DIMANCHE DE LA SEXAGISIME

Station à Saint Paul
     
Noé, Saint Paul, Le Christ.
     
Il y a une belle harmonie et une progression merveilleuse dans les pensées de ce jour. C’est comme si nous entrions dans une magnifique basilique à trois parties. Nous voyons ,d’abord, dans le sombre vestibule, le semeur de la chair, Noé. Il incarne la nature qui est la condition préalable et, en même temps, l’image de la surnature. Dans le miroir du déluge et de l’arche, nous voyons déjà l’indication de la Rédemption. Maintenant nous entrons dans le sanctuaire de la basilique ; là se tient debout devant nous le semeur de la Parole, saint Paul. Il incarne la foi qui sans doute appartient déjà à la surnature, mais cependant n’est pas encore le bien suprême dans le royaume de Dieu. Nous montons enfin vers le Saint des Saints, nous y rencontrons le semeur de la Vie, le Christ. Il apporte la grâce.

1. Le semeur de la chair. — Noé est l’homme de la justice au sein de l’impiété. Une puissante figure-t Nous le voyons, obéissant à l’ordre de Dieu, travailler pendant plusieurs années à la construction de l’arche, pendant que ces contemporains, adonnés à tous les vices, se moquent de ses avertissements. Saint Ambroise, aux Matines, caractérise ainsi notre Patriarche :
“ Pour indiquer la corruption des hommes qui vivaient alors et, en même temps, pour montrer l’amour divin, il est dit : Noé trouva grâce devant le Seigneur. Il est montré, en même temps, comment la méchanceté des autres n’obscurcit pas la justice des hommes pieux : Noé le juste est conservé pour la propagation de tout le genre humain. Ce n’est pas à cause de la noblesse de sa naissance, mais à cause des mérites de sa justice et de sa perfection qu’il est loué. La vraie noblesse de l’homme éprouvé est la noblesse de la vertu. Car, de même que la race humaine produit des hommes, l’âme produit des vertus. Les familles des hommes sont anoblies par leur ascendance, mais la beauté de l’âme est illustrée par l’éclat des vertus. “
Lecture d’Écriture (Genèse VI, 1-22). — Le saint récit nous raconte la triste conclusion de l’histoire de la famille d’Adam. Par suite des mariages entre Caïnites et Séthites, la corruption pénétra parmi les enfants de Dieu. Et ainsi Dieu se décida au premier châtiment universel : le déluge. Il Quand les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre, les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils avaient choisies. Alors Dieu voyant que la méchanceté des hommes était grande sur la terre et que toutes les pensées de leur cœur étaient tournées vers le mal toujours, il se repentit d’avoir créé l’homme sur la terre et, dans la douleur intérieure de son cœur, il dit : Je détruirai l’homme que j’ai créé de sur la surface de la terre, l’homme et les animaux, ainsi que les reptiles et les oiseaux, car je me repens de les avoir créés. Mais Noé trouva grâce devant le Seigneur. Noé était un homme juste et parfait parmi ses contemporains ; il marchait avec Dieu. Et il engendra trois fils : Sem, Cham et Japhet. Mais la terre était corrompue devant Dieu et remplie d’iniquité. Et Dieu, voyant que la terre était corrompue (car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre), dit à Noé : La fin de toute chair est venue devant moi, la terre est remplie d’iniquité par eux et je les détruirai avec la terre. Fais-toi une arche de bois charpenté, et tu feras des chambres dans cette arche et tu l’enduiras intérieurement et extérieurement de poix... Voici que je vais amener un déluge d’eau sur la terre et tuer toute chair dans laquelle il y a un souffle de vie sous le ciel ; tout ce qu’il y a sur la terre sera anéanti. Mais avec toi j’établirai une alliance et tu entreras dans l’arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi. Et de toutes les bêtes de toute chair tu feras entrer un couple dans l’arche, afin qu’elles vivent avec toi, un mâle et une femelle... Noé fit tout ce que lui avait commandé le Seigneur. Telles sont les considérations qui nous occupent pendant les Heures nocturnes. Au lever du soleil, nous voyons devant nous.
     
2. Le semeur de la Parole. — Nous nous rendons aujourd’hui au tombeau du grand saint Paul. Nous y célébrons, avec l’Église entière, la messe de station. Peu d’offices dans l’année ont une relation aussi intime avec le saint de la station. Nous ne sommes pas seulement devant le tombeau de saint Paul ; l’Apôtre, dans l’esprit de la liturgie, est au milieu de nous. Il est aujourd’hui notre intercesseur (Or.) ; il est aussi notre prédicateur (Ep.). Il est le coryphée pour le Saint-Sacrifice. Saint Paul est aujourd’hui, et pendant toute l’année, le semeur de la parole. Comme un fidèle semeur, il répand, presque chaque dimanche, la semence de la parole divine dans l’âme des chrétiens. Que nous raconte-t-il aujourd’hui ? Il déploie sa vie au service du Christ, dans son extension, son élévation et sa profondeur. Dans son extension : tous ses travaux, ses souffrances, ses sacrifices sont pour le Christ ; nous devrions rougir de faire si peu pour le Christ. Dans son élévation : il nous laisse jeter un regard sur sa vie d’union avec Dieu ; sans doute nous ne pouvons pas nous élever à une telle intimité, nous pourrions pourtant y tendre plus que nous n’avons fait jusqu’ici. Dans sa profondeur : Il était homme, lui aussi, et soumis aux tentations ; mais la grâce en lui a triomphé de toute faiblesse. Nous devons, nous aussi, utiliser le Carême pour réformer notre vie dans son extension, son élévation et sa profondeur.
     
3. Le semeur de la Vie. — Le Christ est le semeur proprement dit, il sème la grâce. Comment cela ? Il est à la fois semeur et semence dans l’Eucharistie. Aussi l’Église nous rappelle le grand moyen de renouvellement spirituel qu’est le Carême. Le divin semeur parcourt actuellement son champ : c’est maintenant le printemps de l’âme. Il sème sa semence, qui est lui-même, dans les cœurs des hommes. Notre tâche est de devenir une bonne terre. Ne soyons pas un chemin sur lequel passe le monde entier ; ne soyons pas un sol pierreux (manque de dispositions et de persévérance) ; ne soyons pas une terre couverte d’épines (passions et amour du monde). Soyons une bonne terre que Dieu puisse ensemencer. Qu’il puisse ensemencer notre chair par la victoire sur nous-mêmes et la mortification, notre esprit par l’enseignement et la foi, notre âme par la semence de la grâce !
     
4. La Messe (Exsurge). — L’Introït est un appel poignant (Était-on dans les terreurs de la guerre ?) Aujourd’hui, il exprime les angoisses de notre Mère l’Église. Nous faisons monter vers le sanctuaire ce cri qui sort de la bouche et du cœur de l’humanité non rachetée. Sur le seuil de l’église de l’Apôtre des Gentils, l’ange des peuples païens fait entendre ce cri de détresse. L’oraison présente une exception rare : une collecte du dimanche s’adresse au saint de station. Dans l’Epître, l’Apôtre se tient devant nous. Il fait son propre portrait, un portrait d’une beauté sans égale. Il semble que saint Paul nous prenne par la main et nous dise : C’est ainsi que vous devez combattre ; c’est un combat de Carême, une semence de Carême. Au Graduel, nous pensons de nouveau à la détresse des âmes. La terre des âmes, elle aussi, a de “ graves blessures “ ; puisse le Carême qui approche les guérir ! L’Évangile : Le temps du Carême, le printemps des âmes est proche ; le divin semeur répand la grâce, de même que le “ froment eucharistique “, plus que jamais dans le champ du cœur. Au Saint Sacrifice, l’Évangile réalise sa vérité symbolique, le froment eucharistique est semé dans le sol de notre cœur : Le Christ meurt en nous et, avec nous, il ressuscite ; malgré notre faiblesse, “ la force du Christ demeurera” en nous. Les deux chants eucharistiques sont vraiment des chants de route : “ Dirige mes pas sur tes sentiers, afin que mes pieds ne s’égarent pas (Off.). “ Je monterai à l’autel de Dieu... “ (Comm.).
     
5. Office du jour. — La liturgie, pendant ce dimanche aussi, veut que l’Évangile nous accompagne tout au long du jour ; à chacune des Heures du jour, elle nous fait vivre la parabole. A ce sujet, il est intéressant de remarquer quelles sont les parties que l’Église fait particulièrement ressortir. Au lever du soleil, nous entendons le commencement et l’introduction de la parabole. Par là, la liturgie veut nous dire : le drame sacré commence : “ Le semeur sortit pour semer sa semence. “ C’est l’image du Christ aujourd’hui. Dans les trois stations suivantes du jour (de prime à sexte), nous chantons à chaque fois un passage de la parabole ; cependant la liturgie se tait complètement sur le sort de la semence qui n’a pas réussi, elle ne parle que de la bonne semence et des fruits abondants. Combien cela est instructif pour l’emploi des péricopes ! La liturgie pense tout d’abord aux croyants et aux bons, non aux pécheurs. “ La semence tomba sur de la bonne terre et produisit du fruit dans la patience” (Prime). “ Ceux qui gardent la parole de Dieu dans un cœur parfait et bon portent du fruit dans la patience ” (Tierce). Remarquons comme on insiste, dans les deux antiennes, sur la patience ; l’Église semble vouloir dire : le meilleur terrain où germera la semence de Dieu est la patience dans la vie chrétienne. “ La semence tomba sur une bonne terre et porta du fruit, l’une cent pour un, l’autre soixante pour un ” (Sexte). C’est intentionnellement que le chant s’arrête à soixante pour un : c’est que nous sommes à l’Heure de Sexte. “ Si vous voulez, frères, être vraiment riches, aimez la véritable richesse “ (None). Cette antienne n’est pas comme les autres tirée de l’Évangile, mais de l’homélie de saint Grégoire. Ainsi les quatre stations du jour, avec leurs antiennes, étaient l’image de la vie chrétienne florissante. Le soir, l’Église murmure à ses enfants le mystère du royaume de Dieu : Vous le connaissez.