.) insistent sur l’accomplissement des commandements. C’est pour nous une obligation. De la sorte seulement nous pourrons aller, avec la robe blanche du baptême, au-devant du Roi qui vient.
2. Notre parabole dans l’année liturgique : Nous comprendrons mieux la messe d’aujourd’hui si nous replaçons la parabole de la robe nuptiale dans la vie liturgique du chrétien et dans l’année liturgique. La parabole décrit un arc d’or sur toute l’année liturgique et réunit Noël, Pâques et le temps après la Pentecôte.
a) Dans la parabole, il est question d’une noce que le roi célèbre pour son fils. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est l’œuvre du salut que Jésus-Christ a accomplie sur terre. Pourquoi est-elle comparée à une noce ? C’est une antique comparaison, déjà chère à l’Ancien Testament, qui est employée tout particulièrement dans le Nouveau Testament par saint Jean-Baptiste (il se nomme le héraut de l’Époux), par saint Jean l’Evangéliste (dans sa mystérieuse Apocalypse : l’Épouse de l’Agneau) et par saint Paul (le mariage, un grand sacrement dans le Christ et l’Église). De plus, le Christ se nomme lui-même l’Époux de l’Église (Matth., IX, 15). Où est le nœud de la comparaison ? Le péché a séparé l’homme de Dieu, mais la rédemption devait l’unir de nouveau à Dieu. Cette union serait la plus intime que l’on puisse concevoir, non point celle de l’esclave et du maître, non point celle de l’ami avec l’ami, mais aussi intime que celle de l’épouse et de l’époux. Nous pouvons distinguer trois étapes de cette union du Christ avec l’humanité : la première est son incarnation et sa naissance ; l’humanité s’est alors unie à la divinité dans la personne du Verbe Divin ; la seconde suivit sa mort sur la croix ; par elle le Christ a objectivement racheté l’humanité et l’a ainsi unie à Dieu ; la rédemption s’applique subjectivement à chacun par le baptême et le pardon de ses fautes. Par la grâce de la filiation divine, le Verbe s’unit avec l’âme de l’enfant de Dieu. La troisième étape, c’est l’union définitive de l’Église et de l’âme avec l’Époux divin dans le ciel, celle que saint Jean a dépeinte de façon saisissante dans l’Apocalypse (c. 21, 2) : “ Je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem..., vêtue comme une épouse qui est parée pour son époux. ”
Nous pouvons donc comparer tout le cycle de Noël, qui a pour objet l’incarnation et la naissance du Christ, à la célébration d’un mariage. La liturgie nous aide à-établir cette comparaison. Pendant l’Avent, nous entendons l’ardent appel que l’Épouse adresse à son divin Époux ; l’Épouse se prépare à sa venue. A Noël, nous voyons l’Époux sortir de la chambre nuptiale (ps. 18). C’est à l’Épiphanie seulement que l’Église célèbre ses noces. Il suffit de penser à la fameuse antienne : “ C’est aujourd’hui que l’Église est unie à son céleste Époux, car le Christ a lavé ses péchés dans le Jourdain ; les Mages accourent avec leurs présents aux noces royales et les convives se réjouissent du changement de l’eau en vin. ” Nous avons là l’image la plus haute du mariage. A la fête qui termine le cycle de Noël, à la Chandeleur, nous chantons : “ Orne ta chambre nuptiale, Sion, reçois le Christ, ton Roi... ” Tout le cycle de Noël est donc une célébration des noces du Christ avec l’Église.
b) Lorsque les citoyens de la ville eurent dédaigneusement décliné l’invitation, le roi envoya chercher tous ceux qui se trouvaient aux carrefours, les mauvais comme les bons ; et la salle fut remplie. Nous savons que c’est là le symbole de la réprobation des Juifs et de la vocation des païens.
Après la conclusion du cycle de Noël, commence, Jans l’Église, un temps empreint de gravité. Pendant l’avant-carême, ses messagers et ses gardes se tiennent aux carrefours des chemins et adressent l’invitation aux noces. C’est la signification des trois dimanches de l’avant-carême (les ouvriers de la vigne) ; l’Église appelle au catéchuménat et à la pénitence. Le carême commence, qui est exclusivement consacré au souci de la robe nuptiale. Pour une partie des invités, elle doit être tissée (enfants à baptiser) ; pour les autres, elle doit être lavée (pénitents). Que ce temps soit très importantpour l’Église, on le voit à sa durée, à sa liturgie, à son caractère de gravité : c’est dans les larmes de la pénitence, dans le jeûne et l’aumône, dans la prière, que la robe doit être lavée et tissée. Alors arrivent deux jours importants dans la vie de l’Église : le jeudi saint et la veillée de Pâques. Le jeudi saint, nous quittons avec les pénitents les vêtements de pénitence et nous recevons de nouveau la robe nuptiale ; à la veillée de Pâques, les catéchumènes reçoivent la robe nuptiale immaculée et nous la recevons avec eux. Le prêtre dit : Reçois la robe blanche et porte-la sans tache au tribunal de Dieu. A Pâques, la salle du festin est remplie ; les invités sont tous assis là, revêtus de la blanche robe nuptiale.
c) Mais le roi arrive pour rendre visite aux invités. C’est une figure du retour du Seigneur, pour chacun à l’heure de la mort, pour tous au jugement dernier. Seul, alors, sera reçu celui qui sera trouvé revêtu de la robe nuptiale de la grâce baptismale ; quiconque en sera dépourvu entendra de la bouche de l’éternel Juge l’arrêt de condamnation. Le temps pascal jusqu’à la Pentecôte est l’heureux temps de la filiation divine ; la blanche robe nuptiale est alors dans tout son éclat et préservée de toute atteinte. A la Pentecôte, les baptisés sont déclarés majeurs et envoyés dans le monde extérieur. Puis commence la dernière partie de l’année liturgique, le temps après la Pentecôte ; celui-ci peut être brièvement caractérisé comme ceci : le temps où l’Eglise se préoccupe de sauvegarder la pureté de la robe nuptiale. Chaque dimanche, l’Eglise évoque le baptême et la fête de Pâques ; chaque dimanche, elle purifie, à l’Asperges, la robe nuptiale ; et, à la messe du dimanche, l’Eucharistie est le grand moyen de préservation et de purification de la robe nuptiale (mundet et muniat). Inlassablement l’Eglise avertit les chrétiens d’avoir à dépouiller le vieil homme et à se revêtir de l’homme nouveau dans la justice et la sainteté, et prie à cette intention. Mais, à partir du XVIIe dimanche après la Pentecôte, l’Église porte un regard de désir et d’attente sur le retour du Seigneur. Elle va, en habit de pèlerin, comme une étrangère, à travers le monde et veille à ce que la lampe soit garnie d’huile pour attendre le moment où le Seigneur viendra aux noces. Actuellement, le grand souci de notre mère l’Eglise est que ses enfants se présentent sans faute et sans châtiment à la venue du Seigneur.

Nous avons donc retrouvé l’année liturgique dans notre parabole. Mais nous pouvons voir aussi dans les trois phases principales l’essentiel de la vie du chrétien : les noces sont l’œuvre de la rédemption q nous voulons nous appliquer ; la robe blanche est la grâce de la filiation divine que nous voulons garder en observant les commandements, et notre fin est le retour du Seigneur qui se présente à nos yeux comme le but essentiel de notre vie, et que nous pouvons, par la miséricorde divine, anticiper à chaque messe.