APPENDICE - LE COMMUN DES MARTYRS DANS LE TEMPS PASCAL

L’honneur particulier que l’Eglise rend aux martyrs trouve son couronnement dans ce fait qu’ils ont un commun spécial dans le temps pascal. L’Eglise veut unir le martyre avec la victoire que le Christ a remportée dans sa Passion, de la manière la plus étroite. La “ blanche armée des martyrs ” est l’escorte du vainqueur de la mort et de l’enfer. La liturgie veut donc, dans la solennité des martyrs, réaliser la parole de saint Paul : “ Si nous participons à ses souffrances, nous participerons aussi à la consolation ”. Les deux formulaires (le premier pour un martyr, le second pour plusieurs martyrs) se distinguent par une beauté et une profondeur classiques, et respirent l’esprit triomphant du martyre tel que le connaissait l’ancienne Église.
    
1. Messe pour un martyr (Protexisti).
    
Dans cette messe, nous sommes frappés immédiatement par le caractère direct et dramatique et par la fraîcheur des chants. C’est un signe de son antiquité. Sans beaucoup de considérations, la liturgie nous montre le saint, le fait parler, passe d’un tableau à l’autre. Dans l’Introït, le martyr lui-même chante un cantique d’action de grâces : Les persécuteurs n’ont fait qu’accroître son triomphe. Le psaume 63 (qu’il faut envisager en entier) était appliqué : le Vendredi et le Samedi saints, à la Passion du Christ ; il sert maintenant au saint à décrire son martyre. Nous l’entendons se plaindre et crier. Nous voyons les ennemis “ aiguiser leur langue comme des épées ”, “ attaquer l’innocent ” ; nous les voyons concevoir leur plan infernal. Et pourtant, ils ne sont pas les vainqueurs : “ Leurs coups sont devenus des flèches d’enfants ”. En grinçant des dents, ils doivent annoncer l’action de Dieu. Mais “ le juste se réjouit dans le Seigneur, ils se réjouissent tous ceux qui ont le cœur droit ”. — La leçon est également dramatique. Nous jetons un regard sur l’au-delà ; nous sommes au jugement dernier. Nous voyons de nouveau les deux partis, les persécuteurs et les martyrs. Les persécuteurs se tiennent debout en face de leurs victimes. Ils les voient dans la gloire céleste et s’écrient, pleins de frayeur : “ Les voilà ceux dont nous nous sommes moqués... Fous que nous étions, nous pensions que leur vie était insensée... Voilà qu’ils sont comptés maintenant au nombre des enfants de Dieu ”. L’antienne de l’Alleluia est la réponse de la communauté. Le ciel et la terre, l’Église triomphante et l’Église militante louent et “ confessent ” les merveilles de Dieu qui se manifestent dans le martyre et sa récompense céleste. Les mots, “ confessio” “ confiteri ”, qui signifient reconnaître et louer, ont dans le langage de l’ancienne liturgie une relation partiulière avec le martyre. Le martyr, en effet, est un “ confesseur” au sens le plus élevé. Il a “ confessé le Seigneur devant les hommes ”. Maintenant, le Christ — et avec lui tout le royaume de Dieu — le “ confesse ”, comme un “ vainqueur couronné ”. L’Évangile nous déçoit à première vue. Nous aurions attendu, comme dans les autres messes de martyrs, un mot du Christ sur ceux qui portent leur croix après lui. Or, nous entendons la parabole de la vigne. Pourquoi cela ? Il peut se faire qu’il y ait d’abord une raison extérieure et historique. Dans l’antiquité, on faisait la lecture continue de la dernière partie de l’évangile de saint Jean pendant le temps pascal. Notre évangile rentrait sans doute dans cette suite (cf. les Évangiles des dimanches après Pâques ; de même celui de saint Philippe et saint Jacques). Cependant, un œil exercé trouvera une relation intime entre le martyre et l’image de la vigne. Le Christ, le Roi des martyrs, est le cep de vigne élevé sur la Croix ; les martyrs sont les raisins mûrs de cette vigne qui pendent de la Croix. Le vin eucharistique a jailli sous le pressoir de la souffrance et ce vin fut la boisson enivrante qui donna force et courage aux martyrs. Ces trois notions : Croix, Eucharistie et martyre, sont tellement unies dans l’esprit de la primitive Église que l’une d’entre elles évoque immédiatement les autres. C’est pourquoi, depuis les temps les plus reculés, on nomme deux fois les martyrs au Canon de la messe. Notre Evangile est en quelque sorte une illustration du Canon. Le Christ, la vigne divine qui s’appuie sur la Croix, le Christ qui est en même temps l’arbre de vie du Paradis ; les martyrs qui sont les raisins suspendus à cette vigne.
    
Les martyrs ont réalisé la parabole. Ils sont “ demeurés dans le Christ et ont porté beaucoup de fruit” en méritant la couronne du martyre. Nous aussi, nous sommes les sarments de la vigne divine qui est le Christ et justement, maintenant, à la messe, la sève vitale de la vigne doit couler dans les sarments afin qu’ils “ portent beaucoup de fruits ”. C’est par la vie divine que nous sommes unis au saint martyr ; c’est précisément à la messe que doit se réaliser la communion des saints qui est une “ communauté de souffrance et de consolation ”. C’est ainsi que nous comprenons, à la lumière de la primitive Église, la communion des saints. — De nouveau, le royaume de Dieu au ciel et sur la terre loue et “ confesse” les merveilles de la vigne divine (Off.). A la Communion, nous voyons le saint s’asseoir avec joie au banquet céleste et, sur la terre, nous prenons part à sa joie à la table eucharistique. Le psaume 63 a commencé la messe et il l’achève. Remarquons que la plupart des chants nomment le saint au singulier.
    
2. Messe pour plusieurs martyrs (Sancti tui).
    
La seconde messe est, elle aussi, d’une noble beauté architecturale. L’Introït (Sancti tui) commence par la louange des “ saints ”. Ce sont les martyrs et nous leur sommes unis. Ce double chœur annonce la “ gloire du royaume” du Christ. Le psaume 144 loue Dieu (ou le Christ) à cause de sa grandeur, de sa bonté et de sa fidélité. C’est un des plus beaux psaumes. Il n’est malheureusement guère utilisé dans la liturgie. Quelle magnifique image présente l’Introït : le Christ, le Roi ressuscité, entouré de ses “ témoins” ! Cette pensée est continuée dans l’Épître. Par sa résurrection, le Christ nous a assuré un héritage impérissable au ciel. Nous marchons vers cet héritage. Il est vrai que notre chemin passe d’abord à travers les luttes terrestres et les tentations. Mais la tristesse ne dure qu’un peu de temps, “ modicum ”. L’or doit être purifié dans le feu pour le grand jour de la “ manifestation de Jésus-Christ ”. Nous assistons par avance à cette manifestation, à la messe, avec les martyrs. Nous voyons de nouveau les saints martyrs devant nous dans leurs vêtements blancs comme les lis ; ils sont parfumés comme le baume dans leur mort précieuse aux yeux de Dieu (Allel.). — L’Évangile est presque le même que dans la messe précédente (seulement le texte commence quelques versets plus loin). La parabole nous montre la vie chrétienne sous son aspect le plus intime : Le Christ est la vigne divine, nous sommes les sarments. Cette parabole nous donne l’essence même de la liturgie. Les saints et les chrétiens d’ici-bas sont dans une communion intime de vie avec le Christ. Nous recevons de lui la sève vitale, le vin divin de l’Eucharistie. C’est dans l’Eucharistie que nous trouvons la force d’accomplir les commandements du Christ et de“ porter beaucoup de fruit ” (v. l’explication de l’Évangile de la messe précédente). Dans l’allégresse pascale, nous nous avançons vers l’autel, avec les martyrs, pour mourir avec le Christ (Off.) et pour être glorifiés avec lui (Comm.).
    
La solennité des martyrs pendant le temps pascal est merveilleusement complétée par les magnifiques chants de la prière des Heures :
Eclatants de blancheur sont ses élus, Alleluia,
Voilés de la splendeur de Dieu, Alleluia,
Ils sont blancs comme le lait, Alleluia,
Ils sont plus éclatants que la neige, plus blancs que le lait,
Plus brillants que le vieil ivoire, plus beaux que le saphir. (Répons). 
L’Église nous crie : “ Filles de Jérusalem, venez voir les martyrs avec leurs couronnes ; Le Seigneur les a couronnés au grand jour de la solennité et de la joie ”. (Ant. Bened.).