6 NOVEMBRE - Dans l’octave de la Toussaint (semi-double).

“ Servez le Seigneur avec respect, vous tous, ses saints ; rien ne manque à ceux qui le craignent,. voici que doucement le regard du Seigneur repose sur les justes, il incline volontiers son oreille à leurs prières. ” (Antienne)
1. Pensées de la Toussaint. — Aujourd’hui, saint Bernard, le Docteur melliflue, nous adresse un sermon sur la Toussaint : “ Puisque nous célébrons aujourd’hui la mémoire solennelle et souverainement digne de toute dévotion de tous les saints, je pense qu’il n’est pas inutile de vous parler, mes bien-aimés, avec le secours du Saint-Esprit, de la commune félicité qui leur fait goûter déjà un heureux repos et de la consommation future qu’ils attendent. C’est une croyance ferme et digne de toute confiance que nous suivrons, en partageant leur condition, ceux que nous honorons solennellement, que nous désirons de toutes nos forces la félicité pour laquelle nous les proclamons bienheureux, que nous trouvons assistance dans l’intercession de ceux que nous prenons plaisir à glorifier. A quoi nous sert-il de louer les saints ? A quoi nous sert-il de les glorifier ? A quoi nous sert la fête que nous célébrons ? A quoi servent ces honneurs terrestres dont le Père céleste les entoure, selon la promesse véridique de son Fils ? A quoi leur servent nos hommages ? Ils possèdent tous les biens. C’est incontestable, mes bien-aimés, les saints n’ont pas besoin de nos biens et notre dévotion ne leur procure rien. A vrai dire, quand nous honorons leur mémoire, c’est à nous qu’il en revient quelque chose et non à eux. Voulez-vous savoir ce qui nous en revient ? Je sens — je l’avoue, — en me rappelant leur mémoire, s’allumer en moi un désir, et même un triple désir. On dit dans le langage courant : Ce que l’œil ne voit pas, le cœur n’en souffre pas. Notre œil, c’est notre pensée ; et penser aux saints, c’est en quelque manière les voir. Tel est notre partage en cette terre des vivants et il n’est pas mince, si, comme il convient, le sentiment accompagne la pensée ; de la sorte, dis-je, notre commerce est déjà dans le ciel. Et pourtant, il n’en est pas de nous comme d’eux : il sont là en personne, nous n’y sommes que par le désir ; ils y sont réellement présents, nous n’y sommes présents que par la pensée. ”

2. La recommandation de l’âme. — Là où l’on fait appeler le prêtre pour un mourant, la mort ne suit pas d’ordinaire immédiatement la réception de l’extrême-onction et de la bénédiction apostolique ; dans la plupart des cas, la mort tardera vraisemblablement encore quelque temps. Le mourant est muni ; l’Église et l’âme ont fait ce qu’il y avait à faire conformément à l’esprit de l’Église et de sa liturgie. Maintenant approche l’heure de la parousie du Seigneur. Elle s’annonce par l’agonie ; et même là où l’on peut parler de mort douce, où la mort ressemble vraiment à un sommeil, il y a certains signes qui annoncent que le Seigneur approche pour emmener l’âme. L’extrême-onction administrée, l’Église n’est pas partie comme quelqu’un qui dirait : Ma tâche est finie. Elle s’est seulement retirée pendant un instant pour apporter encore ses secours au dernier moment, le moment décisif de la vie du chrétien, avec ses prières et ses rites. Notre Mère l’Église est alors présente, même quand ses ministres ne le sont plus, pour accomplir son ministère et étendre sa main qui bénit et absout sur son enfant mourant. Sa liturgie a un rite propre pour le moment de l’agonie et celui de la mort. Dans le Rituel, il porte le titre officiel suivant : Commendatio animae, en français : La recommandation de l’âme (qui va partir). Dans nos régions, elle est tombée en désuétude et pour ainsi dire inconnue. Le Rituale Romanum au chapitre 7 s’exprime ainsi : “ Le curé qui se propose de faire la recommandation de l’âme est accompagné d’un clerc portant un vase d’eau bénite ; il est revêtu du surplis et de l’étole violette. ” Cette rubrique suppose que le prêtre a été appelé au chevet du mourant pour y procéder au nom de l’Église à la recommandation de l’âme. Que dans les grandes villes où le ministère des âmes est aujourd’hui si chargé, ce désir du Rituel ne puisse pas toujours être réalisé, on le comprend très bien ; mais à la campagne où l’assistance des malades et des mourants est moins absorbante, on ne saurait trop demander aux ministres officiels de la liturgie cette Commendatio animae. Quelle est donc la signification de cette recommandation de l’âme ? Une comparaison me permettra peut-être de le montrer. Un émigrant s’est acquis une situation en Amérique ; il a trouvé de l’autre côté de l’océan des amis et des protecteurs qui lui témoignent affection et estime. Toutefois, malgré son bonheur, il n’a jamais cessé de regretter sa patrie. Elle n’est pas morte pour lui ; elle exerce sur lui une puissance d’attraction à laquelle il cède. Un jour, le voilà sur le môle d’un grand port. Une poignée de mains, un salut, un embrassement voudraient lui faire comprendre combien on l’aime en cette terre étrangère. Il se dégage, saute sur le paquebot et, du pont, adresse un dernier mot, un dernier adieu. Encore un échange de pensée, puis le paquebot lève l’ancre et s’engage sur l’océan pour gagner la patrie. Là, sur le môle du Havre, il y a un père et une mère, des frères et des amis, venus saluer avec effusion l’heureux retour, presser le voyageur dans leurs bras et l’accompagner à la maison paternelle. Nous, chrétiens, nous sommes ou nous devons être des étrangers sur terre, des émigrés. Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente. Avec ses rites et ses signes sacrés, notre Mère l’Église entretient vivant dans nos cœurs le désir de la patrie éternelle. Elle nous maintient dans la pensée de la parousie. La mort donne libre essor à notre désir de l’éternelle patrie. Elle est la vaste mer, redoutable pour beaucoup, entourée de côtes nébuleuses, que nous devons traverser pour passer des rivages de ce monde à ceux de l’autre. Ici se tiennent des êtres chers, venus pour prendre congé du partant, lui faire une dernière conduite, lui souhaiter un bon voyage ; là-bas se tiennent ceux qui occupent le lieu qui mérite vraiment le nom de patrie, pour nous recevoir. Dernière conduite de l’âme, accompagnement de l’âme dans la maison du Père, sortie et entrée seraient des sous-titres qui conviendraient bien pour expliquer la Commendatio animae. C’est la description liturgique et dramatique, accompagnée de prières émouvantes, du retour de l’âme chrétienne à son Créateur et Rédempteur. Continuons la comparaison. Il y a, dans le rite de la recommandation de l’âme deux chœurs qui prient. Le premier se compose des parents et amis qui sont rassemblés autour du lit pour prier, faire leurs adieux et souhaiter la félicité. C’est le chœur de cette terre. Dans le second chœur, c’est l’autre monde qui parle ; là chantent les saints du ciel, ceux qui sont définitivement rachetés, entourant le Roi qui va venir, prêts à introduire l’âme dans le royaume de la joie et de la paix. Le rite de la recommandation de l’âme présente un aspect positif et un aspect négatif. Quand nous prions pour obtenir le pardon des péchés et un jugement favorable, nous sommes les citoyens de la terre qui parlons en demeurant auprès du lit du mourant ; quand il s’agit de l’accueil dans l’au-delà, quand nous mentionnons et introduisons les saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, alors — nous leur prêtons pour ainsi dire notre bouche. L’Église militante et l’Église triomphante se donnent la main invisiblement d’un rivage à l’autre pour accompagner l’âme dans la patrie. — La cérémonie de la recommandation de l’âme comprend deux parties. La première se compose d’une longue suite de prières qui veulent accompagner l’âme dans son agonie. La seconde partie — très courte — ressemble au dernier baiser de l’Église sur le front pur et consacré pour la mort ; c’est la prière de la séparation (in exspiratione), exactement conçue pour cet instant.