CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS L’ÉPIPHANIE (semi-double)

Le Roi vient comme un Juge sage

La manifestation du divin Roi devant le monde demande aussi qu’il se manifeste dans sa puissance et son action : Il se montre d’abord comme Sauveur (38 dimanche), comme médecin des âmes lépreuses. dans le royaume duquel sont reçus les pécheurs et les Gentils. Il apparaît ensuite comme vainqueur des flots de l’Enfer (48 dimanche). Sa victoire pascale se poursuit dans l’Église et dans l’âme. Enfin il se montre aujourd’hui comme juge sage et patient (58 dimanche). Il laisse croître et mûrir la bonne et la mauvaise semence, Il ne veut pas intervenir violemment, il peut attendre. Ce n’est qu’à la fin du monde qu’aura lieu sa dernière et grande “ Épiphanie ” ; alors tous paraîtront devant son tribunal pour être jugés. Alors le psaume du jugement, le ps. 96 que nous chantons, maintenant, trois fois tous les dimanches (Introït, Alleluia, Communion) se réalisera pleinement. 

1. La messe (Adorate Deum). — Nous connaissons déjà les chants psalmodiques. Nous les avons chantés le troisième et le quatrième dimanche. Ils sont caractéristiques du temps après l’Épiphanie : le Seigneur a bâti Sion et y paraît dans sa gloire. L’Oraison voit, dans la société chrétienne, la famille de Dieu. Le rôle continuel de Dieu est de la garder, de la protéger, de la défendre. Cette famille ne s’appuie pas sur ses propres forces, mais uniquement sur la grâce de Dieu. Il faut maintenant que cette prière se réalise à la messe. Notre préparation est la confiance, le fruit du Sacrifice est la protection divine. Les lectures nous montrent deux tableaux opposés de l’Église, un tableau aimable et un tableau sombre. Dans l’Epître, saint Paul nous décrit l’idéal de la vie de l’Église : une communauté de saints, que pare toute une couronne de vertus. La charité y domine en reine et, dans son cortège, on voit la paix du Christ. Saint Paul nous fait entrevoir la vie cultuelle et la vie privée de cette communauté, où la parole de Dieu a toute sa richesse. Nous l’entendons chanter des psaumes et des cantiques spirituels et, chez eux, les fidèles vivent, en tout, au nom de Jésus. L’Évangile nous montre le tableau opposé. Nous voyons encore une communauté chrétienne, mais on y remarque des faiblesses humaines, des péchés et même de graves scandales, de la tiédeur, de l’indifférence, de la jalousie, de la part des chrétiens. Cela nous fait de la peine, mais le Sauveur nous aide à résoudre l’énigme du mal dans l’Église et dans l’âme. 

Voici d’après l’Évangile quel sera notre programme de la semaine : pour ce qui nous concerne, nous essayerons de réaliser en nous l’idéal ; pour ce qui concerne les autres, nous apprendrons à imiter la patience de Dieu vis-à-vis du mal et à ne pas nous en scandaliser. L’Évangile nous fait pénétrer dans les mystères du royaume de Dieu et nous montre la croissance mystérieuse et souvent inexplicable du royaume de Dieu dans l’Église et dans l’âme. Ce mystère est la permanence du mal dans l’Église. Le mal est la semence du démon, il peut et doit se développer librement et parvenir à maturité. La liberté est accordée sur la terre au bien et au mal. Le mal lui-même a un rôle à jouer dans le plan de Dieu : il doit purifier le bien, éprouver sa fermeté, il est dans la main de Dieu une férule pour le bien. A proprement parler, il ne peut pas nuire au royaume de Dieu et c’est là une consolation pour nous quand nous voyons tant de mal sur la terre. Appliquons aussi l’Évangile à notre âme. Le divin semeur jette aujourd’hui, dans notre âme, le bon grain de l’Eucharistie ; ce grain doit lever dans la semaine. Sans doute, dans la semaine, le démon sèmera aussi son ivraie parmi ce bon grain. Mais il faut que, par notre pénitence, nous détruisions l’ivraie. Que le Sacrifice d’aujourd’hui, le Sacrifice de la “ réconciliation ” fasse disparaître cette ivraie et raffermisse nos “ cœurs chancelants ” (Secrète). L’Eucharistie est le “ gage ” de l’accomplissement de notre salut. Pour employer le symbole de l’Évangile, le divin moissonneur rentre déjà nos gerbes mûres dans les greniers célestes. 

2. Le Psaume directeur 96. — Aux Matines de l’Épiphanie, nous avons vu, pendant toute une semaine, la manifestation du Christ devant le monde, dans le tableau que nous donne ce psaume et, les dimanches après l’Épiphanie, ce psaume est chanté à trois reprises à la messe (Intr. Grad. Comm.) pour rendre hommage au divin Roi qui fait une visite festivale dans sa ville. Il convient donc que nous essayions de connaître plus à fond ce psaume : 
I. Apparition de Dieu.  
Le Seigneur est Roi, que la terre jubile,
Que se réjouissent les nombreuses îles.
Voici que les nuées sombres sont son manteau,
Le droit et la justice sont les soutiens de son trône.
Le feu marche devant lui
Et dévore à la ronde ses ennemis.
Ses éclairs illuminent la terre,
La terre le voit et tremble.
Comme de la cire s’écoulent devant le Seigneur les montagnes,
Toute la terre, devant la face du Seigneur.
Le ciel annonce sa justice
Et tous les peuples contemplent sa majesté.  
II. Le jugement.  
Là se tiennent confondus les adorateurs d’idoles
Qui se font gloire de leurs vains simulacres ;
Adorez-le, vous qui êtes ses anges. Sion entend et se réjouit ;
Les filles de Juda tressaillent,
A cause de ton jugement, Seigneur.
Car toi, Seigneur, tu es le plus haut sur toute la terre,
Élevé bien haut au-dessus de tous les princes.
Vous qui aimez Dieu, haïssez le mal,
Les âmes de ses saints, Dieu les garde,
Il les délivre de la main des pécheurs.
La lumière se lève sur les justes
Et la joie sur ceux qui ont le cœur droit.
Ainsi vous qui êtes justes, réjouissez-vous dans le Seigneur
Et louez mon saint nom. 
Le psaume appartient à la série des psaumes royaux (92, 94-98) qui chantent le Dieu qui a fait alliance avec Israël comme le Roi du monde entier et le vainqueur des Gentils. Quelques-uns de ces psaumes commencent par l’acclamation : le Seigneur est Roi (Dominus regnavit). 

Dans notre psaume, l’avènement messianique est représenté sous l’aspect, cher au psalmiste, d’un orage, terrible et dévorant pour les méchants, purifiant et rafraîchissant pour les bons. Ce cantique énergique est divisé en deux strophes de plan assez semblable. La première strophe décrit l’apparition de Dieu pour le jugement, la seconde décrit le jugement lui-même. 

Ce qu’Israël, aveuglé en partie par des préjugés nationalistes, n’a vu qu’obscurément, le Christ en a fait pour nous une réalité. Le Dieu de l’alliance qui doit venir, recouvert du manteau de l’orage, pour juger le monde, c’est Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Sans doute, extérieurement, il paraît vêtu du manteau de l’humilité, mais, en réalité, il est “ le plus fort ” ; il est venu dans le monde pour vaincre le “ fort ”. le prince de ce monde et, avec lui, les idoles et les idolâtres. Les Juifs attendaient la venue du Messie, pour juger, pour anéantir les nations et pour établir la domination d’Israël sur le monde. Comme les choses se sont passées différemment ! Le Christ est bien venu pour juger, mais d’une toute autre manière. Le jugement messianique, chacun l’exécute en soi-même : “ celui qui croit en lui ne sera pas jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé (Jean III, 18). Maintenant, dans le temps qui suit l’Épiphanie, nous avons l’hôte divin dans nos murs, c’est pourquoi notre âme est toujours joyeuse et les “ nombreuses îles ” elles-mêmes se réjouissent (ce sont les Gentils, dont les Mages furent les prémices). La venue du Seigneur est la préparation de son dernier avènement “ en grande puissance et gloire ” pour l’effroi des méchants et la joie des “ filles de Sion ” (c’est-à-dire des enfants de l’Église) ; à la messe, il est environné de ses anges et, à la communion, ” il garde les âmes de ses saints et les délivre de la main des pécheurs. ” 

3. Lecture d’Écriture (1. Tim. 1, 1-16). — Saint Paul a écrit trois Épître$ à ses disciples préférés. deux à Timothée et une à Tite. Comme ces lettres contiennent surtout des avis sur les devoirs des pasteurs d’âmes, on les appelle volontiers les Épîtres pastorales. Elles sont d’abord pour les prêtres un guide précieux dans la direction des âmes, mais tous les chrétiens appelés à l’apostolat laïc, peuvent trouver, dans ces Épîtres, d’édifiantes leçons. Elles nous font connaître aussi la tendresse humaine de l’Apôtre et son amour surnaturel pour ses chers disciples. 

“ Je rends grâces à Notre Seigneur Jésus-Christ qui m’a donné la force, de ce qu’il m’a jugé fidèle et m’a destiné à son ministère, moi qui jadis étais un blasphémateur, un persécuteur et un insulteur. Mais j’ai trouvé la miséricorde de Dieu, parce que j’agissais sans savoir, dans l’incrédulité. Or la grâce de Notre-Seigneur a surabondé en moi, avec la foi et l’amour dans le Christ Jésus. Sûre et digne de toute créance est la parole : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis le premier. Mais j’ai obtenu miséricorde, afin que, d’abord en moi, Jésus-Christ montrât sa patience. Je devais être un exemple pour ceux qui croiront en lui et parviendront à la vie éternelle. A lui, le Roi des siècles, l’Immortel, l’Invisible, le seul Dieu soit honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. ” “ Avant toutes choses j’insiste pour qu’on fasse des supplications, des invocations, des prières pour tous les hommes, pour les rois et toutes les autorités, afin qu’ils mènent une vie tranquille et paisible en toute piété et chasteté. Ceci en effet est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient, sauvés et parviennent à la reconnaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes : l’Homme, le Christ Jésus. Il s’est donné lui-même comme rançon pour tous les hommes et cela a été connu en son temps. C’est pourquoi j’ai été établi prédicateur et Apôtre — je dis la vérité, je ne mens pas — comme docteur des Gentils dans la foi et la vérité. ” 

4. Le péché. — C’est la pensée essentielle de ce dimanche. Quel rôle joue le péché dans le royaume de Dieu ? Comment les textes liturgiques traitent-ils le péché ? Si nous feuilletons le missel et si nous examinons les lectures (Épîtres et Évangiles) de l’année, nous n’entendrons que très rarement parler du péché. Même dans les messes de Carême, l’Église parle peu du péché. En dehors du Carême, il n’y a peut-être que trois dimanches dans lequel l’Église fasse un exposé un peu plus long sur le péché. Ce sont : le dimanche d’aujourd’hui, le quatrième dimanche après la Pentecôte, où il est question de l’amour de Dieu qui va à la recherche du pécheur et le neuvième dimanche, qui traite de l’enfer. C’est là la première notion du péché que nous puisons dans la liturgie. La liturgie aime peu parler du péché et elle ne le fait que rarement. Elle veut justement élever les chrétiens ; elle veut être l’Évangile, c’est-à-dire la bonne nouvelle ; elle aime donc mieux parler du bien, des biens et des trésors de l’Église. 

La liturgie suit l’exemple du Seigneur, qui, lui non plus, n’aimait pas parler du péché. Certes il ne prend pas le péché à la légère, il est mort pour le péché ; mais ; il ne fait pas beaucoup de bruit à propos de chaque péché particulier. Dès qu’il voit que le péché a été exclu de la volonté humaine, il n’existe plus pour lui : “ Je ne te condamnerai pas, ne pèche plus. ” C’est la !g seule parole qu’il adresse à la femme adultère. Et nous le voyons toujours faire preuve de douceur envers les pécheurs ; par ex. : envers la Samaritaine, le bon larron, sur la croix, la Madeleine. Cette douceur apparaît sous son jour le plus beau dans la parabole de l’Enfant prodigue. Le Seigneur n’a pas de rancune pour le péché, tout est oublié dès que le repentir a chassé le péché du cœur. 

Agissons de même. Ne voyons dans les hommes que ce qu’il y a de bon et fermons les yeux sur leurs défauts et leurs faiblesses et surtout ne les menaçons pas de châtiments et d’enfer. Aimons à trouver des excuses pour les faiblesses des hommes. “ Ils ne savent pas ce qu’ils font. ” A quoi bon se lamenter sur les péchés du monde actuel ? Que nous sert-il de lancer l’interdit contre les adversaires de notre foi ? Cela ne fait qu’élargir le fossé entre eux et nous. N’y a-t-il pas du bon, même chez nos adversaires ? Ceci nous fait apercevoir immédiatement une différence profonde entre la piété liturgique (objective) et la piété moderne (subjective). Cette dernière part de l’homme, examine particulièrement les actions des hommes et, par suite, s’occupe beaucoup du péché. On peut dire que toute son attention tend à éviter le péché. Ces chrétiens ressemblent à ces hommes méticuleux qui passent toute leur journée à faire disparaître de leurs vêtements la moindre trace de poussière. “ Pourvu qu’il n’y ait pas de péché !”, c’est leur devise. Dominés par la conscience du péché, ces gens n’arrivent jamais à la vraie joie du christianisme. Leur piété consiste en examens de conscience, en examens particuliers, en inscriptions de manquements, en gains d’indulgences, en confessions, en retraites, en récollections. Ils sont incapables d’arriver à un travail positif dans leur vie religieuse. 

Que fait la piété liturgique ? Elle part de Dieu. Elle sait que, malgré nos défauts et nos faiblesses, Dieu nous a élus et choisis et nous a donné la grâce. Or il s’agit d’ouvrir son cœur tout grand à la grâce. La vie doit croître et se nourrir. Là où il y a la vie, il y a joie, mouvement, santé. C’est là un travail positif. La piété liturgique garde davantage “ ce qui est en haut ”. Certes elle ne prend pas le péché à la légère. Le péché est justement une maladie, un danger pour la vie divine. Ce serait insensé de ne pas tenir compte de la maladie ; il faut se procurer des remèdes. Mais que, comme un neurasthénique, on pense continuellement à la maladie, au risque d’empoisonner sa vie, cela ne peut pas être la volonté du Créateur. Jouissons de la vie, j’entends la vie divine ; nourrissons-la du pain céleste ; faisons-lui porter des fleurs et des fruits par les bonnes œuvres, tel est le résumé de la piété liturgique. 

Assurément il y a des temps où nous devons penser aux maladies et à leur guérison. Mais ces temps sont les plus rares de l’année et de la vie. Ayons l’impression que nous sommes des hommes rachetés du péché. Aujourd’hui cependant l’Église nous dit quelques paroles très importantes sur le péché : 1. Le péché est. une semence du diable. Le diable est toujours en jeu. Sur la terre, c’est toujours un maître puissant ; ne sous-estimons pas sa force. 2. Sur la terre, nous avons la liberté pour le bien et le mal. Le péché lui aussi peut se répandre. C’est un fait avec lequel il nous faut compter. 3. Ce n’est qu’à la fin qu’il y aura une sanction juste. Alors le péché non expié recevra son châtiment. Quel calme et quelle certitude ne nous donne pas l’Évangile de ce dimanche !