DIMANCHE DE LA SEPTUAGÉSIME

Station à Saint Laurent
     
Dieu nous invite dans la vigne du royaume des cieux.
     
Le martyrologe annonce aujourd’hui avec une insistance caractéristique : “ Le dimanche de la Septuagésime à partir duquel cesse la louange de Dieu par l’Alleluia. “
     
1. Septuagésime (Soixante-dix). — Quelle que soit l’explication historique de cette relation, le nom rattache ce dimanche au point central de l’année liturgique, à Pâques. C’est donc le premier pas dans la préparation de Pâques. Au Moyen Age, on aimait les allégories et on songeait volontiers aux soixante-dix ans de la captivité de Babylone, dans laquelle on voyait un symbole de ce temps. Comme les Juifs, nous suspendons aux saules notre harpe de l’Alleluia, en songeant à Sion, c’est-à-dire à Pâques.
      
Le cycle pascal pénètre plus profondément dans notre vie que le cycle de Noël. Il faut que nous. devenions des hommes nouveaux ; il faut qu’à Pâques nous soyons de nouveaux baptisés, que nous soyons une nouvelle créature. La journée d’aujourd’hui est l’aurore de ce grand jour de conversion. Nous pouvons pressentir, par conséquent, que l’Église nous donnera aujourd’hui un programme pour le temps qui vient. Elle nous propose cinq choses.
     
a) Nous devons de nouveau reconnaître que nous sommes des pécheurs,. le premier point est donc d’avoir une conscience profonde de notre état de pécheurs. C’est pourquoi, dès que nous franchissons le seuil de la maison de Dieu, l’Église nous fait entonner ce chant saisissant : “ Je suis envahi par les gémissements de la mort, les douleurs de l’enfer m’ont envahi “ (Intr.). Quand nous ouvrons le bréviaire, il nous montre des images de la chute originelle. Cependant, il ne faut pas que l’espérance fasse défaut à notre conscience de pécheurs. “ Dans ma tribulation, j’ai crié vers le Seigneur et il m’a exaucé de son saint temple. “ Déjà, dans le lointain, nous voyons briller la lumière de Pâques.
     
b) Le second point est l’invitation. Nous recevons l’invitation de Dieu. Dieu, le Père de famille et le Maître de la vigne, appelle les ouvriers et il les appelle à toute heure. Comme cela est consolant ! Il n’est jamais trop tard ; Dieu nous appelle à tout âge ; que nous soyons enfant, jeune homme ou jeune fille, homme ou femme, vieux ou vieille, nous sommes invités ; répondons donc à l’appel. Le dimanche que nous célébrons aujourd’hui est le grand jour d’enrôlement du Seigneur. Dieu, dans son amour, recherche l’âme humaine.
     
c) Une tâche nous est prescrite. La vie chrétienne n’est pas une vie idyllique, une vie oisive ; c’est un rude labeur à la chaleur du jour, un dur combat dans l’arène. Pour nous montrer d’une manière vivante ce qui nous attend, l’Église nous conduit au tombeau du vaillant lutteur qu’est saint Laurent. Son combat pour le Christ, sur le gril du martyre, doit être notre idéal.
     
d) Au combat est réservée la couronne de la victoire et le travail mérite un salaire. C’est le denier de la vie éternelle, la couronne impérissable du ciel. Si les enfants du siècle dépensent tant de fatigue pour obtenir une couronne périssable, que ne devons-nous pas faire pour mériter la couronne éternelle!
      
e) Enfin, l’Église affiche un autre avis à l’entrée du temps pascal. Nous entrons maintenant dans la vie sacramentelle de l’Église. Le Baptême et l’Eucharistie sont au point central du cycle pascal. Malheur à nous si notre vie ne correspond pas à la volonté de Dieu ! Alors nous aurons le sort des Israélites dans le désert. Eux aussi reçurent un baptême et furent nourris d’une nourriture céleste, et cependant ils moururent et furent ensevelis dans le désert sans voir la terre promise. Telles sont les pensées principales du dimanche.
     
2. La Messe (Circumdederunt). — Nous nous rassemblons au tombeau de saint Laurent. L’Introït nous donne l’impression générale. Quelle différence entre l’Introït de dimanche dernier et celui d’aujourd’hui ! Alors c’était la joie et un tableau d’Épiphanie ; aujourd’hui c’est l’entrée saisissante dans le temps de pénitence. Qui fait la prière de l’Introït ? C’est saint Laurent sur le gril “ dans les gémissements de la mort et les tortures de l’enfer “ ; c’est aussi le Christ qui entre dans les combats de sa Passion ; c’est aussi l’Église qui, avec l’âme chrétienne, s’unit au Christ et à saint Laurent et, par la mortification de la chair, entre dans le temps de pénitence. Cet Introït caractérise tout le Carême et nous permet déjà de jeter un regard vers Pâques : “ et il a entendu ma voix de son saint temple “.
      
L’Oraison, aux accents si humbles, suppose les tentations. Nous acceptons les souffrances en expiation de nos péchés, mais nous implorons la délivrance.
     
L’Epître contient tout un programme pour le temps de Carême. La vie est un combat ; deux adversaires se disputent notre âme : le Christ et le démon. Il faut que le Christ soit vainqueur. Le temps de Carême est un temps de combat, il s’agit de reprendre la lutte. Mais le symbole a un sens plus profond encore. Le divin David entre dans l’arène pour vaincre le Goliath infernal. Dans sa victoire est renfermée notre victoire ainsi que celle de saint Laurent. L’Épître renferme encore une autre pensée : les deux sacrements de Pâques, le Baptême et l’Eucharistie, qui seront au centre des préoccupations de l’Église pendant le temps qui vient. La liturgie nous met aujourd’hui en garde contre l’abus de ces sacrements. Le baptême et l’Eucharistie, sans une vie agréable à Dieu, nous conduisent à notre perte.
     
Au Graduel, l’humanité exprime encore sa soif de Rédemption ; c’est le “ pauvre “ qui, de la prison profonde de son péché, lève les yeux vers le Rédempteur. Le De profundis fait une impression saisissante quand il sert à exprimer le désir de la Rédemption.
      
L’Évangile, avec la parabole des ouvriers de la vigne, est aujourd’hui une invitation solennelle de l’Église à travailler dans le royaume de Dieu, de l’âme. Pourquoi vous tenez-vous là oisifs ? Ne faites pas attention aux autres, laissez-les et répondez à l’invitation. Le Saint-Sacrifice nous donne aujourd’hui des forces pour la lutte. Dans la sainte communion, nous recevons par avance, avec saint Laurent, la couronne de la victoire. Dieu nous verse les arrhes du céleste denier ; déjà brille sur nous l’éclat de la gloire dont l’âme de saint Laurent a été inondée. Remarquons la progression des quatre chants : les angoisses de la mort — des profondeurs — la victoire — la gloire. Ces chants se rapportent : à saint Laurent, au Christ, à l’Église, à l’âme.
      
3. Lecture d’Écriture (Genèse I, 1-13). — Dans le haut Moyen Age, on lisait, après le chant des Vêpres, trois leçons du premier livre de Moïse. Par cette pratique, l’Église voulait, à chaque fois, marquer l’importance du recommencement de la lecture de l’Écriture sainte et, en même temps, exprimer son respect pour l’ancienne Loi. C’est avec respect et solennité que nous devrions, nous aussi, tourner aujourd’hui la première page de la Genèse. Il s’agit de l’œuvre des six jours, mais les répons de Matines nous disent clairement que les pensées de la liturgie vont plus loin et s’arrêtent de préférence à la création de l’homme et au péché originel. L’Église veut ainsi, pendant l’avant-Carême, dérouler devant nous la préhistoire de la Rédemption : le premier péché, le péché originel et ses conséquences ; Adam, l’ancêtre de l’humanité, auprès duquel elle place immédiatement le second Adam, le Christ.
     
Aujourd’hui, nous lisons la première moitié de l’œuvre des six jours : “ Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Mais la terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Et Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière fut. Et Dieu vit que la lumière était bonne et il sépara la lumière des ténèbres et il nomma la lumière jour et les ténèbres nuit et il y eut un soir et un matin et ce fut un jour. Dieu dit ensuite : Qu’il y ait une étendue entre les eaux et qu’elle sépare les eaux des eaux. Et Dieu fit l’étendue et sépara les eaux qui étaient au-dessous de l’étendue de celles qui étaient au-dessus de l’étendue. Et cela fut ainsi. Et Dieu nomma l’étendue ciel. Et il y eut un soir et un matin, ce fut le second jour. Mais Dieu dit : Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu et que paraisse le sec. Et ce fut ainsi. Et Dieu nomma le sec terre et l’amas d’eau, il le nomma mer. Et Dieu vit que c’était bon. Et il dit : Que la terre fasse pousser de l’herbe qui verdisse et porte semence et des arbres à fruits qui portent leurs fruits selon leur espèce, dans lesquels soit leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi. Et la terre fit pousser de l’herbe qui verdit et porte semence d’après son espèce et des arbres qui portent des fruits qui tous ont leur semence selon leur espèce. Et Dieu vit que c’était bon. Et il y eut un soir et un matin, ce fut le troisième jour. ”
     
Loin de nos la pensée de subtiliser sur le sens de ces jours. Nous acceptons avec reconnaissance la révélation de Dieu dont l’essentiel est le dogme du Créateur Tout-Puissant. Remarquons encore que le récit de la création présente une belle harmonie. Les six jours sont partagés en deux groupes : les trois premiers jours nous montrent l’œuvre de séparation ; les trois autres, l’œuvre d’organisation. Dans les deux groupes, le récit va de haut en bas : la lumière, l’air, l’eau, la terre. Dans le premier groupe : séparation de la lumière d’avec les ténèbres, de l’air d’avec l’eau, de la terre d’avec l’eau.
   
A la prière des Heures, les hymnes des Vêpres de toute la semaine chantent l’œuvre des six jours. Ces hymnes mériteraient d’être méditées. Dans ces hymnes, l’Église nous présente des pensées pratiques. Résolution : Passons cette semaine dans l’esprit de l’œuvre des six jours et prenons des résolutions de vie en conséquence. Aujourd’hui, nous pensons à la lumière divine et aux ténèbres spirituelles (le péché).
“La nuit descend, le chaos noir,
Entends nos pleurs et nos prières :
Lourd de ses fautes journalières,
Du ciel le cœur perdrait l’espoir... “
4. La prière des Heures. — Aux Matines, les leçons de la Genèse et de l’Évangile des ouvriers de la vigne sont comme les deux foyers où se concentrent tous les rayons de l’ellipse. Les Répons sont tous tirés de la Genèse. L’Église veut nous montrer par là que nous devons nous attacher fortement aujourd’hui aux pensées de la Création et de la chute originelle. Dans une formule concise et profonde, la liturgie extrait, à l’Antienne de Magnificat, l’essentiel du récit de la chute que raconte la Genèse. “ Le Seigneur dit à Adam : de l’arbre qui est au milieu du jardin, tu ne dois pas manger ; dès que tu en mangeras, tu mourras. ” Nous sommes là aux origines de l’histoire du salut ; c’est là le point de départ des malheurs et des souffrances sur la terre, mais aussi du salut et du bonheur de la Rédemption. Mais nos pensées s’en vont aussi vers un autre arbre planté au milieu du royaume de Dieu, sur lequel est mort le second Adam, un arbre dont le fruit nous donne la vie.
     
Cette antienne rattache immédiatement la lecture de la Bible à l’Heure du jour. Au cours de la journée, l’Église nous entretient beaucoup de l’Évangile, elle va même jusqu’à nous faire revivre la parabole ; elle en répartit les événements principaux et les paroles entre les différentes Heures du jour. A Laudes, “primo mane ”, nous sommes invités par Dieu à travailler dans sa vigne. A Prime, Dieu conclut avec nous le contrat et nous envoie au travail. A Tierce, “ tertia hora ”, il invite les retardataires. A None, vers le soir, il nous convoque pour recevoir le salaire. A Vêpres, nous sommes à la onzième heure.