“ Combien glorieux est le royaume dans lequel tous les
saints exultent avec le Christ ! Vitus de blanc, ils suivent l’Agneau
partout où il va ” (Ant. de Magn.)
1. Historique. — L’idée
d’honorer tous les saints par une fête commune vient d’Orient et remonte au Ive
siècle. On ne fêtait alors que les saints martyrs ; la fête était célébrée
le premier dimanche après la Pentecôte, comme elle l’est encore aujourd’hui
chez les Grecs ; en Syrie, elle avait lieu le vendredi qui suit Pâques
(dans le missel romain, on trouve encore aujourd’hui, le vendredi après Pâques,
la mention d’une station à l’église S. Maria ad Martyres). A Rome, le pape
Boniface IV fit transformer en église le Panthéon, qui lui avait été donné par
l’empereur Phocas (cet édifice avait été construit par Agrippa, en 27 avant
Jésus-Christ, en l’honneur d’Auguste, et dédié à tous les dieux). Dans cette église
il fit transporter une grande quantité de saintes reliques (28 voitures,
dit-on) et il la consacra à la Mère de Dieu et à tous les saints martyrs, le 13
mai 610 (v. Martyrologe romain, le 13 mai ; cf. tome III, p. 369). A la
suite de cet événement, la fête de tous les martyrs fut célébrée le 13 mai
(dans le temps pascal, à la suite de la résurrection du Sauveur). C’est
Grégoire IV qui transféra la fête au 1er novembre (à cause de la
difficulté du ravitaillement des nombreux pèlerins affluant à Rome au printemps) ;
et ainsi la fête, qui fut étendue à tous les saints, trouva une place
convenable à la fin de l’année liturgique pour symboliser la consommation
glorieuse du règne du Christ et le second avènement du Sauveur.
2. La prière des Heures. —
L’ami de la liturgie devra prendre part aujourd’hui, autant que possible, à la
prière des Heures qui est, en cette fête, si intelligible à l’esprit et si
consolante pour le cœur. La veille au soir, nous célébrons l’annonce de la fête
par les premières vêpres. Le voyant de Pathmos nous conduit en esprit au
ciel et nous fait assister à la célébration de la liturgie céleste devant le
trône de Dieu et devant l’Agneau : “ Je vis une grande foule que
personne ne pouvait dénombrer, venant de tous les peuples et se tenant devant
le trône ” ; Il et tous les anges entouraient le trône, tombaient sur leur
face devant le trône et adoraient Dieu. ” Maintenant nous entendons le cantique
des rachetés : “ Vous nous avez rachetés, Seigneur Dieu, dans votre
sang, nous qui venons de toute race, de toute langue, de tout peuple et de
toute nation ; vous nous avez faits rois pour notre Dieu. ” Ainsi
s’expriment les antiennes. Dans l’intervalle, nous chantons les psaumes connus
des vêpres. Le chant de l’hymne célèbre, sous la direction de la Mère de Dieu,
les différents groupes de saints, les anges, les Apôtres, les martyrs
empourprés de leur sang, les confesseurs et les vierges. A l’antienne de
Magnificat, nous nous assurons l’intercession de tous les saints. — Les Matines,
que nous chantons pendant la nuit, s’apparentent de près au commun des
martyrs ; ce qui s’explique par ce fait que les origines de notre fête
remontent à la célébration du culte de tous les martyrs. Le caractère
christocentrique donné par l’Église au culte des saints apparaît très nettement
dans l’Invitatoire des Matines : “ Venez, adorons le Roi des rois, le
Seigneur, car il est en personne la couronne de tous les saints. ” Les leçons
du premier nocturne sont tirées de l’Apocalypse et nous montrent de nouveau les
saints dans le ciel ; celles du second nocturne nous offrent un gracieux
sermon de saint Bède : “ Ô Église, mère vraiment heureuse qui est
illuminée par l’honneur de la divine Majesté, qui est parée du glorieux sang
des martyrs, ornée de l’éclatante blancheur d’une virginité inviolée ! A
sa couronne ne manquent ni les roses, ni les lis. Que tous parmi vous, mes
bien-aimés, rivalisent pour atteindre une pareille splendeur et un pareil
honneur, pour acquérir et remporter de haute lutte l’une des deux couronnes,
soit la couronne blanche de la virginité, soit la couronne rouge du martyre.
Dans le camp céleste, la paix et la lutte ont toutes deux leur couronne de
victoire pour orner la tête des soldats du Christ. L’inexprimable et infinie
bonté de Dieu a aussi tout disposé pour que la durée des souffrances et de la
lutte ne se prolonge pas trop et encore moins éternellement, mais pour qu’elle
soit courte et, pour ainsi dire, l’affaire d’un instant. et pour qu’il y ait
dans cette vie qui s’écoule rapidement des épreuves et des luttes, mais par
contre, dans l’autre qui est éternelle, une récompense et des couronnes. Dieu a
voulu que les travaux prennent rapidement fin, mais que la récompense des
mérites dure éternellement, que les saints, après les ténèbres de ce monde, contemplent
la lumière éclatante et reçoivent une félicité dépassant de loin toutes les
amertumes de leurs épreuves, selon la parole de saint Paul : Les épreuves
de ce temps ne sont pas comparables à la gloire future qui se révélera en nous.
”
Au troisième nocturne, saint Augustin explique les huit
béatitudes. A la prière de l’aurore (les Laudes), nous montons de
nouveau au ciel sous la conduite de saint Jean, le voyant, et nous chantons le
cantique de louange de tous les saints, le Benedictus : “ Le chœur glorieux
des Apôtres vous loue... ; tous les saints et tous les élus vous
confessent d’une voix unanime... ” (Ant.
de Bened.).
3. La Messe (Gaudeamus). — La
messe ressemble par son architecture et par son contenu à celle d’hier. L’Introït
nous invite à prendre part à la joyeuse fête de famille. Il y a joie sur terre,
joie au ciel. Avec une intime fierté de mère, l’Église embrasse d’un coup d’œil
tout le chœur de l’Eglise triomphante et s’assure l’intercession protectrice de
ses membres glorifiés (Oraison). La Leçon nous conduit au ciel.
Saint Jean nous y fait jeter un regard ; nous voyons alors l’immense armée
des saints rassemblée autour du trône de Dieu et chantant de pieux cantiques.
Une partie des saints, une foule, mais que l’on peut dénombrer, provient du
Judaïsme ; tandis que d’innombrables phalanges sont issues des nations
païennes. Tous ont été purifiés de leurs péchés par le sang de l’Agneau et
portent maintenant dans leurs mains la palme de la victoire. Le Graduel
et le verset de l’Alleluia nous ramènent sur terre et nous montrent le
chemin du ciel : servir Dieu et porter la croix. Les huit béatitudes nous
indiquent la voie qui conduit à la sainteté, “ la grande voie royale du Christ,
l’échelle d’or de la félicité éternelle ” (Meschler). La vie des saints est la
mise en œuvre des béatitudes. La Communion met encore une fois en un vif
relief ces béatitudes qui sont engendrées, nourries et conservées par
l’Eucharistie. En même temps, nous apprenons où est la source de ces vertus et
de ces béatitudes ; c’est la Sainte Eucharistie : “ Bienheureux ceux
qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ; bienheureux les pacifiques,
car ils seront appelés enfants de Dieu ; bienheureux ceux qui souffrent
persécution pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient. ” La
grande pensée fondamentale de la messe est donc celle-ci : les saints au
ciel (Epître) et les saints sur la terre (Evangile). — En
terminant la fête (secondes vêpres), nous nous écrions avec un pieux
étonnement : “ Combien glorieux est le royaume où les saints exultent avec
le Christ, suivant, vêtus de blanc, l’Agneau partout où il va. ”
4. Transition. — Il n’y a pas,
dans toute l’année, de vêpres qui fassent sur moi une impression aussi profonde
que les secondes vêpres de la Toussaint suivies des vêpres des morts pour tous
les fidèles trépassés. L’autel était d’abord paré de précieux reliquaires. Les
saints eux-mêmes étaient présents dans leurs augustes restes sur l’autel qui
symbolise le Christ. L’autel avait revêtu sa parure de fête : un antipendium
doré, des nappes blanches comme la neige. Il portait les six chandeliers dorés
avec les six grands cierges allumés. Sur le retable étincelait l’Agneau de
l’Apocalypse. Sur le trône était assis, comme représentant du Père éternel,
l’Abbé, revêtu de la chape brochée d’or ; autour de lui, se tenaient “ les
vieillards ” du monastère, en ornements blancs, tandis que, dans
l’avant-chœur, les quatre choristes, vêtus de chapes précieuses, menaient le
chant des vêpres et que le chœur des moines s’unissait aux mélodies célestes.
Dans la vaste église abbatiale. se tenaient debout ou assis “ la foule des
fidèles que personne ne pouvait compter, venant de toutes les classes
sociales ”. Et sur tout cela se répandaient en accords joyeux et
enthousiastes les sons majestueux de l’orgue. C’était une heure de joie
céleste. A peine avait-on chanté le “ Benedicamus Domino ” solennel que
s’approchait de l’autel le thuriféraire, accompagné de huit porte-flambeaux.
Les quatre choristes montaient à l’autel, prenaient avec respect les
reliquaires et sortaient de l’église, au milieu des flambeaux allumés. Les
bienheureux retournaient dans leur patrie céleste qu’ils avaient quittée pour
quelques instants pour célébrer avec leurs frères et sœurs de la terre la fête
de la Toussaint. Le Pontife se joignait avec ses assistants au cortège des
saintes reliques. Dieu le Père, lui aussi, quittait la terre, sous le signe du
symbole. avec les vieillards. La majestueuse procession était tout entière
enveloppée par les fumées de l’encens dont le Voyant de l’Apocalypse a écrit
que c’était “ la prière des saints ” (Apoc., V, 8). Seul, le Fils de Dieu
demeurait sur l’autel dans l’image du crucifix. Les lumières s’étaient
éteintes ; l’orgue faisait entendre la plainte de lugubres accords. Des
moines en ornements noirs étendaient un drap noir devant l’autel. Les cierges
étaient maintenant de cire jaune. Des prêtres en chapes noires arrivaient à
l’autel et entonnaient le chant plaintif du purgatoire : “ Je marcherai
devant le Seigneur dans la terre des vivants. ” Le chant d’allégresse de la
Toussaint s’est tu ; ce sont les âmes souffrantes qui gémissent.