DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS L’ÉPIPHANIE

Le Roi invite au festin nuptial

Dans le premier miracle de Notre Seigneur, aux noces de Cana, l’Église veut mettre encore en lumière devant le monde son “ Épiphanie ”. “ Il manifesta sa gloire ”, lit-on à la fin du récit, c’est-à-dire il manifesta sa divinité, par son miracle. Cet Évangile est plein d’édification. Quelle charmante image du Sauveur il nous présente ! Le Christ est ami de la joie, il prend part aux fêtes de famille et les sanctifie ; son premier miracle est fait pendant les noces. Et dans Marie nous voyons la plus noble image de la femme et de la mère, partout secourable, prévoyante, serviable, modeste, ne montrant pas de susceptibilité quand on n’accorde pas ce qu’elle demande ; ce que dit saint Paul dans son beau cantique de la charité s’applique parfaitement à elle : la charité est patiente, bienveillante, ne connaît pas l’aigreur. Marie par son intercession a obtenu le premier miracle. L’Évangile contient encore de profondes pensées mystiques. Nous nous rappelons la merveilleuse antienne de Benedictus le jour de l’Épiphanie : “ Aujourd’hui l’Église est unie au céleste Époux... ” Dans l’Ancien et le Nouveau Testament, nous rencontrons fréquemment l’image des noces et de l’Épouse. Le Christ est l’Époux et l’Église est l’Épouse. Chaque messe est comme une noce, la table nuptiale y est dressée. 

1. Les noces de Cana et nous. — Maintenant qu’après le temps de fêtes les passages évangéliques reprennent, dans la liturgie, une plus grande importance, demandons-nous quelle est l’intention de l’Église, en nous présentant un épisode de la vie de Notre Seigneur, par exemple : aujourd’hui le miracle des noces Cana. Le miracle est un événement historique et l’Église cherche certainement à nous édifier par les actions de Notre Seigneur et de la Sainte Vierge. Cependant ce n’est pas là son but principal. L’Église raconte le passé mais elle pense au présent. Elle veut nous dire : ce qui s’est passé, il y a 1900 ans, s’accomplit encore mystiquement en nous et particulièrement, actuellement, à la messe. Le Christ ne se contente pas d’avoir changé, il y a 1900 ans, de l’eau en vin, il veut faire aujourd’hui quelque chose de semblable et d’une réalité plus élevée. Nous pouvons même aller plus loin. Le miracle que Notre Seigneur fit alors, il le fit moins pour le miracle lui-même qu’en considération de l’avenir. Tous les miracles de Jésus, toute sa vie, ne sont qu’une image de son action dans son Église, car le but de toutes ses œuvres terrestres était le salut des hommes. Nous pouvons donc dire que le premier miracle du Christ, à Cana, est un symbole de ce que le Christ accomplit dans son Église, de ce qu’il veut accomplir aujourd’hui, à la messe. Nous comprenons maintenant quelle importance a pour nous la vie du Christ. Nous apprenons par là ce que le Christ veut faire parmi nous. Les circonstances historiques nous apprennent quelle attitude nous devons avoir devant cette action du Christ. Il s’ensuit que nous devons vivre cet épisode évangélique et, pour ainsi dire, jouer notre rôle dans cette scène. Représentons-nous comme les hôtes ou même l’époux ou l’épouse. Le Christ et sa Mère sont au milieu de nous. Cela n’est que fiction dira-t-on ; mais il y a une réalité, c’est le don de la grâce, c’est le salut qui nous est accordé aujourd’hui. 

Demandons-nous maintenant comment s’y prend la liturgie pour nous conduire aux noces de Cana ? Elle emploie un double moyen. a) Elle nous fait célébrer, à la messe, les noces de Cana d’une manière vivante ; h) dans la Prière des Heures, elle fait revivre ces noces pendant toute la journée. 
     
a) Où est-il question à la messe des noces de Cana ? En deux endroits : à l’Évangile et à la Communion. Que signifie cela ? Par l’annonce liturgique de l’Évangile, l’Église ne se contente pas de nous raconter un événement de la vie du Christ, mais elle met symboliquement le Christ et cet événement devant nous. Car ce n’est pas en vain que l’Église entoure la lecture de l’Évangile des plus grandes marques d’honneur qui ne peuvent s’adresser qu’au Christ regardé comme présent (les cierges, l’encens, le baiser, l’attitude debout, les signes de croix, l’ambon). Ainsi donc, dans l’Évangile, l’Église nous représente aujourd’hui le premier miracle. Ce miracle se reproduit d’une manière plus élevée encore dans l’Eucharistie. D’où vient que l’Église fait chanter, pendant le banquet eucharistique, quelques phrases de l’Évangile (et autrefois, quand le chant de la Communion avait toute son étendue, elle les faisait répéter sans cesse, peut-être jusqu’à dix fois) ? Pourquoi cela au moment le plus sacré, quand Notre Seigneur s’unit à notre âme et devient un avec elle ? N’y a-t-il pas là une déviation ? Non, l’Église dit : Voyez, c’est maintenant la vérité, le Seigneur a gardé jusqu’à maintenant le meilleur vin de l’Eucharistie, le miracle se réalise d’une manière plus haute au Saint-Sacrifice et dans la Communion. 
     
b) Dans la prière des Heures aussi, la liturgie nous fait revivre les noces de Cana. La prière des Heures doit sanctifier chaque jour, l’accompagner de ses bénédictions, mais elle doit aussi développer les idées et les sentiments du jour. Le jour commence avec le lever du soleil et se termine avec son coucher. Ces deux moments sont pour la liturgie les plus saints. Car dans le soleil elle voit le symbole du Christ, le divin Soleil de justice, qui se lève pour nous le matin et se couche le soir. Ces deux moments sont comme les foyers d’une ellipse où se concentrent tous les rayons, c’est là que l’Église rassemble ses pensées les plus sublimes du jour. C’est alors qu’elle célèbre ses deux Heures solennelles : Laudes (la prière du matin) et. Vêpres (la prière du soir). Dans chacune de ces Heures, il y a un point culminant : le Benedictus (le salut au Soleil qui se lève sur les hauteurs) et le Magnificat (l’action de grâces pour la Rédemption). Comment. ce divin soleil se lève et se couche chaque jour, le refrain de ces deux chants, l’antienne, nous l’apprend. Prenons celles d’aujourd’hui. L’antienne de Benedictus nous dit : “ A Cana, il y eut des noces et Jésus s’y trouva ainsi que Marie sa Mère. ” Que veut nous enseigner par là l’Église ? D’une manière simple et sobre, elle nous présente l’événement du jour. Maintenant, nous, dit-elle, vivez ce mystère, vous êtes assis aux noces avec Jésus et Marie. Toute la journée appartient à cette pensée. Que nous chantions ensuite le Benedictus, cela signifie que le Christ, le divin Soleil qui se lève, sera pour nous aujourd’hui le divin thaumaturge de Cana et qu’il nous apportera les grâces de Rédemption qui sont mystique ment contenues dans ce premier miracle. Le soir quand le soleil se couche, l’Église chante : “ Quand le vin fit défaut, Jésus fit remplir les cruches d’eau et l’eau fut changée en vin, A1leluia. ” 
     
Ces paroles expriment brièvement l’accomplissement du miracle, et dans son chant, l’Église veut nous dire : aujourd’hui vous avez reçu une grâce semblable mais plus belle encore que le bienfait de ce miracle : l’eau de votre esprit terrestre et pécheur a été changée en vin précieux de la vie divine qui est le Christ lui-même. En un mot, le miracle de Cana se renouvelle. aujourd’hui, d’une manière plus élevée, dans le mystère eucharistique, et je dois en vivre, toute la journée du lever au coucher du soleil. 
     
2. La messe (Omnis terra). — Les autres parties de la messe nous présentent maintes fois les pensées de Pâques et de l’Épiphanie. L’Introït est un chant. d’adoration et d’hommage au Dieu qui est apparu. Le psaume 65, qui est aujourd’hui le cantique dominant. de la messe (Intr. Offert. Comm. dans son extension complète), est à proprement parler un cantique pascal. L’Oraison est une prière pour la paix, elle n’a par conséquent aucun rapport avec l’action d’ensemble de la messe (cette oraison provient sans doute des temps troublés, des invasions des barbares). Dans l’Epître, l’Église parle (par la bouche de saint Paul) des fonctions ecclésiastiques. Chacun doit exercer le mieux possible la fonction où il a été appelé, sans désirer en exercer d’autres. L’accomplissement de sa vocation, la sagesse qui fait rester dans les limites de cette vocation, voilà le secret de la véritable grandeur chrétienne. Dans la seconde partie de l’Épître, quelques phrases, mais très suggestives, nous décrivent le vaste domaine de la charité envers le prochain. L’Épître nous donne donc d’importantes leçons pour l’organisation de la vie commune des chrétiens. C’est une pensée qui se trouve aussi dans le miracle des noces. Le graduel unit Noël et Pâques : Dieu a envoyé sa “ Parole” (le Christ) et nous a arrachés à la ruine (par la Rédemption). Cette pensée fournit un motif à l’allégresse pascale de l’Alleluia. A l’Offertoire on continue d’entendre un accent pascal (Psaume 65). Ainsi cette messe est une vraie solennité nuptiale, un festin nuptial ; l’impression générale est joyeuse. 

3. Lecture d’Écriture (II. Cor. I, 1-11). — Pendant la semaine qui commence, l’Église nous fait lire la seconde Épître aux Corinthiens. C’est une magistrale apologie de l’Apôtre en face de ses adversaires qui voulaient lui aliéner les cœurs des fidèles de l’Église de Corinthe. La lettre est, sans doute, assez difficile à comprendre, mais elle est riche de belles pensées et de vues sublimes. Il est à recommander au lecteur peu familier avec la Bible, de se préoccuper moins de la suite des idées e des beaux passages qu’il pourra remarquer et méditer. — Le passage que nous lisons aujourd’hui est l’introduction et contient quelques lignes profondes sur la communauté de souffrance et de consolation (ce passage est utilisé comme Épître au commun des Martyrs). 

“ Loué soit Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation. Il nous console dans toutes nos afflictions, afin que nous puissions nous aussi apporter de la consolation à d’autres qui se trouvent dans toute sorte d’affliction. Car à mesure que nous participons abondamment aux souffrances du Christ, nous recevons par lui une grande consolation. Or, si nous sommes affligés, c’est pour votre consolation et votre salut, si nous sommes consolés, c’est également pour votre consolation. Par là, vous êtes en état de supporter patiemment les mêmes souffrances que nous supportons. Et c’est ce qui nous donne une ferme confiance pour vous, car nous savons que, comme vous avez part aux souffrances, vous aurez aussi part aux consolations.) 

4. Prière des Heures. — Saint Jean Chrysostome, le grand patriarche de Constantinople, qui fut un admirateur passionné de saint Paul, nous recommande aujourd’hui la lecture attentive des Épîtres : “ Toutes les fois que j’entends lire les Épîtres de saint Paul, comme cela arrive deux fois par semaine[1]. — souvent trois ou quatre fois, toutes les fois que nous célébrons la mémoire des saints martyrs — j’éprouve, en entendant les accents de cette trompette spirituelle, une grande joie ; je me sens excité et rempli de désirs enflammés. Je reconnais, dans ces paroles, la voix d’un ami et il me semble que je le vois debout devant moi et que j’entends la prédication qui jaillit de ses lèvres. Mais, en même temps, j’éprouve du chagrin et du souci à la pensée que tous les chrétiens ne connaissent pas suffisamment ce saint, que quelques-uns le connaissent même si peu, qu’ils ne savent même pas, d’une manière précise, le nombre de ses Épîtres. Cela ne vient pas d’une ignorance naturelle, mais de ce fait, qu’ils ne veulent pas avoir ces écrits continuellement dans les mains. Quant à nous, nous devons avouer : toute notre science, si nous savons quelque chose, nous ne la devons pas à la bonté et à la pénétration de notre esprit, mais à ce saint homme. Nous lui avons voué un ardent amour et nous ne cessons jamais de lire ses écrits. Il en est de nous comme de ceux qui aiment ; ils connaissent les faits et gestes de ceux qu’ils aiment mieux que tous les autres, car ils ne cessent de s’en préoccuper. Cela l’Apôtre nous le montre lui-même dans son Épître aux Philippiens : “ Comme il convient de penser ainsi à vous tous, parce que je vous porte dans mon cœur, dans mes liens, dans l’affermissement et la défense de l’Évangile. ”) C’est pourquoi, si vous suivez la lecture de l’Apôtre avec une attention affectueuse, vous n’avez pas à chercher autre chose, car la parole du Christ reste vraie : “ Cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira. ” Mais comme plusieurs de ceux qui sont ici rassemblés sont absorbés par l’éducation des enfants, les soins pour leur femme et leur maison, et ne peuvent pas, par conséquent, se livrer à un tel travail, décidez-vous, tout au moins, à recevoir les pensées que d’autres ont rassemblées. Mettez, à les écouter, au moins autant d’attention que vous en mettez à la recherche des biens temporels. C’est presque une honte de ne vous demander que cela. Cependant il est désirable que vous apportiez au moins cette attention-là ” 

5. Le grand mystère. — Quand les chrétiens comprendront-ils la grande importance des sacrements ? Quand les recevront-ils comme il faut et apprendront-ils à en vivre ? En ce jour, l’Église célèbre une fête de noces ; en ce jour, le Christ a sanctifié le mariage par sa présence à des noces et par le miracle du vin. Aujourd’hui, tous les chrétiens mariés ou célibataires doivent examiner leur relation avec ce sacrement. Hélas, le mariage, même aux yeux des chrétiens, est devenu une chose purement mondaine. Le serment de fidélité juré devant l’autel est violé avec une telle légèreté ! Les époux se donnent aujourd’hui la main et demain se séparent. Tous les pasteurs des âmes savent par expérience que c’est justement à l’occasion de la réception de ce sacrement que se manifeste l’ignorance religieuse la plus crasse. A la campagne, la situation est sans doute meilleure, mais, à la ville, sur cinquante couples, peut-on dire d’un seul : Ils savent de quoi il s’agit ? Saint Paul a prononcé, sur le mariage, une parole profonde que les époux devraient méditer toute leur vie : “ (Le mariage) est un véritable mystère ; mais je l’entends par rapport au Christ et à l’Église. ” 

Le mariage est donc un sublime mystère. Non ce n’est pas la vraie traduction. Peut-être faudrait-il dire : c’est un symbole mystérieux, plein d’efficacité, de l’union sacrée entre le Christ et son Église. Il y a pour le mariage une grande et sublime image dans la surnature : l’union conjugale entre le Christ et l’Église. Saint Paul expose les points de comparaison : “ L’homme est le chef de sa femme comme le Christ est le chef de l’Église, car il est le Sauveur de son corps.” -Rappelons-nous l’idée fondamentale de la liturgie : le corps mystique. Le Christ est la tête ; son corps qui est l’Église reçoit de lui toute force, toute vie, toute grâce de Rédemption. “ De même que l’Église est soumise au Christ, que les femmes aussi soient soumises à leurs maris en tout. ” Saint Paul tire cette conclusion de la comparaison. Cependant la femme pourrait se plaindre et dire que la conclusion est purement en faveur de l’homme. Mais saint Paul continue la comparaison et cette fois en faveur de la femme : “ Vous, maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé son Église et s’est livré pour elle, afin de la purifier dans l’eau du baptême et de la sanctifier. Il voulait se procurer une Église magnifique, sans tache, sans ride et rien de tel ; il voulait qu’elle soit toute sainte et sans souillure. Ainsi il faut que les hommes aiment leurs femmes comme leur propre corps. ” Saint Paul a raison ; l’homme et la femme ont, dans le mariage, des devoirs également graves. La femme doit l’obéissance, le mari l’amour. La pensée de cette sublime comparaison seule devrait donner aux époux la force de surmonter bien des difficultés dans le mariage. Cependant jusqu’ici nous en sommes restés aux considérations d’ordre naturel. 

L’union surnaturelle du Christ et de son Église n’est pas seulement une image et un symbole du mariage. Saint Paul parle d’un grand mystère. Nous avons traduit par symbole mystérieux et plein de réalité. Il s’agit donc plutôt d’une figure que d’une simple comparaison. Dans le mariage, il y a quelque chose du modèle dont il est l’image. L’homme possède quelque chose de l’essence et de la présence du Christ. La femme n’a donc pas à obéir à l’homme qui peut avoir ses défauts et ses caprices, mais au Christ qui se cache en lui. L’homme, à son tour, n’aime pas telle personne ; son amour doit être surnaturel, devenir l’amour du Christ pour son Église. D’où vient cette réalité plus haute ? Du sacrement de mariage. Les chrétiens d’aujourd’hui ont de la peine à comprendre cela et à y croire. C’est la preuve frappante que nous sommes loin de la piété liturgique (objective). Or c’est précisément l’efficacité des sacrements qui place les hommes dans un mode d’être plus élevé. L’homme et la femme deviennent autres par le mariage. Ils sont, tout au moins dans leurs relations mutuelles, des êtres surnaturellement élevés et participent au Christ et à l’Église. Nous avons ici un exemple classique des deux mondes religieux qui s’opposent actuellement. La piété vue du côté de l’homme (subjective) s’arrête à la simple figure et en tire la morale. La piété liturgique (objective) aperçoit ou du moins pressent Il le grand mystère ”, l’être nouveau, “ la nouvelle créature ”. Il en est ainsi de tous les sacrements et même de tout le christianisme. 
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[1] Nous voyons qu’au temps de saint Jean Chrysostome (+404) la messe était célébrée deux fois la semaine. On y lisait toujours, comme Épître, un passage de Saint Paul.