DIMANCHE DANS L’OCTAVE DE L’ÉPIPHANIE - Fête de la Sainte Famille (double majeur)

Le dimanche dans l’Octave de l’Épiphanie forme la transition entre l’histoire de la jeunesse du Sauveur et son ministère public, car au jour Octave on célèbre déjà son baptême dans le Jourdain. C’est pourquoi l’Église nous présente aujourd’hui l’Enfant-Jésus à l’âge de douze ans. C’est sans doute encore un Enfant, mais il nous fait déjà songer à son ministère futur. — Mais cet office antique et très beau est actuellement supplanté par la fête de la Sainte Famille. La messe du dimanche est reportée au premier jour libre, généralement au lundi. Nous parlerons successivement de la fête de la sainte Famille et de la messe du dimanche. 

SAINTE FAMILLE 

En vérité tu es un Roi caché 

1. Premières impressions. — Nous avons vu que la liturgie de Noël est l’œuvre de l’Orient et de l’Occident. L’Occident nous a donné la fête historique et intime de Noël et l’Orient la fête de l’Épiphanie placée au-dessus du temps. Mais chacune des deux Églises a compris et développé cette dernière fête à sa manière. L’Église d’Orient a pensé surtout aux magnificences de la visite royale et des noces, l’Église d’Occident a vu surtout la “ fête des Rois ”. La fête d’aujourd’hui nous montre que ce ne sont pas seulement les diverses contrées mais encore les diverses époques qui ont contribué à la formation de la liturgie. La plupart des fêtes du temps de Noël (à part celle du Saint Nom de Jésus) remontent aux temps de l’ancienne Église et ont comme un parfum d’antiquité. Celle d’aujourd’hui est issue du temps présent. La comparaison entre ces deux ordres de fête nous fera mieux connaître la manière et l’esprit de la liturgie. Quand on a récité les Matines et célébré la messe d’aujourd’hui, on est frappé de trois particularités : a) ici la pensée passe avant l’action ; b) le but de la fête est un enseignement, une leçon morale, c) le caractère sentimental est plus visible que dans les fêtes anciennes. 

a) Les anciennes messes sont des mystères en action, c’est un drame divin dont les textes sont l’illustration ; l’avant-messe et même la prière des Heures sont l’image de ce qui se réalise au Saint-Sacrifice. La fête d’aujourd’hui est, dans ses textes liturgiques, une méditation de la vie cachée de la Sainte Famille à Nazareth. Les Matines et l’avant-messe n’ont qu’un lien assez lâche avec la messe elle-même. C’est une méditation vraiment attachante : le Roi caché dans sa vie d’obéissance ; sa sainte Mère, la Reine et la Vierge prêtre de la Sainte Famille ; Saint Joseph, l’humble chef de la sainte Famille ! Considérons la Sainte Famille dans le travail, dans la prière, dans la joie et dans la peine. 

b) Quel est le but de la fête ? C’est un but particulier. Elle veut présenter aux familles, dont la vie a été si ébranlée par la grande guerre, l’exemple de la Sainte Famille de Nazareth. Ceci est encore une différence. Les anciennes messes et les anciennes fêtes nous donnent sans doute une leçon de vie, elles aussi, mais ce n’est pas là leur but principal. La fin et le but de Noël, c’est la venue du Christ. Notre fête veut renouveler la famille chrétienne. Nous autres chrétiens, qui sommes des liturgistes conscients, nous aurons à cœur de suivre l’exhortation pressante de notre Mère l’Église, nous développerons l’esprit du foyer au sein de notre famille, nous aurons du zèle pour la sainteté de la famille. N’oublions pas non plus de cultiver l’esprit de famille, dans notre communauté liturgique. 

c) Notre fête plaçant au premier plan la méditation et l’enseignement, il n’est pas étonnant qu’elle fasse appel à tout ce qui peut émouvoir notre sensibilité. C’est pourquoi les textes sont très touchants. Celui qui n’est pas encore très initié à la liturgie éprouvera, par exemple, un grand charme à réciter les Matines ; les Hymnes, composés par le pape Léon XIII lui-même, sont très lyriques. Les Leçons du premier nocturne sont un miroir de vertus pour la famille chrétienne, les Répons sont de charmantes miniatures ; les Leçons des deux autres Nocturnes sont elles-mêmes attrayantes et touchantes. On le voit, l’Église est, dans sa liturgie, semblable au père de famille de l’Évangile : elle tire de son trésor “ du nouveau et de l’ancien ”. 

2. La messe (Exultat gaudio) : La messe de la fête est claire et facile à comprendre : l’Evangile est le joyeux message de la vie cachée de Notre-Seigneur (la disparition de l’Enfant Jésus au temple ne joue dans cette fête qu’un rôle secondaire) ; le verset principal de l’Évangile est celui-ci : “ Il descendit avec eux et vint à Nazareth et il leur était soumis ”. Nous apprenons ici que souvent un Evangile n’est choisi qu’à cause d’une seule phrase. L’Epître veut nous peindre la vie de la sainte famille : la charité, l’humilité, la patience, la paix, la prière, au foyer de Nazareth. “ Tout ce que vous faites, en paroles et en œuvres, faites-le au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et rendez grâces à Dieu le Père par lui. ” L’Épître est en même temps un miroir de vertu pour chaque famille. Les Oraisons demandent l’intercession, la protection et l’imitation de la Sainte Famille. La dernière -demande que Marie et Joseph viennent à notre rencontre à l’heure de la mort et que Jésus nous reçoive dans les tabernacles éternels. Les chants sont lyriques, ils transportent l’âme pieuse dans la petite maison de Nazareth et nous montrent la Sainte Famille dans la joie (Intr.) : “ Comme elle est aimable ta demeure, Seigneur des armées, mon âme a soupiré avec ardeur vers les vestibules du Seigneur. ” L’Église applique aujourd’hui ce beau psaume à la petite maison de Nazareth. Le chant de l’Alleluia admire “ le Roi caché, Dieu d’Israël et Sauveur ”. Il est caché dans la petite maison de Nazareth. L’Offertoire convient très bien : la présentation de Jésus était une véritable offrande, ce qu’est aussi dans son essence notre sacrifice. La Communion nous permet aussi un beau rapprochement. De même que Notre-Seigneur “ descendit avec ses parents et vint à Nazareth ” il descend encore sur l’autel et “ nous est soumis ”. 

3. Lecture d’Écriture (I. Cor. chap. 1). — Aux Matines, les Leçons du premier Nocturne sont choisies spécialement. Elles sont un développement de l’Épître. Elles contiennent des enseignements sur la vie chrétienne de la famille. Cependant nous commençons aujourd’hui la lecture suivie de l’Épître aux Corinthiens. Pour l’importance et l’étendue, cet Épître vient immédiatement après celle aux Romains. Elle s’en distingue par le sujet ; cependant Saint Paul y explique méthodiquement l’œuvre du salut du Christ. Mais il le fait sans plan, il se contente de répondre successivement à des questions et de résoudre des difficultés. L’Épître aux Romains nous fait connaître la théologie de l’Apôtre, l’Épître aux Corinthiens nous fait pénétrer dans la vie des communautés de l’Église primitive et c’est là ce qui constitue la valeur principale de cette Épître. A la théologie succède la pratique. Il conviendrait que tout chrétien cultivé étudie méthodiquement cette Épître.. Mais l’Église ne nous laisse qu’une semaine pour en faire la lecture. C’est pourquoi nous en choisirons librement sept passages qui nous montreront la magnificence du royaume fondé par le Christ. 

Nous lisons aujourd’hui le commencement de l’Épître. Saint Paul commence solennellement : “ Paul, par la volonté de Dieu appelé Apôtre de Jésus-Christ, et Sosthènes son frère souhaitent à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui sont sanctifiés dans le Christ Jésus, à tous ceux qui sont appelés saints, ainsi qu’à tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur, où qu’ils soient et que nous soyons, grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ. Je rends grâce à Dieu continuellement, à votre sujet, à cause de la grâce de Dieu qui vous a été donnée dans le Christ Jésus. Par lui vous êtes en effet devenus riches en tout don d’enseignement et en toute science, car la prédication du Christ a été affermie parmi vous. Et vous n’êtes privés d’aucun don de la grâce et vous pouvez attendre la manifestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vous donnera la persévérance jusqu’à la fin et vous serez sans blâme au jour de l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Dieu est fidèle, par qui vous avez été appelés dans la société de son Fils, Jésus-Christ Notre Seigneur. ” 

Quand on médite cette introduction, on se rend compte des principes de vie qui animaient les premiers chrétiens et en même temps de l’enthousiasme de saint Paul. — Dans la suite, saint Paul stigmatise le malheureux esprit de parti qui divisait les Corinthiens ; il compte quatre partis : “ Je crois bien que chacun d’entre vous dit : Moi, j’appartiens à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas, moi au Christ ”. Il parle ensuite de la folie de la Croix : “ car la parole de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une force de Dieu... Les Juifs demandent des signes, les Grecs la sagesse, quant à nous, nous prêchons le Christ crucifié qui est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Gentils. Mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Gentils, nous prêchons le Christ, la force de Dieu et la sagesse de Dieu. ” 

4. La cellule liturgique. — La famille est la cellule de toute communauté : de l’État, de la société humaine, ainsi que de l’Eglise. De la santé de la cellule dépend le bien-être de tout le corps, de l’ensemble de l’organisme. De la santé morale de la famille dépend le bien de l’État, ainsi que le bien de l’Église. Nous devons donc avoir à cœur de posséder des familles vraiment chrétiennes. Malheureusement, c’est précisément la famille qui a le plus souffert des conséquences de la grande guerre. Le but des ennemis de la foi est de détruire la famille et par là d’empoisonner les cellules fondamentales de l’organisme chrétien. Hélas ! on sape de plus en plus la vie de famille. Est-ce que notre renaissance liturgique ne pourrait pas apporter sa contribution à la restauration de la famille ? Assurément et une large contribution. Tout d’abord la liturgie entretient et développe l’esprit de communauté : elle fait l’éducation de cet esprit. Il faut abandonner l’esprit d’égoïsme quand on veut se laisser guider par la liturgie. Le dogme sublime et fondamental du corps mystique du Christ, sur lequel s’appuie la liturgie, doit logiquement restaurer la famille. La famille est le corps mystique en petit, elle est la cellule de ce corps mystique. C’est justement la famille qui peut présenter à nos regards le corps mystique dans sa réalité. Il est si difficile autrement de faire voir cette réalité. Les hommes croient toujours que c’est une image et une parabole ; mais, dans la famille, ils peuvent en reconnaître la réalité. Le père est la tête du corps, comme le Christ est la tête de l’Église ; la mère est le corps, comme l’Église ; les enfants sont les membres, comme les chrétiens sont les membres du corps mystique. Dans une vraie famille, il n’y a réellement qu’une volonté et qu’une pensée “ un seul cœur et une seule âme ”. Le pain terrestre vient du père ; il est distribué par la mère ; les enfants reçoivent sang et vie de leurs parents. C’est là encore une magnifique image du corps mystique. Mais c’est plus qu’une image, c’est un symbole plein de réalité. Le père a quelque chose en lui du Christ, chef du corps mystique ; il n’est pas seulement son représentant, il porte quelque chose en lui de son essence et de sa présence ; la mère aussi a quelque chose de l’Église ; quant aux enfants, ils sont membres du grand corps mystique du Christ. 

Maintenant adoptez cet esprit d’unité dans votre famille et tâchez de le réaliser pratiquement. Il faudrait tout renouveler. Vous, enfants,. voyez dans votre père le Christ. Voyez, honorez, aimez en lui le Christ. Que la femme aussi voie en lui le Christ. Quant à vous, pères de famille, essayez de vivre comme le Christ et de gouverner votre famille dans son esprit. La mère est l’Église. Quel idéal pour la femme ! Quel encouragement pour l’homme et les enfants ! 

Les enfants sont des membres remplis du Christ ; ce sont des cellules dans lesquelles le Christ doit grandir, arriver à la maturité et prendre forme. On ne peut pas s’imaginer comme une famille pourrait prospérer sans être entièrement pénétrée de cette pensée fondamentale. La liturgie a donc un rôle à remplir pour la famille. Que de choses nous pourrions dire encore ! Comme la liturgie sanctifierait la famille dans la prière, le sacrifice de la messe, les sacrements, l’année ecclésiastique ! La prière des Heures en famille : la prière du matin et du soir en commun ! Le sacrifice de communauté ! Comme la messe entendue et vécue en commun formerait la famille ! Cette famille rassemblerait les sacrifices, les travaux, les souffrances, les prières de toute la semaine pour les offrir à la messe du dimanche ; elle puiserait dans l’instruction du dimanche des exhortations mutuelles pour la semaine qui commence. Quelle importance n’ont pas les sacrements pour la famille : le baptême qui est une fête pour tous, la première communion, la Confirmation, les derniers sacrements ! Et tout particulièrement la mère a une mission liturgique dans la famille. C’est elle qui fera de sa maison une église, de sa famille une communauté liturgique. 

MESSE DU DIMANCHE

Ne savez-vous pas que je dois m’occuper des intérêts de mon Père ? 

1. Jésus à douze ans. — Quelle est l’importance de ce passage de l’Évangile, dans la messe du dimanche ? Dans la fête de la Sainte Famille, l’Église voulait nous présenter la vie parfaite de la Sainte Famille, comme un idéal ; dans la messe du dimanche nous célébrons une manifestation divine (une Épiphanie encore) et une phase importante de la vie rédemptrice du Christ. Notre Seigneur manifeste sa “ gloire ” aux époques importantes de sa vie : au moment de son Incarnation, par la mission de l’Ange et le miracle dans la maison d’Élisabeth ; au moment de sa naissance, par le Gloria des anges et l’étoile des Mages ; au moment de sa Présentation, par la prophétie de Siméon ; à l’âge de douze ans, l’âge de sa majorité, par son attitude surprenante, au temple, et l’affirmation de sa divinité ; à l’âge de trente ans par la révélation de la Sainte Trinité, pendant son Baptême ; au début de sa vie publique, par le miracle des noces de Cana ; de même au moment de sa mort, de sa Résurrection, de son Ascension. Cette manifestation de sa gloire, aux moments les plus importants de sa vie, a pour but de graver dans la mémoire de l’humanité les phases capitales de son œuvre rédemptrice. L’Église, fidèle à la recommandation de son Maître (“ faites ceci en mémoire de moi ”), célèbre dans son culte eucharistique tous les événements importants de la Rédemption et renouvelle ainsi, chaque année, toute l’œuvre du salut. Aujourd’hui, Notre-Seigneur nous annonce son programme rédempteur : “ Ne savez-vous pas que je dois m’occuper des intérêts de mon Père ? ” et nous donne en même temps, dans l’Eucharistie, la grâce de la majorité spirituelle qui se définit par la même parole. Encore une autre remarque. Dans un grand nombre de ces manifestations divines, dans la vie rédemptrice du Seigneur, sa Sainte Mère est à ses côtés et souffre ; c’est encore le cas aujourd’hui. Quelle signification a pour nous cette circonstance ? La Sainte Vierge est l’image de l’Église qui, par ses souffrances et sa coopération, s’approprie la grâce de la Rédemption et attend la grande manifestation divine, le retour de Notre-Seigneur. Le recouvrement de l’Enfant Jésus au temple est un symbole de son retour au dernier jour. Notre Mère l’Église le cherche jusqu’à sa Parousie “ avec douleur ” ; quand elle le retrouve, quand il vient, il dit : “ Ne savez-vous pas que je dois m’occuper des intérêts de mon Père” c’est-à-dire être assis à sa droite ? Le Saint-Sacrifice est la réalisation anticipée du retour, un reflet du retour du Christ dans le présent, $ et cela particulièrement au moment des fêtes de Noël et de l’Épiphanie. Essayons de comprendre le sens E profond de la messe d’aujourd’hui : nous voyons Notre-Seigneur entrant dans sa majorité, au moment de son premier et de son second avènement ; l’Église est là, c’est la Mère qui le cherche avec douleur et le retrouve avec joie.

2. La messe (In excelsio throno). — Quand on a compris l’importance de cette messe et qu’on en a admiré la beauté, on regrette que la fête de la Sainte Famille l’ait définitivement supplantée. A l’Introït, nous entrons dans le sanctuaire et nous voyons une merveilleuse image de la Parousie : le Christ est sur son trône, les anges l’entourent, sa royauté est éternelle. Puis nous chantons le psaume de la Résurrection, le ps. 99 (le dimanche est le jour de la Résurrection). L’Oraison nous rappelle que l’accomplissement de la volonté de Dieu est la première tâche de notre vie. Cette pensée anime toute la messe ; nous la retrouvons dans l’Epître : notre corps doit être une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu. Saint Paul exprime ici le sens profond de l’Offrande, il faut que nous soumettions notre vie à une réforme profonde. Nous entendons ensuite de belles considérations liturgiques sur le corps mystique du Christ. L’Évangile est une manifestation divine de l’Enfant Jésus ; ses paroles (les premières qui nous soient transmises de lui) le montrent comme Fils de Dieu, elles expriment sa vocation et aussi la nôtre : l’accomplissement de la volonté divine ; mais elles laissent aussi présager les combats qui se préparent. A l’Offertoire, nous nous -,présentons avec allégresse devant la face du Seigneur pour le servir et être ses victimes vivantes. La Communion reprend le leitmotiv de la messe : notre désir à nous aussi est de nous occuper des intérêts du Père céleste. Au Saint-Sacrifice, l’Église et l’âme tiennent la place de Marie qui retrouve Notre-Seigneur au moment de son retour.