DIX-HUITIÈME DIMANCHE – APRÈS LA PENTECOTE

Entre dans ta demeure céleste
1. La messe (Da pacem). – Cette messe s"écarte en partie du cycle des dimanches après la Pentecôte. Le dimanche suivant les Quatre-Temps de septembre était, dans l’église primitive, un jour dépourvu d’office liturgique, car le service divin se continuait pendant toute la nuit jusqu’aux premières heures du matin. Lorsque, plus tard, l’office de nuit fut avancé au samedi matin, on intercala parmi les messes du temps notre messe, qui était peut-être primitivement une messe de dédicace. Ce qui est sûr, c’est que, dans cette messe, le thème de la parousie se trouve fortement marqué. Pour la comprendre, il faut se rappeler que l’Eglise représente aujourd’hui la Jérusalem céleste. C’est pourquoi le chant fondamental de la messe est le “ cantique de Sion ”, le psaume 121 : “ De quelle joie mon cœur a tressailli à cette annonce : nous allons dans la maison de Dieu ! ” Introït : Nous sortons du monde de la lutte, du tumulte et des persécutions, pour entrer dans la paix du sanctuaire et nous écrier : “ Donnez-nous la paix, Seigneur, à nous qui vous attendons avec impatience. ” Que signifient ces paroles ? Mon Dieu, donnez-nous la béatitude éternelle après laquelle nous soupirons, afin que soient réalisées les prophéties qui ont dépeint votre retour sous de si éclatantes couleurs. L’entrée du clergé est l’image de notre entrée au ciel, d’où le psaume 121 tout entier : Nous faisons avec joie notre entrée au ciel. Oraison : Connaissant notre impuissance, nous faisons appel à la “ puissance de la miséricorde divine” (c’est la messe). A l’Épître (elle s'écarte, elle aussi, du cycle ; tandis que nous lisons, au XVIIe et au XVIIIe dimanches, l’Epître aux Ephésiens, nous avons aujourd’hui un passage de la première aux Corinthiens), notre mère la sainte Église se tient devant nous : l’année liturgique touche à sa fin ; elle jette maintenant un regard en arrière : elle remercie en notre nom pour tant de grâces reçues. Que nous sommes riches, nous, les enfants de Dieu ; une seule grâce nous a-t-elle manqué ? Aujourd’hui encore, le Christ nous “ fortifiera jusqu’au bout ” (dans la messe). L’Église présume que nous “ attendons la révélation (le retour) de Notre-Seigneur Jésus-Christ ”, et que c’est là notre plus grande préoccupation, de paraître “ sans faute et sans châtiment au jour de la venue de Jésus-Christ ” ; l’Église nous a fait porter ainsi un double regard : un regard en arrière – action de grâces, examen de conscience ; un regard en avant – le retour du Seigneur. La pensée de la “ venue” du Christ nous fait faire de nouveau un pèlerinage en esprit dans la céleste “ maison de Dieu ”, où régneront “ paix et bonheur” (Graduel). Maintenant, l’Alleluia nous présente la vision du jugement dernier où le Christ, entouré de rois et de païens, apparaîtra dans sa “ majesté ”. A l’Evangile, nous voyons le paralytique devant le Christ qui prouve, par le miracle, qu’il “ a puissance de pardonner sur terre les péchés ”. Mais ce paralytique est notre image ; à nous aussi appartient une semblable guérison : comme ce malade, nous fûmes jadis paralysés dans notre âme ; mais le Seigneur nous a guéris. Ce fut notre baptême. Chaque dimanche, celui-ci comme les autres, rappelle la grâce du baptême et veut lui donner son épanouissement et sa maturité. La messe d’aujourd’hui est donc en premier lieu un prolongement du baptême. Nous sommes encore bien paralysés dans notre âme : le monde, le moi, les bas instincts de la nature sont comme un poids de plomb qui tient notre âme abattue sur le sol, ce qui fait que nous pouvons si difficilement nous relever. Le Christ a institué l’Eucharistie pour nous donner sans cesse de nouvelles forces et pour guérir la paralysie de notre âme. L’Eucharistie doit nous tenir prêts à partir pour notre patrie céleste. Ainsi l’Evangile unit le passé (le baptême), le présent (l’Eucharistie) et l’avenir (le second avènement). Au jugement dernier, se réalisera pleinement pour nous la parole du Christ : “ Il se leva (surrexit) et partit dans sa demeure (céleste). Nous reviendrons plus loin sur l’Offertoire. La Secrète exprime une profonde pensée : Dieu nous fait, par le saint “ commerce ” qui se réalise au Saint-Sacrifice, participants de la divinité suprême (le commerce consiste en ce que Dieu se fait homme, grâce à quoi nous sommes divinisés) ; nous demandons non seulement de garder la foi, mais de vivre, conformément à cette foi, une vie de “ dignes mœurs ”. La Communion est à proprement parler pour les fidèles une invitation à l’offrande : “ Apportez vos dons et entrez dans ses parvis ” ; toutefois, l’Église primitive donnait vraisemblablement aux mots latins leur sens textuels : Tollite hostias – allez chercher les hosties et entrez... C’est en même temps une invitation à entrer dans les sacrés parvis du ciel et à y adorer le Seigneur. Le chant grégorien fait, à “ adorate Dominum ”, une chute tonique tout à fait expressive et, à “ in aula sancta ejus ”, nous perd pour ainsi dire dans l’éternité par un neume phrygien qui se prolonge indéfiniment. La Postcommunion comporte aujourd’hui exceptionnellement une action de grâces pour le don sacré reçu.
2. L’Offertoire. – Le chant de l’Offertoire est particulièrement beau et tout pénétré de l’attente de la parousie, du moins dans son entier développement :
Moïse consacra un autel au Seigneur, et sur cet autel lui offrit un holocauste.
Immolant les victimes, il fit au Seigneur Dieu un sacrifice vespéral en agréable odeur devant les fils d’Israël.
Le Seigneur parla à Moïse et lui dit :
Monte près de moi sur la montagne et place-toi au sommet.
Moïse se leva et, gravissant la montagne, se tint où Dieu le lui avait prescrit.
Alors, Dieu descendit jusqu’à lui dans les nuages et se présenta devant sa face.
Lorsque Moïse le vit, il tomba à terre, l’adora et lui dit :
Je t’en conjure, Seigneur, remets à ton peuple. ses péchés.
Et le SeIgneur lui dit :
Je ferai selon ta parole.
Alors Moïse fit un sacrifice vespéral...
Moïse pria le Seigneur et dit :
Si j’ai trouvé grâce devant tes yeux,
montre-toi visiblement à moi, afin que je te contemple. Le Seigneur lui parla et dit :
Aucun homme ne me contemple qu’il ne meure. Mais place-toi là sur la haute pierre, et je te couvrirai de ma droite,
aussi longtemps que je passerai. Mais, lorsque j’aurai passé, je retirerai ma main ;
alors, tu contempleras ma Majesté. Mais tu ne verras pas ma face,
car je suis Dit ;u, celui qui accomplit des prodiges sur terre.
Alors Moïse fit un sacrifice vespéral...
Moïse offrit un “ sacrifice vespéral” pour les péchés du peuple ; c’est l’image du sacrifice expiatoire du Christ sur la croix et à la messe. Ensuite Moïse exprima le désir de contempler la face de Dieu ; le Seigneur refusa tout d’abord d’exaucer cette prière, en disant qu’aucun vivant ne peut voir Dieu. Mais Moïse ne cessa pas de prier et Dieu lui accorda de le voir tandis qu’il tenait ses yeux couverts et se présentait à lui de dos. Par ces mots, la liturgie nous montre dans la messe une anticipation du retour du Seigneur, une apparition voilée du Christ. A la messe, le Seigneur “ apparaît ” ; il apparaît comme il viendra au jugement dernier, mais en réalité sous un voile. Voici la différence : là, sa venue signifiera “ l’éternelle jouissance de sa divinité Il ; ici, sa venue est un passage du Seigneur. Actuellement, le Seigneur pose mystérieusement sa main sur nous jusqu’à ce qu’il ait passé. Nous voyons son “ dos ”, tandis que son “ visage demeure invisible ”.
3. Le symbolisme de la préparation du trône. Les mosaïques et les sculptures des premiers temps de l’Église présentent une très curieuse image : Nous voyons un trône sur lequel personne n’est assis, mais où sont placés quelques insignes ; donc un trône préparé pour quelqu’un qui doit y prendre place. On nommait cette image : Hétoimasie, puis, plus tard, en adoucissant l’accent : Étimasie, c’est-à-dire préparation du trône. C’était le symbole du retour du Seigneur, de la parousie du Christ ; c’était l’expression imagée de l’attente et des désirs des chrétiens au sujet du retour du Seigneur Dieu. Les anciens chrétiens lui ont, pour ainsi dire, préparé le trône sur lequel il doit s’asseoir au jour de sa venue, et ont placé sur le trône les signes de sa souveraineté.
Nous ne possédons, de l’ancien temps, qu’une seule image sur laquelle le trône figure avec les quatre insignes de la souveraineté (l’expression : “ Insignia Christi ” se lit sur une inscription de l’église Saint Chrysogone, à Rome, qui remonte au IVe siècle environ. A Sainte-Marie Majeure de Rome, elle se trouve sur une mosaïque de Sixte III 432-440). Ces insignes sont : la croix triomphale qui est dressée sur le trône, le rouleau des Saintes Écritures, la couronne et le manteau royal de pourpre qui est déployé sur le siège du trône. La signification de ces insignes de la dignité royale du Christ ne réclame aucune explication. Le groupe des insignes du Christ se retrouve, avec des différences plus ou moins considérables, sur d’autres images, sans cependant y figurer au complet ; il en manque toujours l’un ou l’autre. Particulièrement intéressants sont les trônes représentés dans les deux baptistères de Ravenne (Ve siècle) : Dans le plus ancien baptistère, catholique, se trouve, au centre de la voûte, une mosaïque représentant le baptême du Christ ; tout autour, un second tableau : les douze Apôtres s’avançant avec leurs couronnes ; après celui-ci, un troisième en forme de cercle : alternativement quatre autels et quatre trônes préparés, contenus dans des niches de marbre. Sur les trônes se trouvent la croix et le manteau de pourpre ; sur chaque autel, l’un des quatre Evangiles. Le manteau se présente sous la forme quelque peu étrange d’une draperie dont la partie supérieure ressemble à un pouf, tandis que la partie inférieure figure un manteau joliment plissé. La coloration semblable, d’or avec une bordure pourpre, des deux parties indique que celles-ci appartiennent au même objet. La bordure de pourpre est le signe de la toga praetexta. L’artiste a donc choisi le manteau impérial de plus haut prix : pourpre et or.
Dans le baptistère des Ariens, de quelques dizaines d’années plus récent, la décoration de la voûte est tout à fait semblable, mais un peu simplifiée ; autour du médaillon représentant le baptême du Christ, les douze Apôtres s’avancent en cercle, mais ils marchent vers un trône préparé. Ce trône présente cette particularité distinctive qu’il porte une grande croix de gemmes (dans l’autre baptistère, les croix sont petites), surmontant quatre perles qui sont un équivalent de la couronne, et le manteau de pourpre, orné de deux majuscules dorées (L), laissant tomber ses plis sur la croix de gemmes de chaque côté de la barre transversale.

Notre image symbolique se rencontre encore avec diverses variantes : on voit le trône avec la colombe du Saint Esprit et la Bible. Ici, l’Evangile, symbole du Christ, est présenté, grâce à la colombe, comme la Parole de Dieu. On trouve aussi le trône avec l’Agneau divin. C’est peut-être l’image de l’Apocalypse avec l’Agneau sur le trône. Le dernier type, que nous ne ferons qu’indiquer, ne symbolise plus l’attente joyeuse de la parousie, mais la crainte du jugement : les insignes royaux sont remplacés par les emblèmes de la Passion. Cette Étimasie, qui appartient à l’art oriental plus récent, représente le jugement dernier. On en trouve un spécimen à Rome, à Saint Paul hors les murs.